Langue basque une politique à la croisée des chemins

La politique en faveur de la langue basque en Pays Basque Nord a connu des évolutions majeures au cours de ces dix dernières années. Nous allons essayer de faire un point sur la situation ac-tuelle de la langue et de cette politique. Malgré ces évolutions positives, afin d’éviter l’essoufflement, voire l’enlisement, il apparaît que des choix importants sont à faire.

Enbata: Quels sont les moteurs de cette évolution positive?
Battittu Coyos: C’est grâce au travail sans relâche, obscur, parsemé d’obstacles de tous ordres, des associations militant en faveur de la langue basque que de nombreux chantiers dans le champ de la politique linguistique ont été ouverts, alors que les pouvoirs publics se contentaient de les ob-server et parfois de s’opposer à leur action. Citons, par exemple, les ikastola, premières écoles d’enseignement par immersion crées en France, l’enseignement du basque aux adultes ou les radios associatives en langue basque, qui ont démarré leurs activités dans des conditions matérielles très difficiles et dans un contexte souvent hostile. Ce sont les militants associatifs qui ont mis sur la place publique la problématique des langues et amené progressivement élus et grand public à la prise de conscience du danger dans lequel se trouvait le basque.

Enb.: Quelle est l’implication des pouvoirs publics dans la politique linguistique?
B. C.: Suite à un long cheminement et non sans difficultés, un organisme de droit public, l’OPLB a été créé fin 2004. Il a pour mission d’élaborer et de mettre en œuvre une politique linguistique pour la langue basque. Ses principaux partenaires sont l’Etat, la Région, le Département. Son budget pour 2012 est de 3.332.400 euros. Le gouvernement autonome basque y participe.
La grande réussite de l’OPLB a été de réunir les pouvoirs publics qui élaborent la politique linguistique et la financent, lesquels jusque-là étaient loin d’être convaincus de la nécessité d’une telle politique. Les principales associations qui, comme dit plus haut, de-puis plusieurs dizaines d’années luttaient pour la survie de la langue, créaient des structures, acquéraient un certain savoir-faire, des compétences que les pouvoirs publics ignoraient, sont devenues au côté de l’Éducation nationale les principaux maîtres d’œuvre de cette politique publique toute nouvelle.
L’objectif principal du projet de politique linguistique de l’OPLB a été de développer l’apprentissage scolaire du et en basque. Ce choix était logique puisqu’il prenait en compte la situation de la langue, en particulier un nombre de locuteurs en diminution permanente et une transmission familiale très fai-ble. Il pouvait s’appuyer sur un dispositif public et privé d’enseignement scolaire de la langue déjà bien implanté et sur une demande sociale des familles bien réelle.

Enb.: Cette politique publique actuelle a-t-elle des limites?
B. C.: Mais l’attitude des pouvoirs publics reste encore ambiguë malgré les discours. L’Etat, la Région et le Département, principaux bailleurs de fonds de l’OPLB, donnent l’impression de se comporter comme ces entreprises qui achètent le droit de polluer, plutôt que de réduire leurs émissions polluantes. En effet, en interne, ces administrations développent très peu ou pas du tout l’usage de la langue, alors qu’elles revendiquent un certain volontarisme arguant qu’au sein de l’OPLB elles conçoivent la politique publique.
De plus, en dépit des promesses, la politique actuelle de restriction budgétaire au plan national empêche le développement de l’enseignement du et en basque, alors que la demande des parents est forte. La place proéminente de cet enseignement dans le projet de politique linguistique de 2006 de l’OPLB a depuis été quelque peu revue. «Le développement de la connaissance est nécessaire mais non suffisant (…) une politique linguistique n’est efficace que si on agit à la fois sur la transmission et sur l’usage» (OPLB, Cadre opérationnel provisoire 2010-2016 pour la politique publique linguistique, p. 14).
Dans le projet de politique linguistique de 2006, on pouvait lire: «(…) un jeune apprenant le basque à l’école et devenant lui-même parent quelques années plus tard, peut à court terme relancer la transmission familiale, condition essentielle à la pérennité du processus de revitalisation» (p. 11). Il est évident que bien d’autres conditions doivent être réunies pour qu’un jeune qui a appris la langue à l’école la transmette ensuite à ses enfants. Il y a là un raccourci qui ne tient pas, même si évidemment la connaissance de la langue est une condition sine qua non de la transmission en famille.
Mis à part les domaines déjà investis par les associations, la politique linguistique pu-blique n’a permis d’ouvrir que deux champs nouveaux. D’une part, la structuration d’une offre d’accueil bascophone pour la petite enfance, avec la création de quelques crèches bascophones ou bilingues. D’autre part, la mise en place d’un réseau de techniciens de la langue, en partenariat entre l’OPLB et quelques communes importantes ou les communautés de communes. Il a permis de rapprocher la politique linguistique du citoyen, même s’il reste là aussi beaucoup à faire. Mais tout ceci reste bien insuffisant pour retourner la substitution linguistique du basque par le français.
Notons que l’équipe de l’OPLB, huit personnes pour l’instant, a beaucoup de mal à faire face à tous les chantiers ouverts, à tout le travail administratif (gestion des dossiers, attributions des subventions, suivi des con-ventions, organisation des projets et partenariats, etc.).
Côté associations enfin, on se plaint de ne pas être vraiment assez associé à l’élaboration de cette politique publique, le Comité consultatif de l’OPLB ne fonctionne pas correctement, et on estime que les aides financières en stagnation sont insuffisantes. Ce sont pourtant les associations qui assurent l’essentiel du travail en faveur de la langue.

Enb.: Peut-on mesurer l’avancée de cette politique linguistique?
B. C.: A l’heure actuelle en France, le basque a le meilleur taux de scolarisation dans les modèles bilingue et immersif en maternelle et primaire avec 35% des enfants, et plus de 43% en maternelle. Mais derrière cette addition, «toutes filières confondues», se cache une sorte de tromperie intellectuelle car on sait bien, malgré l’absence d’études et d’évaluations sérieuses en ce domaine de ce côté-ci de la frontière, que le niveau de bas-que des élèves des classes bilingues, sauf s’ils parlent basque à la maison, est inférieur à celui des élèves des classes immersives. Ce sont ces derniers, ayant quitté la vie scolaire, que l’on retrouve ensuite impliqués en basque dans la vie associative, ce sont eux qui utilisent le basque dans la vie courante, dans la mesure où ils le peuvent. C’est parmi eux que l’on trouve les transmetteurs de la langue.
Il faut donc stopper l’essoufflement actuel de cette politique linguistique. Dans cette direction, le groupe de travail n°4 du Conseil de développement du Pays Basque a produit un rapport très intéressant il y a peu. Pour dépasser la situation actuelle, il a avancé deux propositions: passer d’une politique de la demande vers une offre généralisée de l’enseignement de la langue basque et, selon un régime dérogatoire, prendre le Pays Basque comme territoire d’expérimentation afin de «normaliser» la langue dans la vie sociale. Voilà deux perspectives qui, si elles sont mises en œuvre, pourraient vraiment changer la donne.

Enb.: La reconnaissance juridique du basque est-elle indispensable?
B. C.: Un cadre juridique favorable est né-cessaire. La France refuse en pratique toute reconnaissance officielle aux langues dites régionales. L’article 75-1 de 2008 de la Constitution, Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France, n’a qu’un caractère déclaratif que les différents jugements de tribunaux ont confirmé depuis. La seule langue officielle en France est le français, l’article 2 de la Constitution (1992) et la loi relative à l’emploi du français (1994) l’ont «inscrit dans le marbre».
François Hollande, nouveau président de la République, avait fait savoir qu’élu, il procéderait à une modification de la Constitution afin de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires que le Conseil constitutionnel avait estimé en 1999 incompatible avec la Constitution. Ce serait un pas en avant. Toutefois, François Hollande a aussi indiqué «que la seule langue officielle est le français» (Corse-Matin, 15 septembre 2011).
Cette exception «linguistique» française est complètement anachronique, d’ordre essentiellement idéologique et largement dépassée dans le contexte européen actuel.
Le domaine de la politique linguistique, de la gestion des langues menacées, est un do-maine scientifique assez nouveau parmi les sciences sociales. Il a été peu travaillé, certains concepts sont encore en cours d’élaboration, d’autres évoluent. L’observation et l’analyse sur le terrain sont récentes. C’est sur ce dernier point, celui de la description, qu’on a le plus avancé, plus que dans celui-ci de la prescription, les actions à mener
pour sauvegarder, développer des langues. Quant à la prédiction sur l’avenir de la langue, elle paraît moins utile et surtout moins fiable quant à la validité de ses ap-ports.
On peut voir la politique linguistique comme un partenariat entre trois acteurs dont l’implication totale est indispensable: le commanditaire, le prestataire et le bénéficiaire. Concrètement il s’agit maintenant de dépasser le stade des actions dispersées pour arriver à mettre en place une politique linguistique cohérente, planifiée, élaborée collectivement entre commanditaire, les pouvoirs publics, et prestataire, associations et administrations, avec des objectifs fixés, quantifiés et ensuite évalués. Pour cela la participation du troisième partenaire, le bénéficiaire, la société civile, est indispensable.

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