MonsIeur Le Président, Nous sommes quatre citoyens bas-ques (du Pays Basque Sud, Etat espagnol), Julio Villanueva, Mikel Alvarez, Gorka Ovejero et Ibon García et nous nous adressons à vous pour vous faire part de notre situation: nous risquons de quatre à dix ans de prison pour le seul entartage, à Toulouse, de la présidente de Navarre, Mme Yolanda Barcina. Et si nous nous adressons à vous, c’est parce que, outre les difficultés du con-texte espagnol auquel nous sommes con-frontés, la France a collaboré à créer cette situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.
Le 27 octobre 2011, nous quatre, membres du mouvement Mugitu! (plateforme d’opposition et de désobéissance au Train à Grande Vitesse), avons mené une action de dénonciation du TGV à Toulouse en entartant à trois reprises la présidente du gouvernement autonome de Navarre, Mme Yolanda Barcina. L’entartage, c’est bien con-nu, est utilisé partout en tant que forme de protestation pacifique et ne vise jamais à blesser la personne visée. C’est bien dans cet état d’esprit que l’entartage s’est déroulé à Toulouse. Précisons que cette action a eu lieu dans le cadre d’une conférence de la Communauté de travail des Pyrénées (CTP), où les gouvernements autonomes et régionaux des deux côtés des Pyrénées voulaient justement entériner une déclaration en faveur des LGV (Lignes à Grande Vitesse) transpyrénéennes.
Cette action de désobéissance civile s’est déroulée pacifiquement depuis le début, sans aucune forme de résistance de notre part. A notre grand étonnement (au Pays Basque Sud, nous sommes habitués à un tout autre contexte), nous n’avons été ni interpellés ni arrêtés par les autorités françaises et avons pu sortir du lieu sans problème, tout en faisant des déclarations devant la presse dans la salle de conférences de la CTP. Là, nous avons expliqué tous les détails de l’action ainsi que les raisons pour lesquelles elle avait été menée.
Or, si cela s’est passé pacifiquement en France, du côté espagnol, il en a été tout autrement: nous avons été pris en charge par les autorités espagnoles et aussitôt inculpés. Nous risquons des peines de prison de 4 à 10 ans pour cet entartage, alors qu’en France une action de cette sorte n’est punie que par de petites amendes.
C’est pourquoi nous voulons nous adresser au gouvernement français pour lui rappeler sa responsabilité en tant que collaborateur ayant permis cette persécution pénale délirante pour des faits commis dans son territoire. Il faut insister, en effet, sur l’opacité qui a entouré les investigations menées en France autour de cette affaire. A cet égard, on sait maintenant que le Tribunal de grande instance de Toulouse a ouvert un dossier après la plainte déposée à la police française par M. Martin Malvy, président du Conseil régional de Midi-Pyrénées et président de séance de la CTP, le jour de l’action. Le 28 novembre 2011, la police française a même convoqué les deux personnes de citoyenneté française qui nous avaient soutenus lors de l’action, et ils ont tous les deux déclaré au commissariat central de Toulouse. Depuis lors, personne n’a pu savoir quoi que ce soit sur ces investigations. Egalement, nous n’avons reçu au-cune réponse à notre demande officielle de déclarer devant le tribunal de Toulouse.
Malgré tout, cette opacité montre bien, selon nous, la collaboration de l’Etat français avec l’Etat espagnol afin de laisser l’affaire entre les mains de l’Audiencia nacional, où notre cas est l’objet d’une procédure pénale très grave: ladite cour a décrété le 2 avril un «Auto de procesamiento» contre nous, avec une demande de peines de 4 à 10 ans de prison sous le chef d’accusation d’«attentat grave contre l’autorité». Cette cour a aussi négligé les appels de notre avocat a reconsidérer et classer l’affaire comme «Juicio de faltas» (jugement pour contravention). C’est sous cette juridiction que, dans le pire des cas, devrait se trouver notre jugement, si on prend en considération le principe de proportionnalité et l’ampleur des faits. Comme les tribunaux français l’ont établi eux-mêmes après de nombreux entartages en France, ce procès ne devrait être qu’une affaire mineure ne méritant qu’une amende —si tant est qu’il faille imposer une peine.
[…]
Malgré la difficulté de nos situations personnelles, nous voulons encourager les citoyens à lutter contre cette aberration et ce gaspillage insensé que représente le TGV, en renseignant les gens et en nous mobilisant contre ce projet. Pour ce faire, nous avons les outils des citoyens actifs et engagés, qui n’hésitent pas à avoir recours à la désobéissance civile en tant que moyen valable et légitime d’action.
Julio Villanueva, Mikel Alvarez,
Gorka Ovejero, Ibon García
inculpés pour l’action du 27 octobre 2011
à Toulouse
Bilbao, le 15 mai 2012