Jean Pitrau paysan visionnaire

Enbata: Vous avez présenté au Biltzar des écrivains de Sare votre ouvrage sur Jean Pitrau. Pour quelles raisons avez-vous écrit ce livre sur Jean Pitrau?
Aguxtin Errotabehere: Comme l’écrit José Bové dans la préface qu’il a bien voulu rédiger, “Pour beaucoup, le nom de Jean Pitrau n’évoque rien”. Et pourtant rares sont les hommes comme lui qui ont autant marqué l’histoire des paysans et du monde rural. Et sa vie est aussi celle du Pays Basque et de l’émergence d’une conscience: «vivre et travailler au pays». Tout est dit. J’ai eu l’occasion de travailler avec lui au lendemain du séisme qui fit de gros dégâts dans les vallées de Baretous et de Soule principalement. Je me suis rendu compte que sa personnalité, son travail étaient largement méconnus et méritaient de rester dans les mémoires. En outre, originaire de ce milieu des bergers montagnards qui a été, pour partie, le cadre de mon activité professionnelle il se trouve que mon père était au côté de J. Pitrau lors de la création de l’Association au Service des Agriculteurs Montagnards (ASAM).

Enb.: Qui était Jean Pitrau?
A. E.: Un berger, un paysan comme il tenait à le souligner. Un souletin né en 1929 dans la ferme Erbinia, au flanc de la Madeleine au quartier d’Arrañe. Un militant, un rebelle, un révolté qui a consacré sa courte vie —il est décédé à 46 ans— à la défense des montagnards. Il a lutté pour le maintien d’une agriculture, d’un pastoralisme vivant. Il s’est illustré également dans la défense des services publics et du tissu social montagnard pour maintenir la vie dans les campagnes. Il s’est opposé au projets touristiques et autres tentatives qui auraient, à terme, écarté les bergers de la gestion et de l’usage de la montagne. Doté d’un grand charisme, il a mobilisé une jeunesse rurale. Dans son sillage est apparue une génération de jeu-nes paysans décidés à prendre à bras-
le-corps la défense d’un pays et d’une profession en créant autour de la Confédération paysanne, ELB et plus récemment Laborantza Ganbara.

Enb.: Jean Pitrau, écrivez-vous, était un autodidacte. Comment un jeune paysan du fin fond de la Soule est-il devenu le militant visionnaire qu’il a été?
A. E.: Il a fréquenté comme ses voisins l’école communale. Dès la sortie de l’école il a fait montre d’une soif d’apprendre, lisant beaucoup et sur des sujets variés. Comme nombre de jeunes ruraux de l’époque il a surtout été formé par la JAC (Jeunesse Agricole Chrétienne) qui l’a formé à l’observation, la réflexion qui doit se poursuivre et se concrétiser dans l’action. Fidèle à ces préceptes il s’est engagé dans le syndicalisme (FDSEA-CDJA) qu’il quittera par suite de désaccords pour créer l’ASAM. Il était très sensible au dédain, voire au mépris dont étaient victimes trop souvent les paysans qu’il qualifiait ironiquement de «3e génération d’imbéciles sélectionnés». Il s’est efforcé de leur rendre dignité et autonomie pour qu’ils puissent se défendre auprès de l’administration, du commerçant, du technicien. Il a su organiser un nombre impressionnant de stages professionnels, de culture générale ou d’expression dont les bénéficiaires parlent encore en termes élogieux. C’était également un homme de foi soucieux de mettre en adéquation sa pratique quotidi-enne avec les valeurs cardinales de l’évangile.

Enb.: L’agriculture de montagne lui est redevable, encore aujourd’hui?
A. E.: On peut dire que le combat qu’il a mené a contribué à l’attribution des aides que les montagnards obtiendront (ISMIC HN) de la part des pouvoirs publics. Ironie de l’histoire, les premières aides seront versées après le décès de celui qui en fût l’un des instigateurs. Son combat aura comme point d’orgue l’enquête qu’il réalisera avec les jeunes du canton de Tardets pour présenter les problèmes de la montagne au ministre Edgard Pisani. Le tableau qu’il en tirera est édifiant: exode massif, absence de route et pas d’électricité, un habitat précaire, pas de matériel, un faible revenu, le célibat et un taux de suicide élevé: bref le tableau d’une agriculture en grandes difficultés, d’un pays en grande souffrance. Il n’aura de cesse de revendiquer des conditions de travail et de vie dignes et équitables pour les montagnards.
Autour des années 70, quand la politique agricole prendra un virage vers la sélection des paysans et donc l’élimination de nombre d’entre eux, il se consacrera à la défense des laissés pour compte et pour l’émergence d’une autre forme d’agriculture plus soucieuse de l’humain et respectueuse de l’environnement.

Enb.: Son engagement l’a conduit à être présent sur plusieurs fronts de lutte…
A. E.: Au lendemain du séisme qui frappera les vallées de Soule et de Baretous, il s’illustrera par la création d’un service d’entraide en accord avec le Secours catholique et le syndicat CDJA pour organiser aide et solidarité au profit des sinistrés. Un millier de volontaires venant des villages du Pays Basque et du Béarn participeront bénévolement aux premiers travaux de récupération et de reconstruction. Le relais sera pris par des jeunes objecteurs de conscience du Service Civil International et des volontaires de l’organisation Jeunesse et reconstruction qui apporteront durant plusieurs étés le se-cours de leur bonne volonté au service des plus nécessiteux.
Il participera à différentes mobilisations dont celle, emblématique de l’après mai 1968, contre l’élargissement du camp militaire du Larzac proposant aide et soutien ainsi que le concours de chanteurs basques, pièce de théâtre et autre formes de solidarité.
Il sera présent également dans les mobilisations contre certains projets touristiques des vallées d’Aspe et d’Ossau. Toujours avec la même volonté de maintenir le pastoralisme vivant et empêcher la main mise sur l’utilisation de la montagne d’intérêts financiers au détriment de ceux des éleveurs.

Enb.: Vous dites dans votre ouvrage que le combat de Jean Pitrau a une actualité? En quoi ses luttes ont-elles une pertinence aujourd’hui?
A. E.: Malgré les apparences, l’agriculture de montagne est aujourd’hui encore en difficulté. Il est alarmant de voir que nombre d’exploitations de montagne n’ont pas de succession et seront vouées à disparaître. Pourtant les conditions de vie et de travail ont évolué. Cause de cette désaffection, le revenu agricole qui est en inquiétante dé-gringolade. Mais aussi le découragement qui gagne les éleveurs. Trop souvent vilipendés, ils sont devenus les boucs émissaires de la «malbouffe» et leur travail est méconnu et trop souvent caricaturé. Les ouvrages abondent qui soulignent et étalent à plaisir les pratiques critiquables de la profession. Plus leurs descriptions sont caricaturales, plus le livre a du succès.
Non point qu’il ne faille garder un œil critique sur des pratiques à proscrire. Mais prenons garde de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Qui n’a entendu dénoncer ces paysans, chasseurs de primes, budgetivores, destructeurs de la nature par écobuages sauvages ou ces «imbéciles» au dire de la ministre Nelly Olin, qui n’ont pas compris au long des siècles que le pastoralisme et l’ours peuvent faire bon ménage en s’opposant à la réintroduction de ce dernier? Largement minoritaires aujourd’hui, ils sont trop souvent montrés du doigt et mis au ban de la société. Un alarmant découragement est en train de s’installer dans la population paysanne. Pourtant ce sont les jardiniers de la campagne, et sauf regrettables exceptions, ils aiment la nature qui est leur milieu de vie et qu’ils ont tout intérêt à préserver en s’efforçant d’adopter des pratiques toujours plus respectueuses de l’environnement.

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