Les manifestations de soutien aux presos répondent aux refus répétés du parquet anti-terroriste contre les libérations conditionnelles. Ainsi va, cahotant, le processus de paix. La nomination d’un nouveau Garde des Sceaux en la personne d’Eric Dupond-Moretti viendrat- elle modifier la donne ? Si celui-ci a eu l’occasion de défendre des prisonniers corses, le sort des prisonniers basques intéressera-t-il cet avocat disposé à faire bouger certaines lignes ?
Le 29 juin dernier, la chaîne humaine organisée par les mouvements Bake Bidea et Artisans de Paix rassemblait 600 personnes sur le pont Charles de Gaulle, reliant Saint-Jean-de-Luz et Ciboure. Elle s’achevait place Louis XIV, par quatre prises de paroles et une casserolade. Ce jour-là, les intervenants ne mâchèrent pas leurs mots pour stigmatiser l’attitude du Parquet national antiterroriste à l’égard des prisonniers basques (dans ce cas précis il s’agissait de Jakes Esnal, en attente de décision reportée au 24 septembre). Ils déplorèrent également l’enlisement actuel du processus de paix victime de cet ostracisme. Aussi rendez-vous est-il d’ores et déjà donné au 19 septembre prochain.
Le PNAT (créé en juillet 2019) exclusivement consacré à la lutte antiterroriste au niveau national, dirigé par le magistrat Jean-François Ricard d’une main de fer, est donc cette structure qui fait systématiquement obstruction aux demandes de liberté conditionnelle émanant des trois plus anciens prisonniers d’ETA en France, Frédéric “Xistor” Haramboure, Jakes Esnal et Ion Parot, actuellement dans leur 31e année d’incarcération. Les deux premiers bénéficient rappelons-le, d’une clause de sureté de 18 ans, le troisième de 15 ans. Leurs requêtes pourraient être satisfaites sans difficulté insurmontable ? Or elles ne le sont pas. Pourquoi ? C’est qu’au-delà des opinions personnelles propres à tout un chacun et évidemment aux magistrats, la question relève de la raison d’Etat. Ce qui a toujours été le cas si l’on s’attache à l’histoire d’ETA depuis sa création en 1959. Ces trois hommes, de nationalité française, condamnés pour terrorisme en avril 1990, purgent une peine de réclusion criminelle à perpétuité, pour avoir fait partie du commando, dit “commando français itinérant”, qui sévit en Espagne de 1978 à 1988. Le fait est que s’ils avaient été arrêtés et jugés en Espagne, les prisonniers auraient, à ce jour, été remis en liberté. Preuve en est qu’Unai Parot (frère d’Ion Parot, membre du même commando, détenu en Andalousie) s’est vu en mars 2020, notifier par les autorités espagnoles le fait que sa peine était parvenue à échéance (1).
“La prison jusqu’à la mort ?”
La troisième demande de Frédéric Haramboure a été examinée lors d’une audience tenue le 9 juillet dernier. Et fait exceptionnel, notamment après avis favorable exprimé par un magistrat du parquet de Bayonne. Comment interpréter ce revirement inattendu ? Quelle en sera la portée au final ? Impossible à dire pour l’heure, tant certains magistrats se retrouvent dans une démarche de principe face à la lutte antiterroriste. Ou dit autrement, évoluent dans une démarche politique ayant pris le parti de ne pas tenir compte du désarmement d’ETA (8 avril 2017), ni de sa dissolution (3-4 mai 2018). Lors de l’audience du 9 juillet, non seulement l’argumentaire du procureur du Parquet national antiterroriste n’a pas bougé d’un iota, mais celui-ci s’est offusqué de la rapidité de la nouvelle requête présentée par Frédéric Haramboure. Le 24 juillet, le tribunal d’application des peines émettait un avis favorable à sa remise en liberté conditionnelle, immédiatement suivi de l’appel du parquet antiterroriste. Le lendemain 25 juillet, lors de rassemblements organisés à Saint-Pée-sur-Nivelle, autour du thème “La prison jusqu’à la mort? 30 ans, ça suffit !”, le président de l’Agglomération Pays Basque), Jean-René Etchegaray, en appelait, à “la sagesse des magistrats”. Alors que de leur côté, Bake Bidea et les Artisans de paix avaient adressé une lettre ouverte au Ministre de l’économie, de la finance et la relance, Bruno Le Maire, dont la famille possède une résidence à Saint-Pée-sur-Nivelle. Ils y soulignaient en particulier le fait que “tout conflit doit avoir une fin” et que les conséquences de “cette condamnation à une mort lente” pourraient être très graves (2). Ils demandaient au ministre d’intervenir auprès du Président de la République afin de ne pas laisser “bégayer l’Histoire”, ainsi qu’Emmanuel Macron l’avait lui-même souhaité en mai 2019 à Biarritz.
Un nouveau Garde des Sceaux
Dans ce contexte compliqué et fâcheux, la nomination d’un nouveau Garde des Sceaux en la personne d’Eric Dupond-Moretti viendrat-elle modifier la donne ? Si celui-ci a eu l’occasion de défendre des prisonniers corses, le sort des prisonniers basques intéressera-t-il cet avocat disposé à faire bouger certaines lignes (et non des moindres !) dans les arcanes d’une justice française dont il mesure les failles, notamment du côté de la magistrature et de son peu d’indépendance ? Aura-t-il d’ailleurs la possibilité et le temps de “réformer la justice” comme il souhaite le faire ? Nicole Belloubet a quitté son Ministère de la justice en laissant derrière elle, la problématique basque en suspens. Une ministre sans doute convaincue d’avoir rempli la mission qui lui avait été impartie, en autorisant plusieurs dizaines de rapprochements de prisonniers dans le Grand Sud Ouest (3). Tout comme la suppression de certaines mesures d’exception, au cours de deux années de coopération positive avec les acteurs du processus de paix. Mais une ministre vraisemblablement tenue par le gouvernement de ne pas aller au-delà de ces avancées. Lors d’un entretien sur France 2 (le 25 juin dernier), Nicole Belloubet n’avait elle pas rappelé que dans le système français, les procureurs sont sous la coupe “d’un système hiérarchisé” et que “le gouvernement détermine la politique de la nation, et donc la politique pénale”. Elle ajoutait : “C’est moi qui détermine la politique pénale sous l’autorité du Premier Ministre (…), je peux donc donner des instructions générales aux procureurs généraux qui les répercutent…” Question posée : pourquoi une instruction générale ne prend-elle pas acte de la situation actuelle d’un Pays Basque parvenu à faire taire les armes depuis plus d’une dizaine d’années ?
(1) Unai Parot purge actuellement une peine de 10 ans de prison dans le cadre d’une autre affaire. Pas de peines effectives de plus de 30 ans en Espagne, même si certaines condamnations s’élèvent à plusieurs centaines d’années, en matière de terrorisme notamment.
(2) Lettre ouverte publiée le 23 juillet dans les colonnes de Sud Ouest.
(3) En Espagne le transfert de trois nouveaux prisonniers vers le Pays Basque a été acté le mois dernier, des changements de statuts ont aussi été opérés. Au total, le gouvernement Sanchez a avalisé 49 rapprochements.
INFO PRESO
Josu Urrutikoetxea. L’été aura aussi été marqué par la remise en liberté pour raisons de santé de l’ancien dirigeant d’ETA, assigné à résidence sous surveillance électronique. Il a quitté la prison de La Santé le 30 juillet. Et se trouve en en attente de deux procès : les 19-20 octobre 2020 pour sa présence à Oslo (2011-2013) dans le cadre de négociations de paix avec l’Espagne, et les 21-22 octobre 2020, pour “association de malfaiteurs”.Mikel Barrios. Le jeune Navarrais a été incarcéré le 29 juin à la prison de Mont-de-Marsan. Il s’était établi à Itxassou depuis deux ans après son arrestation en Allemagne. Une trentaine de personnes l’y ont accompagné. Des magistrats du siège se sont rangés aux argumentaires du PNAT (Parquet national antiterroriste) lors de son procès, le 23 juin. Il a été condamné à 5 ans de prison.