L’empreinte écologique des hyper–riches n’est pas durable, il faut aller vers un partage des richesses et une sobriété heureuse !
Les enjeux sociaux liés au thème du revenu maximum autorisé (RMA) sont souvent évoqués, car le RMA est une forme de réduction des inégalités et de redistribution des richesses. La Fondation Manu Robles-Arangiz et Bizi ! organisent le 26 avril 20h30 à Bayonne une conférence de Karima Delli (Euro-Député EELV, Sauvons les riches, Jeudi Noir) et Corinne Morel-Darleux (Secrétaire nationale à l’écologie du Parti de Gauche) qui montreront aussi l’enjeu écologique du RMA par la limite qu’il apporte à l’empreinte écologique de chacun.
Qu’est-ce que le Revenu Maximum Autorisé / Acceptable ?
Corinne Morel-Darleux : C’est une mesure qui consiste à dire que l’hyper-richesse n’est pas légitime, et qu’il n’est pas acceptable que le total des revenus d’une personne dépasse une certaine somme, le revenu maximum autorisé (RMA). Concrètement, pour toucher l’ensemble des revenus, ceux du capital comme ceux du travail, nous proposons la création d’une tranche supérieure de l’impôt sur le revenu taxée à 100 %. Pour nous le RMA se situe à 360.000 euros, ce qui laisse donc tout de même un revenu de 30.000 euros par mois…
Karima Delli : Quand on parle de Revenu Maximum Autorisé ou Acceptable, il s’agit avant tout d’un outil qui permet de réduire les inégalités sociales et environnementales dans notre société, et qui permet en cela de recréer du lien social. Il repose donc sur l’idée qu’il existe un niveau maximum d’inégalités tolérable dans une société. Avec Sauvons les riches, nous avons pensé qu’un revenu maximum acceptable devait se situer aux alentours de 30 fois le revenu médian, soit 48 300€ par mois en France en 2010. Il s’agit enfin de prendre en compte tous les revenus, et pas seulement le salaire. C’est pourquoi il faut le distinguer du salaire maximum.
En quoi est-ce une urgence écologique et une mesure sociale par excellence ?
KD : C’est d’abord une mesure sociale dans la mesure où elle joue un rôle redistributif et permet, en complément de la mise en place d’un revenu minimum garanti, de réduire les inégalités de revenu. Pour le mettre en place, le meilleur instrument est celui de la fiscalité: il faudrait donc mettre en place un taux d’imposition maximal sur les sommes perçues au delà de ces 48 300€ par mois, qui serait autour de 90%. C’est pourquoi le revenu maximum doit s’inscrire dans une réflexion plus globale sur la fiscalité qui s’accompagnerait d’une véritable lutte contre les paradis fiscaux, et permettrait de brider les circuits financiers. Le revenu maximum doit donc servir à la fois à redistribuer les richesses aux plus pauvres, mais aussi à financer des investissements écologiques d’avenir.
C’est aussi une mesure écologique car elle conduit à faire mieux accepter par les classes moyennes une réduction leur consommation matérielle et énergétique. En effet, si les ultra-riches sont ceux qui ont l’empreinte écologique la plus forte – voyages en jet en privé, yachts de luxe, villas secondaires, voitures de sport, etc.- réduire leur consommation en plafonnant leurs revenus ne suffirait pas car ils ne représentent qu’une petite minorité. Mais dans le modèle culturel dominant de la surconsommation, les plus pauvres et les classes moyennes tentent toujours d’imiter les plus riches dans leurs choix de consommation. En réduisant ce mode de consommation ostentatoire, véhiculé par les médias de masse, on réduira ses effets destructeurs pour l’environnement et les ressources naturelles.
CMD : C’est une urgence écologique dans la mesure où l’idéologie dominante (médias, publicité) fait du mode de vie des riches le modèle à suivre. Or ce mode de vie hyper-consumériste n’est pas généralisable au vu de la crise climatique, de celle de la biodiversité, et de la finitude des ressources, notamment énergétiques. Et franchement, à quoi sert de posséder 3, 4, 10 maisons quand chaque nuit on ne peut dormir que dans un lit ? Et c’est une mesure sociale, car la création d’une telle tranche oblige à renforcer la progressivité de l’impôt par la création de nouvelles tranches, ce qui relève d’une justice sociale élémentaire. Enfin elle permet de dégager des ressources pour défendre les services publics, le patrimoine de ceux qui n’en n’ont pas.
Est-ce qu’il y a des exemples (pays, époque, etc. ) concrets où le RMA a été mis en place et quelles conséquences est-ce que cela a pu avoir ?
CMD : L’exemple le plus marquant est celui… des États-Unis ! Une des mesures prises par Roosevelt après la crise de 1929 est en effet la création d’une tranche supérieure à l’impôt sur le revenu de 91 %. Cela n’a pas nui au dynamisme de l’économie américaine et les inégalités ont été fortement réduites pendant 40 ans, avant le retour des politiques libérales.
KD : En 1942, Roosevelt a mis en place aux Etats-Unis une fiscalité sur le revenu avec un taux d’imposition de 88% pour la tranche la plus élevée, puis à 94% en 1944-1945 afin de financer l’effort de guerre mais aussi de réduire les inégalités de revenu qui s’étaient creusées après la crise de 1929. Cette tranche d’imposition au-dessus de 400 000$ actuels est restée à 91% jusqu’en 1964, puis a diminué autour de 75% jusqu’au début des années 1980. C’est d’ailleurs à partir du tournant néolibéral des années 1980 que les inégalités ont explosé. Les salaires des grands patrons qui plafonnaient aux alentours de 35 fois le revenu moyen ont pu atteindre un rapport de plus de 300 dans les années 2000.
Qu’est-ce qui peut être fait pour que ce concept soit mieux connu par et plus utilisé/revendiqué par la population ?
KD : Quand on parle d’inégalités, on a souvent tendance à regarder en bas de l’échelle, du côté des plus pauvres et à chercher des solutions pour lutter contre la pauvreté. Mais cela ne doit pas nous empêcher de regarder aussi au sommet de l’échelle, du côté de ceux qui gagnent beaucoup, voire beaucoup trop.
Une étude de l’Université de Princeton publiée en 2010 a démontré qu’au-delà de 75 000$ par an, une augmentation du revenu ne permet plus d’augmenter le bien-être d’un individu. Rien d’étonnant à cela: ne dit-on pas que “l’argent ne fait pas le bonheur”? C’est pourquoi, avec le collectif Sauvons les riches!, nous avons mené des actions médiatiques afin de tourner en dérision le mode de vie des ultra-riches et de développer un imaginaire positif autour de l’idée de sobriété heureuse.
Mais si certains partis politiques ont commencé à intégrer le revenu maximum dans leurs programmes, le sujet reste tabou dans les lieux de pouvoir, comme les medias, détenus par l’oligarchie. Aussi, au-delà des actions symboliques de Sauvons les riches!, qui permettent d’attirer l’attention des medias de façon humoristique sur les problèmes que pose le mode de vie des riches, il faut donc montrer que c’est une mesure crédible, qui est non seulement utile socialement et bonne pour l’environnement, mais aussi que c’est plus rationnel et efficient d’un point de vue économique.
CMD : L’aspiration à l’égalité n’a pas disparu dans notre pays. Or les inégalités se sont accrues à des niveaux qui dépassent l’entendement. Les scandales financiers et autres parachutes dorés ont marqué les esprits. Il faut déconstruire l’imaginaire de la pression fiscale qui amputerait le niveau de vie du grand nombre : c’est l’inverse. Le RMA fait partie d’un ensemble de revendications pour un meilleur partage des richesses, pour en finir avec le mythe de la croissance qu’il faudrait attendre pour améliorer le sort des plus pauvres. Pourquoi attendre, les richesses existent ! La véritable pression sur le niveau de vie des ouvriers et employés, c’est celle du capital, des actionnaires.
Ce discours commence à être entendu par une partie croissante de la population. En témoigne le dynamisme de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon qui l’a porté haut et fort, et l’empressement du PS à promettre et bricoler l’instauration d’une taxe à 75 %, mal ficelée et bien éloignée en réalité du concept de RMA, mais conçue pour essayer de capter le mouvement naissant autour de cette revendication.
A votre niveau quelle initiative avez-vous pu prendre pour lutter contre la démesure ou faire de la sensibilisation sur le thème du RMA ?
KD : Avec les grandes réformes du secteur financier, le Verts au Parlement européen ont réussi à imposer des limitations aux rémunérations exorbitantes des traders. Mon collègue écolo belge Philippe Lamberts a ainsi fait accepter par une majorité des ministres des 27 Etats membres que les bonus des traders soient plafonnés. Ce qui a fait dire au journal Le Monde qu’il était devenu “l’homme le plus détesté de la City” !
Pour ma part, j’ai fait inscrire dans une résolution du Parlement européen sur la plateforme de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale “qu’une taxation appropriée des très hautes rémunérations soit mise en œuvre afin de contribuer au financement des systèmes de protection sociale et du revenu minimum et de réduire les écarts de revenus”.
L’idée fait donc son chemin en Europe. Des propositions similaires ont été faites aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, mais c’est bien au niveau de l’Europe toute entière que nous devons parvenir à le mettre en place.
CMD : Venant de l’écologie politique, à mon arrivée au PG j’ai activement porté le RMA, en organisant par exemple un débat à la Fête de l’Huma dès 2009 avec Hervé Kempf. Cette proposition a ensuite été intégrée dans le programme du Front de Gauche “L’humain d’abord”. Mais ce n’est pas notre seule proposition pour lutter contre la démesure. Notre proposition de loi sur la fiscalité écologique, l’écart maximum de salaires de 1 à 20, la réduction drastique de la publicité dans l’espace public, vont aussi dans ce sens.
Dans le contre-budget présenté par le PG, nous proposons une augmentation de la TVA sur les produits de luxe, et à titre personnel je suis assez attachée au symbole des yachts ou des golfs comme cas flagrants d’indécence sociale et de gabegie de ressources. Nous revendiquons d’ailleurs une tarification progressive sur l’énergie et l’eau, avec la gratuité des premières tranches indispensables à la vie, le renchérissement du mésusage, et la distinction entre usages professionnels et particuliers. C’est possible : nous l’avons mis en place aux Lacs de l’Essonne avec le retour en régie publique de l’eau grâce à notre élu Gabriel Amard. Nous travaillons beaucoup ensemble aussi avec Paul Ariès sur la gratuité des services publics en lien avec le débat sur la dotation inconditionnelle d’autonomie.
Par ailleurs, en tant que conseillère régionale Rhône-Alpes, je suis particulièrement impliquée dans la lutte contre l’extraction des gaz de schiste et le soutien à l’initiative équatorienne Yasuni-ITT, pour sensibiliser à la nécessité d’aller vers une société non extractiviste, vers l’écosocialisme et le buen vivir.
Pour aller plus loin, auriez-vous d’autres contacts/références à recommander aux lecteurs ?
KD : Les deux excellents essais d’Hervé Kempf: Comment les riches détruisent la planète (2007) et Pour sauver la planète, sortez du capitalisme (2009)
Le rapport de Patrick Viveret, Reconsidérer la richesse, réalisé en 2002
Les nombreux articles de Joseph Stiglitz, notamment Le triomphe de la cupidité (2010)
L’ouvrage collectif de Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale (2011), et d’une manière générale les travaux de l’Ecole d’économie de Paris sur les hauts revenus en France
Le numéro spécial, que j’ai codirigé, de la revue Mouvements intitulé “Pour en finir avec les riches (et les pauvres)” (2011)
CMD : “Comment les riches détruisent la planète” d’Hervé Kempf, les deux tomes de mon ouvrage “Nos colères fleuriront”, “La règle verte” de Jean Luc Mélenchon, une lecture régulière du Sarkophage et bien sûr le “Premier Manifeste pour l’écosocialisme” qui vient de sortir chez Bruno Leprince !
Sur le net : http://www.jean-luc-melenchon.fr/arguments/taxer-les-riches-avec-le-revenu-maximum-et-le-salaire-maximum/
http://www.lespetitspoissontrouges.org/index.php?tag/revenu%20maximum
Dans le cycle des conférences sur la démesure, un autre rendez-vous à ne pas manquer :