Dans quelques mois à peine, auront lieu les élections législatives post-présidentielles. Quelle sera la place des abertzale dans ce scrutin, comment exister dans ce tourbillon médiatique français qui polarise l’intérêt de la plupart des électeurs d’un Iparralde où le sentiment d’appartenance française domine largement ?
Il y a un peu plus d’un an, entre les deux tours des élections départementales du canton de Saint-Jean-de-Luz où le deuxième tour opposait EH Bai à l’UMP, un colleur des candidats de ce dernier nous reprochait de prendre toute la place sans rien leur laisser sur les panneaux d’affichage libre. Après débat, nous avions alors convenu d’un modus vivendi, mais leur avions fait remarquer qu’entre abertzale et UMP, ils n’avaient guère à se plaindre en termes d’équité électorale.
L’an prochain, pour les législatives, il en sera de même, voyons rapidement pourquoi.
Vae victis !
“Malheur aux vaincus !” C’est ce que le chef gaulois Brennus cracha au visage des sénateurs romains au lendemain de la prise de Rome à la fin du IVe siècle, alors que ces derniers protestaient contre le mode de calcul passablement truqué du montant du tribut que la ville aurait à payer contre le départ des occupants. Quel rapport avec nous, considérations historiques (et rugbystiques) mises à part ? Certes, le Pays Basque Nord fut conquis militairement, dans sa plus grande partie en tout cas. C’est une vieille histoire, mais encore faut-il ne pas l’oublier trop vite car c’est le départ de toute cette affaire, amorçant le long processus de centralisation que l’on connaît et transformant le Pays Basque en minuscule morceau de province d’un grand Hexagone démesurément plus vaste que lui.
Allant plus loin, il convient d’ajouter que ce territoire ne s’est pas contenté de se structurer rationnellement, il s’est aussi efforcé de se doter d’une conscience nationale : nous sommes aujourd’hui les fils et filles de générations entières ayant intégré l’identité française comme une évidence pluriséculaire.
Si l’on a cessé d’ingurgiter à l’école du roman national à la Michelet ou des frontières naturelles, il reste clair que, dès que l’on parle d’identité ou qu’on la ressent au quotidien, tout ramène à cette grande nation française : à chaque baguette achetée l’usage de la langue de la République, à chaque démarche officielle une pièce d’identité, à chaque bulletin d’info ou de météo son cadre hexagonal, à chaque match de foot international son coq et sa Marseillaise, et maintenant à chaque nouvel attentat islamiste ses drapeaux tricolores dans les rues.
Bonheur, malheur ou juste normalité, l’identité “banale” (au sens sociologique) est toujours et partout française.
Pour les abertzale, il est évident que c’est un handicap de base énorme à l’heure de proposer un projet dont le fondement même reste une alternative à cet édifice national.
Enbata est né il y a maintenant plus de cinquante ans et les temps héroïques de l’extrême marginalité sont derrière nous, il est heureux que la sympathie pour l’abertzalisme en tant qu’offre politique de proximité soit autrement plus flatteuse que le poids réel de l’indépendantisme en tant que seul projet séparatiste.
Mais minorité nationale contre Etat central, conflit asymétrique, David contre Goliath, on pourra l’appeler comme on veut, mais c’est un fait qui biaisera toujours toute élection au Pays Basque, surtout lorsqu’il s’agira de législatives censées désigner les représentants de la nation.
Le lien économique
L’Etat s’est construit, la nation s’est enracinée, mais aujourd’hui où l’homo economicus a dépassé l’homo sapiens il convient de souligner le fait que même à cet égard-là l’abertzalisme se retrouve dindon de la farce.
Par la bonne fortune de la nature, le Pays Basque est une zone attractive : montagne, plage et exotisme culturel attirent les touristes en masse ; frontière, traversée aisée des Pyrénées et zones portuaires attirent les infrastructures de transport, les services, les entreprises et donc l’emploi ; le cocktail de tous ces éléments génère des intérêts économiques extraordinairement alléchants pour les investisseurs extérieurs comme locaux, notamment une juteuse spéculation foncière et immobilière qui fait le tri dans la population.
Or le mouvement abertzale étant principalement de gauche, il est bien peu séduisant aux yeux de ces catégories sociales aisées qui colonisent désormais les fronts de mer luzien ou biarrot. Si la droite française était hier reine au Pays Basque car celui-ci était culturellement conservateur et traditionaliste, elle le reste aujourd’hui car il est devenu opulent et économiquement libéral, et la sociologie joue pour elle.
Autre conséquence évidente : malgré tous ses efforts de communication, le mouvement abertzale souffre de revendiquer un modèle linguistique et culturel superficiellement perçu comme excluant par les nouveaux arrivants, là où les formations politiques françaises qui s’en soucient fort peu paraissent bien plus familières et rassurantes.
Le mouvement abertzale
étant principalement de gauche,
il est bien peu séduisant
aux yeux de ces catégories sociales aisées
qui colonisent désormais
les fronts de mer luzien ou biarrot.
Lendemain de présidentielles
Pour couronner le tout en 2017, les élections législatives suivront d’à peine deux mois les présidentielles.
Elections reines depuis de Gaulle, ces dernières polariseront l’actualité politique, elles commencent même bien plus tôt à le faire maintenant que les primaires se sont imposées comme tour de chauffe. Comment exister au plan local quand tout tourne, tous les jours et partout, autour des bureaux parisiens de trois formations politiques ? Même pendant la campagne des législatives elle-même, et à l’exception des pages ou décrochages locaux de la presse régionale, le traitement médiatique tournera autour de ces mêmes formations devant se partager le Palais Bourbon.
Quant aux moyens financiers de ces partis par rapport aux nôtres, inutile de faire un dessin. Tout cela, on le sait déjà. “Vae victis”, nous sommes des vaincus de l’histoire qui cherchent à exister et nous devons faire avec, du mieux possible.
Nos armes sont la bonne volonté, la connaissance du terrain, la proximité avec la population, la force du do it yourself plutôt que du “pondu à Paris”…
Il n’y a aucun misérabilisme ou victimisation dans ces lignes, plutôt des sources de motivation supplémentaire.
Mais par contre, si j’ai pu avec cette chronique passer par anticipation un message à celui ou celle qui m’emmerderait sur un espace trop occupé de panneau d’affichage, ce sera toujours un quart d’heure de gagné.