Trois leaders de l’ex-Batasuna ont comparu pendant deux jours devant l’audiencia nacional. Comme si l’Espagne faisait tout pour mettre à mal une possibilité d’évolution du conflit basque en affaiblissant les acteurs principaux
de sa mise en œuvre.
ARNALDO Otegi, Joseba Permach et Joseba Alvarez comparaissaient les 11 et 12 novembre devant le tribunal d’exception espagnol. Le premier est toujours incarcéré. Six ans après les faits, les trois leaders indépendantistes sont accusés d’avoir commis le délit de glorification du terrorisme. L’article 578 du code pénal espagnol prévoit pour ses auteurs entre un et deux ans de prison et le procureur requiert contre eux un an et demi de prison et douze ans d’inéligibilité.
Le hic est que les faits paraissent totalement dérisoires et que leur contexte a beaucoup changé. Le 14 novembre 2004, lors d’un grand meeting au vélodrome d’Anoeta à Donostia, rassemblant plus de 15.000 personnes, des cris en faveur d’ETA auraient été proférés dans la foule et une vidéo a montré des preso et des martyrs d’ETA. Rien dans le discours prononcé par Arnaldo Otegi n’a prêté le flanc à la glorification ou à l’approbation du terrorisme. Au contraire, ce meeting fut l’acte 1 de la démarche qui s’enchaîna avec la déclaration d’Alsasua (reconnaissance des principes du sénateur américain Mitchell), puis la déclaration commune avec EA au palais Euskalduna de Bilbo qui marquent les réserves de plus en plus grandes, puis le rejet par Batasuna de la violence.
Otegi en remet une couche
Le procès de novembre 2010 contre les trois leaders d’ETA est d’autant plus étonnant que depuis quelque temps, les tribunaux espagnols ne condamnent plus en la matière: en novembre 2009, le Tribunal supérieur de justice a considéré que la présentation publique de photos de preso ne constituait pas une glorification du terrorisme. La Cour suprême a par la suite absous la maire d’Hernani qui avait été condamnée par l’Audiencia nacional pour avoir sollicité du public les applaudissements en faveur des preso basques.
La comparution d’Arnaldo Otegi lui a permis, malgré les interruptions et les dénégations du président de séance, de réaffirmer son choix en faveur de dépôt définitif des armes par l’organisation armée basque. Après son interview au journal El País qui fit grand bruit (Enbata n°2150), Otegi est allé encore plus loin: «Dans la situation actuelle, disons-le clairement, nous n’envisageons pas qu’il faille faire la moindre concession politique à ETA». Batasuna fait donc clairement le deuil d’une négociation avec l’Etat espagnol et de contre-parties politiques à obtenir en échange du silence des armes.
La déclaration est capitale car elle montre que Batasuna a tiré un trait sur les scénarios précédents —depuis les négociations d’Alger en 1986— tous placés sous la tutelle d’ETA qui se posait en garant des nécessaires concessions politiques que devaient faire les partenaires, qu’ils soient espagnols ou basques. Rodolfo Ares, ministre de l’Intérieur au gouvernement basque, a immédiatement repris le 14 novembre cette déclaration d’Otegi: «Si une rencontre entre les partis doit avoir lieu demain, elle se fera hors de la tutelle d’ETA». Une façon de dire qu’une négociation politique est déjà envisagée par les socialistes. Comme quoi, les choses évoluent vite.
Egiguren ne dit rien
Deuxième point assez surprenant, la façon dont Batasuna et son leader incarcéré avancent au fil des déclarations, comme indifférents à ce que pense ETA. Ils ont déjà tourné la page, alors qu’ETA se contente à ce jour d’un simple cessez-le-feu. Pour eux, la formule du cessez-le-feu définitif, unilatéral et vérifiable par des instances internationales semble acquise, alors qu’elle na pas encore eu lieu. Egiguren, comme le négociateur sud-africain Brian Currin, l’annoncent à son de trompe, mais ils n’y peuvent pas grand-chose… et tout le monde attend.
L’autre moment très attendu du procès fut la comparution en tant que témoin et à la demande d’Otegi, de Jesus Egiguren, président du PSOE en Pays Basque. Le battage médiatique qui précéda sa venue à la barre fut à la proportion inverse du contenu et de la durée de la déclaration du leader socialiste. Elle dura à peine cinq minutes. Briefé la veille par Rubalcaba, vice-président du gouvernement espagnol avec lequel il déjeunait, Jesus Egiguren indiqua que la moitié de l’Espagne était déjà au courant du contenu de la déclaration d’Anoeta en 2004, largement médiatisée avant même qu’elle n’ait lieu. Il précisa ses relations amicales avec Arnaldo Otegi qui fut son interlocuteur lors des négociations de Loyola et pendant tout les préparatifs exploratoires qui les ont précédés. Et ce fut tout. Au grand soulagement du PSOE qui craignait une nouvelle bombe politique susceptible de le mettre en grand embarras.
Ce procès confirme le grand virage amorcé par Batasuna depuis maintenant plusieurs mois et qui chaque jour se précise davantage. Les socialistes ont pris la mesure de ce changement radical. Malgré cela, l’Espagne joue encore une fois une pièce dont ses juges tirent toutes les ficelles et connaissent par cœur la mise en scène: jeter en pâture quel-ques Basques infréquentables dans une grande salle madrilène, l’Audiencia nacional. Comme une péripétie, avec un air de nostalgie en prime.