Enbata: Pour quelles raisons avez-vous opté pour le statut de SCOP lors de la reprise des Etablissements Berc? Alain Dubois: Ce choix s’imposait comme une évidence. C’é-tait un bon moyen pour mener à bien un tel projet de reprise. Le groupe motivé, jeune, (moyenne d’âge 28 ans), voulait travailler au pays et était décidé à montrer et prouver, à la population locale, aux élus locaux, aux financiers et à tous ses clients qu’ils étaient capables de réussir, aussi bien qu’un investisseur ou un repreneur d’entreprise venu d’ailleurs.
C’était aussi, un moyen qui avait déjà fait ses preuves par ailleurs: il fallait tout d’abord faire face à un problème financier et constituer un capital. La SCOP c’était un groupe de salariés, tous associés, partageant la part travail, mais aussi le résultat entre tous les salariés. C’était être responsable tout en respectant la hiérarchie. C’était aussi le principe du «un homme égale une voix», le capital étant détenu par les salariés associés. Dans notre société, la règle n’a pas changé: chaque so-ciétaire doit apporter un capital minimum correspondant à six mois de son salaire brut.
Enb.: Les premières années n’ont rien eu du long fleuve tranquille. Vous avez vécu des moments difficiles?
A. D.: Deux ans après sa création, en 1985, a société COREBA a connu une crise économique, avec des pertes importantes, dues, en partie, à un marché France Télécom catastrophique. Elle s’est retrouvée dans l’obligation de se séparer de six salariés. Il a été très difficile d’annoncer ces licenciements aux salariés concernés, car ils étaient, comme nous, cofondateurs de COREBA.
Cette crise n’a pas pour autant démotivé les autres sociétaires qui se sont, au contraire, battus pour obtenir d’autres marchés à des prix très serrés. Pour compenser ces prix il a fallu effectuer de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées. Nous retrouvons ici, la force d’un groupe solidaire dans l’effort, soucieux de sauver leur société.
Enb.: Après ce rétablissement exemplaire, est venu le temps de la croissance. Coreba fait preuve d’un grand dynamisme et essaime vers d’autres horizons…
A. D.: C’est vrai. Dès 1992, COREBA double ses locaux et achète un terrain de 2.000 m2 jouxtant nos bureaux d’Hasparren. En octobre 1993, nous ouvrons un centre de travaux à Laroin afin de décrocher des marchés dans l’Est du département et sur les Hautes Pyrénées. COREBA emploie alors 40 salariés.
En 1999, COREBA est une des premières entreprises de TP à signer un contrat sur la réduction du temps de travail, en passant de 39 heures hebdomadaires à 35 heures, avec embauche de nouveaux salariés. L’effectif passe alors à 62 salariés, tout en préservant la rentabilité de COREBA et sa dynamique sociale.
Enb.: Preuve de l’investissement des salariés-coopérateurs et de la qualité de vos prestations, vous avez obtenu ensuite la certification ISO 9002?
A. D.: En janvier 2001, COREBA a effectivement obtenu la certification ISO 9002, délivrée par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) qui sanctionnait les efforts faits en matière de normes de qualité.
Parallèlement, nous avons poursuivi notre politique de croissance. En 2002, COREBA a acheté 6.200 m2 de terrain supplémentaire,
à Hasparren, jouxtant l’actuel terrain, afin d’améliorer les aires de stockage et de circulation, permettant ainsi de mieux accueillir tous nos clients appelés à fréquenter nos locaux et leur offrant une image dynamique de notre entreprise.
En même temps, sur le site de Morlaas, CO-REBA investit pour l’achat de 3.000 m2 et loue un local avec bureaux de 500 m2, à la zone industrielle de Berlanne, toujours dans le souci d’améliorer les conditions de travail et montrer à ses clients et élus béarnais une volonté de s’insérer dans la vie économique locale avec notamment une diversification des activités et la création d’emploi locaux.
En 2011, toujours dans cette logique de s’installer de façon durable dans le secteur béarnais, COREBA se lance dans la construction d’un ensemble de bureaux et d’un entrepôt à Morlaas, sur un terrain d’environ 5.000 m2, avec des bureaux de 200 m2 et un dépôt de 500 m2, pour un investissement total de l’ordre de 800.000 e.
Enb.: Avec un regard de presque trente ans, diriez-vous que le statut de SCOP est toujours une organisation pertinente?
A. D.: Plus que jamais, dans la crise actuelle que nous traversons, les salariés veulent plus de transparence et une reconnaissance dans le monde du travail. Ils souhaitent participer, chacun à leur niveau, aux décisions du devenir de l’entreprise. Il ne faut pas oublier que dans la SCOP, le principe de base est Un homme = Une voix. Le salarié-associé doit être acteur et responsable. Il prend part aux décisions importantes de la SCOP (assemblées générales ou conseil d’administration). La SCOP, c’est aussi une communication et une transparence de tous les jours.
Aussi, dans la société d’aujourd’hui où cha-que individu aspire à toujours plus, toujours mieux et où l’individualisme et la compétition prédominent, réussir à s’imposer en qualité de SCOP, face aux grands groupes, prouve encore plus l’efficacité de ce statut et crée la différence. La motivation, l’implication et la prise de conscience des salariés-associés de leur responsabilité dans le travail, sont les valeurs et les clés de la réussite des SCOP. De plus, la mutualisation des moyens évite la dispersion des efforts.
Enb.: Beaucoup de voix s’élèvent pour dénoncer les délocalisations de l’outil de production vers les pays à bas coût. Les SCOP sont-elles une des façons de maintenir l’emploi chez nous?
A. D.: Certainement. La SCOP évite les dé-localisations, favorise l’ancrage territorial et contribue à la dynamique d’un village, d’une ville et même d’une région. La création ou la reprise d’une entreprise sous forme de SCOP, est l’occasion pour un groupe de salariés motivés, qui décide de relever le challenge, de maintenir l’emploi et vivre au pays en défendant les valeurs du Pays Basque.
Pour favoriser cela, les politiques et divers élus locaux ont un rôle important à jouer. En effet, ils pourraient mettre à disposition des locaux, à loyer attractif, dans les nouvelles zones. Ils pourraient aussi apporter des aides financières, juridiques et administratives pour la création, la reprise ou la transmission d’entreprises en SCOP. Je suis membre de l’union régionale des SCOP depuis 10 ans et nous constatons, à notre grand regret, que les transmissions ou successions en SCOP, sont trop souvent le dernier recours, une fois toutes les autres possibilités étudiées.
Un travail important est à mener auprès des chambres consulaires, des universités, des lycées professionnels ou des pépinières d’entreprise pour faire connaître le mouvement coopératif et le management d’une SCOP.
Enb.: Est-ce à dire que les SCOP s’en sortent mieux face à la crise économique actuelle?
A. D.: Les SCOP se défendent effectivement mieux et s’en sortent mieux que certaines PME classiques. En effet, dans une SCOP, il existe une clé de répartition du résultat bien particulière:
l 15 à 40 % du résultat affectés à des ré-serves impartageables, appartenant à la SCOP,
30 à 40 % du résultat affectés à la part travail revenant aux salariés,
10 à 20 % du résultat affectés en dividendes (ou intérêt au capital), revenant aux salariés associés.
La clé de répartition de COREBA se décompose comme suit:
40 % en réserves,
40 % en part travail, revenant aux salariés,
20 % en intérêts au capital, revenant aux salariés associés.
Devant le contexte économique critique actuel, COREBA fait preuve d’une bonne résistance et ses perspectives, pour l’avenir, sont le maintien du personnel, le maintien de l’activité et une diversification.
Enb.: Vous vous inspirez de ce que les SCOP font ailleurs en matière d’organisation et de fonctionnement?
A. D.: Si l’herbe n’est pas forcément toujours plus verte dans le pré du voisin, il est toujours bon d’aller voir ailleurs et de s’inspirer de ce qui s’y fait. L’Union Régionale d’Aquitaine a eu l’occasion de se rendre à Mondragon, et inversement, leur visite en Aquitaine a permis d’échanger sur les mo-des de fonctionnement et d’organisation.
Sans pour autant créer le même modèle qu’en Hegoalde, car notre façon de vivre et notre culture sont différentes, il me semble intéressant de s’appuyer sur certaines pratiques de fonctionnement de leurs SCOP, telles que la mise en commun de fonds importants pour le développement et l’aide aux SCOP en difficultés, ou encore le rassemblement d’un vivier de futurs dirigeants pour la création ou la transmission de SCOP.
Nous pouvons nous inspirer de ces modèles pour créer des liens avec les sociétés coopératives d’Hegoalde. D’ailleurs, COREBA étudie avec une autre société d’Hegoalde la possibilité de se rapprocher et de proposer d’autres services en partageant leur savoir-faire. De plus, ces échanges seraient de nature à renforcer notre culture, notre attachement au pays et surtout à dynamiser, consolider et pérenniser l’économie du Pays Basque.
Mais pour cela, il appartient à chacun, hom-mes et femmes, de se prendre en charge, pour créer cette dynamique économique et de partage dans la future société à laquelle les salariés aspirent.
• Alain Dubois est également maire de Makea en Labourd.
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COREBA aujourd’hui
C’est 91 salariés, 70 à Hasparren et 21 à Morlaas, dont 81 associés au total.
COREBA intervient essentiellement sur 4 départements français: Landes, Pyrénées Atlantiques, Hautes Pyrénées, Gers et le Nord de l’Espagne. De façon ponctuelle, COREBA intervient également dans le dé-partement de la Gironde.
COREBA, réalise:
Des études (avec son propre bureau d’é-tudes et d’ingénierie).
lLa construction de réseaux: électriques souterrains et aériens (y compris travaux héliportés), gaz, France Télécom, Fibre op-tique et adduction d’eau potable,
La viabilisation de lotissements et résidences,
La création et l’entretien d’éclairage public,
La mise en lumière de sites patrimoniaux,
Des travaux de concassage.
Les clients de COREBA sont:
Le syndicat départemental d’énergie des Pyrénées Atlantiques, des Landes, des Hau-tes-Pyrénées.
Erdf (Sud Aquitaine-Bayonne, Béarn Bigorre-Pau)
Grdf (Sud Aquitaine-Bayonne, Béarn Bigorre-Pau).
Antargaz.
Les collectivités locales: communes, con-seil général,
Promoteurs et Architectes.
Les privés.
Le mouvement SCOP
Les SCOP en Aquitaine
Elles sont au nombre de 115 (dont 20 % au Pays Basque) pour 1.700 salariés et un chiffre d’affaires de 190 millions d’euros. Leur taille moyenne est de 14 personnes avec un sociétariat de 80%.
Les SCOP en France
Elles sont au nombre de 2.000 pour 45.000 salariés et un chiffres d’affaires de 3.8 milliards d’euros. Leur taille moyenne est de 22 personnes.
Aujourd’hui, le nombre de SCOP est en augmentation, tandis que le nombre de salariés stagne et que la taille moyenne des SCOP diminue.
D’une façon générale, en France, les SCOP se sont créées essentiellement dans les secteurs du BTP et de la métallurgie. Chacun de ces deux secteurs est organisé en Fédération de métiers.