La Turquie face au printemps arabe par David Lannes

Les grandes puissances occidentales ne sont pas les seules à tenter plus ou moins adroitement de se faire une place dans la nouvelle carte géopolitique que le printemps arabe dessine sous nos yeux. L’Iran, l’Arabie Saoudite et la Turquie entendent aussi en tirer profit pour accroître leur influence régionale. Et comme au bon vieux temps de la guerre froide, les ambitions hégémoniques des protagonistes redonnent de l’importance à des conflits plus localisés comme celui du Kurdistan et de la Palestine.
L’Iran n’est pas en très bonne position. La théocratie persane souffre en effet de la violente campagne anti-chiite orchestrée par l’Arabie Saoudite et ses dirigeants sont bien trop maladroits pour inverser la tendance; Khamenei s’est par exemple fait rembarrer par les Frères Musulmans lorsqu’il a prétendu que la révolution égyptienne était un prolongement de la révolution iranienne de 1979. Mais c’est en soutenant de tout son poids le régime de Bachar el-Assad en Syrie que Téhéran a ruiné ses espoirs d’être un modèle pour le printemps arabe. Pour ne rien arranger, l’Iran s’est même fait doubler par la Turquie sur le dossier palestinien qui était son principal argument de propagande au sein du monde arabe. Maigre lot de consolation, la théocratie persane joue un rôle déterminant en Irak et peut se servir du dossier kurde pour faire pression sur Ankara; le fait qu’elle vienne de repousser une proposition turque de mener des opérations conjointes contre le PKK n’est donc pas anodin…

Campagnes anti-chiites saoudiennes
Confrontée aux soulèvements arabes, l’Arabie Saoudite a quant à elle utilisé ses deux armes habituelles, le sectarisme religieux et le dollar. Terrifiée à l’idée que sa minorité chiite ne se révolte, elle a intensifié sa propagande anti-chiite et montré toute sa détermination en intervenant militairement au Bahreïn. Dans les pays en proie à des soulèvements, elle soutient financièrement les mouvements qui lui sont le plus proches, et grâce à sa récente réconciliation avec le Qatar, ce soutien est aussi médiatique (via Al Jazeera), voire militaire comme en Libye. L’Arabie vole aussi au secours des pays menacés; elle a par exemple proposé deux milliards de dollars à la Jordanie et l’a invitée à rejoindre le GCC (conseil de coopération des Etats arabes du golfe). La même offre ayant été faite au Maroc, il semble clair que le GCC a décidé d’abandonner sa cohérence géographique et économique pour servir de colonne vertébrale à la contre-révolution. Cette politique pourrait toutefois avoir atteint ses limites avec la montée en puissance de la Turquie. Les campagnes anti-chiites saoudiennes n’ont en effet aucune prise sur ce pays, dont le modèle sociétal est par ailleurs bien plus attrayant que celui des autocraties du golfe.
La Turquie partait avec de lourds handicaps —c’est
un pays non arabe, de surcroît ancienne puissance coloniale—, mais son premier ministre Erdogan s’est habilement positionné en faveur des différents soulèvements. Alors que l’Iran se décrédibilisait en soutenant le régime syrien, la Turquie a su prendre ses distances avec Kadhafi et el-Assad malgré ses rapports commerciaux avec la Libye et sa grande proximité avec la Syrie. Ce positionnement courageux et sa bonne santé économique permettent à la Turquie de se présenter comme un modèle de démocratie islamique et un vecteur de réformes politiques dans le monde arabe. C’est un rôle auquel ni l’Iran ni l’Arabie Saoudite ne peuvent prétendre, et Erdogan s’est donc fait un plaisir d’enfoncer le coin lors de son discours à la ligue arabe: «La liberté, la démocratie et les droits de l’Homme doivent être réunis en un seul slogan pour l’avenir de nos peuples».

Le dossier kurde peut briser l’aura turque
La popularité de la Turquie au sein du monde arabe doit aussi beaucoup à son attitude vis-à-vis de la Palestine. En refusant catégoriquement de s’excuser pour le meurtre de 9 militants turcs lors de l’assaut du navire Mavi Marmara qui tentait de forcer le blocus de Gaza en 2010, le premier ministre israélien a fait un beau cadeau à Erdogan. La Turquie était l’un des principaux alliés régionaux d’Israël, mais l’attitude obtuse de Netanyahou a permis à Erdogan de rompre avec cette politique qui lui était jusque-là en partie imposée par ses généraux. Ayant expulsé l’ambassadeur israélien et annulé de nombreux accords commerciaux, Erdogan est désormais crédible lorsqu’il déclare sous les ovations que «la Palestine est une cause pour la dignité humaine. Il est temps de hisser le drapeau palestinien à l’ONU».
Comme on peut s’en douter, ce nouveau positionnement n’est pas tout à fait du goût de Washington, mais Ankara a su ménager ses relations avec son puissant allié en acceptant l’installation sur son sol d’une base radar de l’OTAN, au grand dam de l’Iran. Et pour ne pas se brouiller avec les pays arabes du golfe, Erdogan a délibérément pris parti pour le régime en place au Bahreïn, révélant ainsi qu’il était davantage un fin politicien qu’un homme de conviction. Heureusement pour son image, ce conflit est très sous-médiatisé, et ce positionnement douteux ne lui a pas nui. A vrai dire, seul le dossier kurde semble de nature à pouvoir briser l’ascension de la Turquie. Comme on l’a vu, l’Iran pourrait être tenté d’utiliser le PKK pour déstabiliser la Turquie; il en est de même d’Israël dont le ministre des affaires étrangères aurait envisagé de soutenir la guérilla kurde. Dans ce contexte, la recrudescence récente de la violence au Kurdistan a de quoi inquiéter. Mais surtout, la Turquie serait mal à l’aise dans son costume de défenseur des peuples opprimés si elle devait rouvrir un conflit d’envergure avec sa propre minorité kurde. Gageons toutefois qu’Erdogan est un homme politique suffisamment intelligent pour ne pas hypothéquer l’ascension de son pays par un conflit qu’il a été à deux doigts de résoudre en 2009…

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