1962: Elan extraordinaire, émancipation des pêcheurs, développement de la pêche artisanale et son appui fondamental: la conserverie. En 1964, la flottille de pêche de Saint-Jean-de-Luz compte 191 bateaux de pêche, 1.200 pêcheurs, 13 conserveries, environ 2.000 emplois, fabriquant 6.340 tonnes de conserves de thon, 5.190 tonnes de conserves de sardines, 271 tonnes d’anchois et 630 tonnes de salaisons d’anchois. A ces emplois s’ajoutent les emplois induits des ateliers, transports, bu-reaux etc. Le port de Saint-Jean-de-Luz, déjà premier port thonier français en 1952 devient en 1966 premier port sardinier avec 6.750 tonnes grâce aux apports du Maroc et de la Mauritanie où travaillent les sardiniers congélateurs. En 1963 la 7ème campagne de Dakar démarre avec 32 bateaux et 473 personnes en déplacement.
Aujourd’hui, contrairement à ce qu’on dit
la pêche n’est pas finie!
Au quartier maritime de Bayonne, il y a 300 pêcheurs de Hendaye à Capbreton en passant par l’Adour. A ceux là sont à ajouter 500 pê-cheurs résidant ailleurs embarqués dans la flotille franco espagnole.
Au port de Saint-Jean-de-Luz-Ciboure, 25 unités de pêche, 130 pêcheurs. La dernière conserverie, Saupiquet, a fermé ses portes il y a une quinzaine d’années. Quatre ou cinq entreprises travaillent le poisson local au niveau artisanal, comme les soupes de poisson et la fabrication de rillettes de poissons locaux et divers conditionnements.
Quels sont les atouts de la pêche actuelle? Diversité des métiers, diversité des espèces, bonne infrastructure.
Il y a un avenir de la pêche en Iparralde.
D’abord parce qu’il y a plusieurs métiers de pêche selon les saisons et il y a une bonne quarantaine d’acheteurs. La filière de production est constituée de 9 métiers de pêche: palangres, thon à la canne, filet bolinche, chalut de fond, chalut pélagique, chalut pour algues, filets droits, filets maillants divers, casiers. 12 palangriers pêchent le merlu de ligne qui a eu les honneurs d’une fête gastronomique. Il reste 4 bolincheurs grâce à la sardine, au chinchard, au maquereau. Pour le poisson divers, 3 chalutiers de fond ou classiques et 4 chalutiers pélagiques qui alternent avec le chalut de fond. A cela s’ajoutent une trentaine de fileyeurs sur Capbreton et Saint-Jean-de-Luz. La majorité des bateaux ont moins de 12 mètres. Il ne faut pas oublier les 15 couralins professionnels sur l’estuaire et l’Adour et une vingtaine d’armateurs sur Capbreton. Il n’y a plus de bateaux locaux à Dakar.
Autre atout: la criée de Ciboure, gérée par l’association de soutien à la criée (tripartite pê-cheurs-mareyeurs-pêcheurs) est animée par une quarantaine d’acheteurs-mareyeurs, représentant une vente de 4.450 tonnes en 2011 pour une valeur de 15,419 millions d’euros. Les quatre premiers mois de 2012 ont été bons.
Atout majeur, la ressource se repeuple. Il y a
40 espèces de poissons commercialisées. Le gouffre de Capbreton, golfe de Gascogne, internationalement appelé Biscay Bay, golfe de Biscaye, est un lieu de pêche particulièrement riche, comparable à deux chaînes pyrénéennes séparées par un énorme gouffre qui descend jusqu’à 5.000 mètres dont les parois et les canyons, sont des lieux d’habitat et de repeuplement pour les poissons. La pêche s’y maintient grâce à un plus grand respect de la loi de cantonnement de 1967 et au fait qu’il y a beaucoup moins de bateaux de pêche en activité. La mer se re-peuple: l’anchois revient après quatre années d’absence, le merlu revient en quantité importante, et on assiste à une «tropicalisation» des eaux du Golfe, avec des espèces en masse comme le mérou. S’il est vrai que dans le Golfe du Mexique ou ailleurs il existe une raréfaction de la ressource à cause d’une surpêche et de la pollution non maitrisée ici, la pêche se maintient, malgré les conflits entre métiers et à propos des espèces (thon, anchois…), malgré les pressions des administrations, malgré la mondialisation et la pression touristique de la Côte basque. Le poisson local, bio par excellence, a de l’avenir et des jeunes continuent à croire en ce métier.
Un des défis majeurs du port de Saint-Jean-de-Luz demeure la mutualisation des efforts pour soutenir la pêche artisanale. Cette mutualisation est à réaliser en accord avec tous les acteurs dont le Comité local des pêches, le Conseil général (concessionnaire), la CCI (sous concessionnaire) et aussi le Conseil régional. Il appartient à ceux qui vont risquer leur vie en mer pour générer localement l’économie de pêche de s’entendre pour défendre leurs intérêts en mer et au port.
Baltxan, un exemple de bonne santé de la pêche locale. Nous avions lancé avec Itsas Gazteria (fondée en 1990), une petite coopérative d’économie solidaire nommée Baltxan («en-semble») afin de soutenir les jeunes pêcheurs artisans. Avec l’aide de la Caisse d’Epargne et des fonds PELS on a commencé par attribuer 7 fois 5.000 euros à 7 projets de jeunes pê-cheurs remboursables à taux zéro, au fur et à mesure des ventes en criée à raison de 5% de ces ventes. De ces 7 projets à 5.000 euros nous sommes passés maintenant à 28, avec l’appui logistique (gratuit!) de Logicoop et Herrikoa! Nous avons donc quadruplé en 6 ans! Il y a donc une jeunesse, des vocations et si on investit il y a des retours sur investissement en proportion, ce n’est pas le cas chez nous. Mais il faut veiller comme le lait sur le feu et maintenir entre tous le respect de la ressource halieutique (poissons).
Il y a aussi une bonne infrastructure portuaire: une bonne criée informatisée, les pontons, des installations mises en place entre 2003 et 2004 par la CCI, concessionnaire du port, et le sleep de carénage. Les indicateurs économiques tant de la criée que des organismes de gestion sont positives.
A la place de la maison du port incendiée, vient d’être érigé un lieu de vente directe. Dans cet incendie, nous avions perdu toutes les archives du Comité local des pêches (depuis plus de 60 ans) et du syndicat des marins. Altxa Mutilak a publié un livre de 430 pages, “Mémoire de la Pêche” avec une mine de photos et informations. Toujours disponible. A noter que malgré les richesses du patrimoine maritime basque et l’action de Itsas Begia, il n’y a toujours pas localement de musée de la pêche, comme il en existe dans tous les ports!
La pêche, une réalité
qui devient compliquée
à comprendre par un terrien: pourquoi?
Qu’est-ce qui a changé depuis 1962? En 1962 il y avait une unité: un port, une criée, un monde bien compact, une structure coopérative de pêcheurs, avec la puissante Itsasokoa fondée et dirigée par Koxe Basurco et son équipe. Aujourd’hui ce monde-là est éclaté, il y a un organigramme chargé d’une douzaine d’organisations. Logicoop, descendante d’Itsasokoa, unit une partie des armateurs, elle continue son activité malgré les secousses internes et ex-ternes. La coopérative «La Basquaise» créée en 1946, joue un rôle important au niveau de l’avitaillement et de la représentation des pê-cheurs à la criée. La vie syndicale est à marée basse. Le Comité Local représente toujours l’ensemble de la filière.
Avec l’association de gestion de la criée, c’est l’OP, Organisation de Producteurs, qui est devenue une des organisations importantes. Les OP ont été mises en place en 1974 car c’est l’Europe qui décide de ce qu’on peut pêcher (quota) et de qui peut pêcher, quand et avec quel engin. Les quotas (quantités de poissons à pêcher) sont gérés par les OP: localement, c’est l’OP Cap Sud. On peut appartenir à une OP, ici, en Bretagne ou ailleurs, sans vendre à la criée de ce port. Il y a des bateaux inscrits à l’OP Cap Sud pour acquérir des quotas mais qui ne viendront pas vendre à la criée de Ciboure. Si 4.000 tonnes sont vendus (en première vente) à la criée de Ciboure, 14.000 tonnes sont pê-chées par les «franco-espagnols» immatriculés BA, soit une quarantaine de bateaux inscrits au quartier maritime de Bayonne. C’est la mise en pratique de l’Acte unique européen avec la libre circulation des bateaux, des marchandises, des capitaux… On peut très bien, avec un bateau immatriculé à Bayonne, par conséquent avec pavillon français, avoir les quotas attribués par l’OP de Saint-Jean-de-Luz, aller pêcher en Irlande, débarquer dans un port irlandais, et le ven-dre à Santander, La Corogne ou Ondarroa et occasionnellement à la criée de Ciboure. Fait paradoxal, la criée de Ciboure est environ au vingtième rang, alors que le quartier maritime de Bayonne en totalisant ainsi environ 18 milles tonnes (avec les franco-espagnols) de poissons capturés est un des premiers du littoral français après Boulogne.
Un concurrent de taille l’Aquaculture
Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, en 2012, l’aquaculture fournit plus de protéines que la pêche elle-même! Comment faire face au panga du Vietnam, un panga d’aquaculture médiocre? Là on rejoint les agriculteurs dans ce qu’on appelle la traçabilité «Sor marka», vendre du poisson pêché à tel endroit, par tel bateau… Il faut aider le consommateur à faire la différence entre un panga vietnamien et un merlu de ligne ou un poisson frais de chalut!
Une belle innovation:
du poisson dans le panier de la ménagère
du Pays basque intérieur
De 1960 à nos jours le marché du poisson a totalement changé. Il est soumis à la mondialisation: 80% du poisson consommé en France est importé. Foronda, aéroport de Vitoria, est le premier port de pêche du Pays Basque avec 15.000 tonnes par an de merlu frais qui viennent en avion de Namibie et d’Argentine, à un prix de 2,50 euros/kg alors que nos pêcheurs doivent le vendre au minimum à 7 euros… Il faut faire face au marché, trouver de nouvelles niches.
Avec l’appui de l’AXE 4 (fonds européens) et l’impulsion du Comité Local, le port de Saint-Jean-de-Luz a présenté plusieurs projets pour travailler sur la commercialisation du poisson. Maintenant à Baigorri, à Saint-Jean-pied de port, Saint-Palais, Hasparren, Mauléon, on commence à cuisiner du merlu ou du chinchard. Alors qu’avant on se limitait surtout à la morue. Maintenant il y a le «panier» ou le “colis”, similaire aux AMAP: des centaines de familles, régulièrement, s’abonnent à un colis, à raison de 20 ou 30 euros/mois. La coopérative Logicop gère ce marché riche de 1.300 clients répartis dans 12 points de vente, de la côte et de l’intérieur. Avec l’aide de l’axe 4, les femmes de pêcheurs de l’association Uhaina ont établi un petit livret comprenant des menus pour dix-neuf poissons de mer, donné à tous les acheteurs de l’intérieur. Sans aller à l’encontre des poissonniers et mareyeurs, cette forme de commercialisation est un plus. Il y a aussi une vente directe sur le port de Ciboure avec un abri flambant neuf pour trois bateaux actuellement, pouvant en abriter quatre autres, ainsi qu’une vente directe à Saint-Jean-de-Luz où les luziens viennent en nombre important acheter directement aux pêcheurs. Diversité des espèces, diversité des métiers et aussi une très bonne formation des pêcheurs grâce au Lycée maritime d’Aquitaine, un des meilleurs de France. Si avant, on formait des mousses pour la pêche, maintenant sur dix élèves qui sortent du lycée maritime, peut-être deux iront réellement à la pêche, les autres se tourneront vers d’autres métiers: l’offshore, le pétrole, le commerce, la marine nationale, la plaisance etc. La mer ouvre des perspectives pour de belles carrières.
Les pêcheurs et la Mer partagée
En 1962, le pêcheur était «maitre à bord» en mer… Aujourd’hui on parle de la «mer partagée», le pêcheur est obligé de composer avec d’autres acteurs: les écologistes, le tourisme, les aires marines protégées, les éoliennes, les élus, toute une série d’autres acteurs qui font que le pêcheur, lui-même, est obligé de composer. Aujourd’hui il est évident que le défi des pê-cheurs d’ici comme d’ailleurs, c’est de montrer que sa pèche est respectueuse de l’environnement, des ressources, des hommes, de l’avenir.
La Pollution
et le souci de l’environnement
Continuerons-nous à mettre la planète en l’air? Quand je naviguais, comme cuistot, tous les déchets, les huiles de friture, repartaient en mer… Maintenant les pêcheurs du port de Ciboure-Saint-Jean-de-Luz, ramènent les dé-chets à quai… Une action nommée Itsasoa est en cours de réalisation. Il s’agit de pallier au tout diesel, en utilisant comme carburant des HVP, huiles végétales pures. Une vingtaine d’agriculteurs locaux produisent des tourteaux à partir des graines de tournesol. Les 2/3 de la production produisent de l’alimentation pour le bétail et le tiers restant produit de l’huile végétale, déjà utilisée dans les tracteurs et aussi les camions de Bizi Garbia pour la collecte des déchets. Actuellement deux bateaux de pêche luziens sortent du port au diesel et pendant tout le reste du temps fonctionnent à l’huile végétale pure fournie par une filière directe locale. Une expérience unique en Europe qui donne entière satisfaction!
Demeure une question délicate qui devra un jour être éclaircie, la gestion des déchets nucléaires et leur rejet en mer.
Europe: quel défi?
En 20 ans l’Europe a perdu plus de la moitié de sa capacité de pêche. Au nom du fait qu’il fallait limiter les bateaux. L’Europe a offert sur un plateau le marché du poisson aux importateurs. Si l’on veut que la pêche vive il est urgent de changer de cap. En particulier, un combat est livré au niveau européen par la pêche artisanale contre les QITs (Quotas individuels transférables) que la commission européenne voudrait mettre en place pour la prochaine PCP (Politique communautaire des pêches qui démarre en 2013). L’Islande avait appliqué ce système des QITs où les quotas étaient attribués à une poignée de gros armateurs. Conséquence logique: les petits pêcheurs ont disparu et ce fut le fiasco de la pêche islandaise. Ayant appris la leçon, l’Islande a refusé ce système et revient à des quotas gérés par des communautés de pêcheurs artisans comme c’était le cas chez nous, avec les cofradias, à partir du XIVème siècle. L’Europe et les divers gouvernements doivent prendre les mesures nécessaires et urgentes pour le maintien de la pêche artisanale: tenir compte de la parole des pêcheurs et pas seulement des scientifiques et des environnementalistes. Permettre aux communautés de pêcheurs de gérer leurs captures. Dynamiser le marché du poisson local. Soutenir l’accession des jeunes à l’armement. Aider tout ce qui va dans le sens d’une mer propre et d’un développement durable. Réfléchir entre tous à l’avenir de la pêche dans le Golfe de Gascogne: quelle pêche veut-on y développer? Quelle étique commune doit-on adopter pour que les quotas soient au service de tous et non du profit immédiat?
Iparralde, l’Europe, le Monde
Un véritable scandale planétaire: la spoliation des eaux du Tiers-Monde. Les protéines de la mer entrent dans l’alimentation de base de un milliard d’habitants. Cette alimentation est saccagée par la pèche industrielle. Voici des données qui devraient faire réfléchir: 12 millions de pêcheurs artisans, dont 90% d’asiatiques, capturent 30 millions de tonnes de poisson, sans rejet de poissons en mer, en dépensant 3 millions de tonnes de carburant. Face à cela, 500.000 pêcheurs in-dustriels capturent la même quantité (30 millions de tonnes), avec 10 fois plus de carburant, en rejetant en moyenne 20 millions de tonnes par-dessus bord. Cette pêche industrielle reçoit 5 fois plus de subventions internationales que la pêche artisanale.
La vraie question: comment vivre sur cette planète terre où l’on approche des 7 milliards d’habitants sans compromettre la vie des générations futures, en respectant les écosystèmes marins et terrestres, qui con-tiennent les réserves nourricières de l’humanité?