Txiki et Otaegi, il y a 50 ans (Partie 1/2)

Le 27 septembre 2025 verra le cinquantième anniversaire de l’exécution par Franco, après une parodie de justice militaire, de deux jeunes militants basques, Txiki et Otaegi. L’affaire eut un grand retentissement international, remake du procès de Burgos cinq ans plus tôt. Aujourd’hui, dans un contexte bien différent, l’affaire suscite la polémique… de la part du PSOE qui hier s’était mobilisé en faveur des deux Basques.


Franco est mort en tuant, deux mois avant de disparaître dans son lit. Sa dernière décision avant de plonger dans le coma, fut l’exécution le 27 septembre 1975 des deux militants d’ETA, Juan Paredés Manot, alias Txiki (21 ans), d’Angel Otaegi 33 ans), et de trois membres du FRAP (José Luis Sanchez, Ramon Garcia et Humberto Baena). Un simulacre de procès, au cours d’un « conseil de guerre » qui siège durant seulement 14 heures le 29 août, au sein du régiment d’artillerie de campagne n° 46, à Castrillo del Val (Burgos), condamne à mort Angel Otaegi. Ce conseil est présidé par le colonel d’artillerie José Urtubia Ramirez, patron du régiment. Cinq officiers supérieurs de l’armée ont expédié l’instruction. Le militant basque est accusé sans preuve, d’avoir participé au meurtre d’un sergent-chef de le Guardia Civil. Deux des militaires qui le « jugent » siégeaient au procès de Burgos en 1969-70 : le colonel supérieur Fernando Suarez de la Dehesa et le procureur commandant Carlos Granados Mezquita qui fait office de procureur. Aucun n’a la moindre formation juridique. Ils appliquent mécaniquement le décret loi 10/1685 sur la prévention du terrorisme que le gouvernement d’Arias Navarro vient de signer le 27 août, en sa résidence d’été du palais de Meiràs en Galice… appartenant à la famille de Franco qui s’en est emparé en 1938.

Dessin d’Etxebeltz paru dans le n° 366 d’Enbata, 28 août 1975

Conspiration gaucho-maçonique et subversion communisto-terroriste

Le conseil des ministres présidé le 11 septembre par un Francisco Franco déjà agonisant, entérine la condamnation à mort. Malgré une gigantesque mobilisation internationale et deux grèves générales très suivies (28 août et 27 septembre) en Gipuzkoa et Bizkaia, alors que le Pays Basque est placé en Etat d’exception et la répression féroce. Olof Palme, premier ministre suédois qui préside l’Internationale socialiste, le Pape Paul VI, les pays de la CEE, l’Alliance atlantique, tous demandent la grâce. Le président mexicain Luis Echeverria exige que l’Espagne soit exclue de l’ONU. Douze pays occidentaux rappellent leurs ambassadeurs de Madrid. Yves Montand et le cinéaste Costa Gavras présentent dans un hôtel madrilène un manifeste signé, entre autres, par J. P. Sartre, Louis Aragon, André Malraux, Régis Debray, Pierre Mendes-France. Ils sont rapidement expulsés du pays.
La réponse publique du régime a lieu le 1er octobre avec un grande manifestation sur la place d’Orient à Madrid, organisée par le colonel José Ignacio San Martin. En présence du prince Juan Carlos de Bourbon, les organisateurs déclarent officiellement: « Tous ceux qui se sont mobilisés en Espagne et en Europe, obéissent à une conspiration gaucho-maçonique, en alliance avec la subversion communisto-terroriste sur le plan social, cette conspiration nous honore et elle les avilit ».

Dessin d’Etxebeltz paru dans le n° 362 d’Enbata, 31 juillet 1975.

Le martyre de Txiki à Barcelone

A Barcelone, pour Juan Paredes Manot, dit Txiki, même scénario. Il est accusé du meurtre d’un caporal de la police armée, lors d’un hold-up à la banque Santander de la ville, le 8 juin 1975. Le général Pascual Vidal Aznares préside le tribunal militaire, comme il le fit en mars 1974 pour l’exécution du catalan Salvador Puig Antich (25 ans) qui fut condamné au garrot. Ce général ne cache pas ses sympathies pour le parti d’extrême droite Fuerza nueva (FN). A ses côtés, siège le commandant Francisco Muro Jimenez qui organisa lui-même le garrotage de Puig Antich à la prison La Modelo de Barcelone. Comme pour Otaegi, le simulacre de procès mobilise un nombre considérable d’institutions espagnoles : Police armée, Guardia Civil, Direction générale des institutions pénitentiaires, capitaineries générales des Ire, IVe et VIe Régions militaires, le Secrétariat à la justice, les Auditeurs de guerre, etc.
L’audience du « conseil de guerre sumarísimo » durera moins d’une dizaine d’heures, le 15 septembre. Les deux avocats de Txiki, connus pour leur anti-franquisme, ont disposé de quatre heures pour examiner le dossier et préparer leur défense. Ils plaideront en vain la nullité de la procédure et des charges. Sachant que Franco est très mal en point, ils feront tout pour jouer la montre, retarder le verdict, en espérant qu’après le décès du dictateur la clémence sera possible…
Les témoins présentés par l’accusation —la plupart sont des policiers ou des militaires— se contredisent, « s’emmêlent les pinceaux » lamentablement. Rien n’y fait. La sentence de mort est déjà rendue, avant même que ne démarre cette parodie de justice. A la fin, devant cet aréopage de gradés aux ordres, Juan Paredes Manot fera une brève déclaration : « Je ne suis d’accord avec rien de ce qui a été dit ici. Ce procès est celui du peuple basque et des autres peuples de l’Etat espagnol. Gora Euskadi askatuta ! »

La mobilisation de l’extrême gauche à Paris. Le dessin est inspiré d’une célèbre gravure de Fransisco Goya.

« Ils ne luttaient pas pour la liberté »,

Cinquante ans après, seule la gauche abertzale célèbre cet anniversaire. Les socialistes contestent aux militants basques leur combat pour la liberté parce qu’ils pratiquaient la lutte armée. La déclaration de l’ex-député PSOE Alberto Alonso restera dans toutes les mémoires : « Txiki et Otaegi ne luttaient pas pour la liberté, mais pour imposer leur vision. Ils utilisaient les mêmes armes que celles du franquisme (…), une chose est de les reconnaître comme des victimes du franquisme, autre chose est de leur rendre hommage, alors qu’ils ont utilisé la violence, la peur et la terreur. (…) Ils ne désiraient pas instaurer une société démocratique ». Le PNV lui emboîte le pas. La municipalité PNV-PSOE de Zarautz exige le 9 août qu’une banderole en hommage à Txiki et Otaegi soient enlevée d’une falaise dominant la plage. Quelques jours plus tard, la mairie de cette cité où Txiki vécut longtemps, refuse d’accorder une salle pour y installer l’exposition « 1975, dena jokoan zegoen urtea » consacrée aux évènements de 1975 et leur contexte. Réalisée par deux fondations, Iratzar et Olaso dorrea, et en trois langues, vous pouvez la regarder via l’adresse internet suivante https://1975-2025erakusketa.eus/

Au fil des numéros d’Enbata

Feuilleter les numéros de l’hebdomadaire Enbata de cette période, réserve émotion et étonnement, même pour ceux qui l’ont vécue de près. Le contexte politique des exécutions de septembre 1975 est surprenant. La violence des escadrons de la mort se déchaîne alors à travers Ipar et Hegoalde. Ainsi par exemple, l’attentat du 5 juin 1975 dont est victime le réfugié Josu Urrutikoetxea, au 64 avenue de la Milady à Biarritz. La barbouze qui a placé la bombe est déchiquetée. A l’époque, ETA aussi est très actif et fragilise la dictature. La pratique de la torture est généralisée dans les commissariats et les casernes, l’État d’exception est décrété en Pays Basque au mois d’avril, l’impunité du terrorisme d’Etat bat son plein, nous en avons récemment fait écho dans ces colonnes, à l’occasion de la sortie d’un livre salutaire (voir https://www.enbata.info/articles/escadrons-de-la-mort-en-pays-basque/). Le rapport du CEDRI, Comité européen de défense des réfugiés et immigrés, « Le terrorisme d’État dans l’Europe des démocraties » (1989) en offre aussi un panorama complet,  http://escadronsmort.centerblog.net/102–98

La une d’Enbata n° 370, le 25 septembre 1975


Pour commémorer à notre manière l’exécution de Txiki et d’Otaegi qui marqua la décennie, voici une série d’articles extraits d’Enbata, mais aussi d’autres journaux.

+ Le crime, éditorial de Jakes Abeberry, Enbata n° 371, du 2 octobre 1975.
+ La mort d’Otaegi racontée par sa mère, Enbata n°371, du 2 octobre 1975.
+ La dernière lettre de Txiki envoyée à sa soeur, Enbata n° 371, du 2 octobre 1975.
+ Dimanche à Nuarte, par Bernard Brigouleix, envoyé spécial du journal Le Monde du 30 septembre 1975.
+ La Paella et le garrot, par Pierre Veilletet, journaliste et écrivain, prix Albert Londres, Sud Ouest dimanche du 21 septembre 1975.
+ Les gudaris face à la mort, fac similé des pages centrales d’Enbata n° 370, du 25 septembre 1975.
+ L’Union, éditorial de Jakes Abeberry, Enbata n° 370, du 25 septembre 1975.

Suite, lundi prochain avec la Partie 2/2. 

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One thought on “Txiki et Otaegi, il y a 50 ans (Partie 1/2)

  1. Extrait de la page Wikipedia sur le président mexicain Luis Etcheverria. (Une précision qui n’enlève rien à la dénonciation des crimes du terrorisme d’état franquiste).

    Echeverría est l’un des présidents les plus en vue du Mexique, mais il reste aussi une personnalité controversée notamment en raison de son implication dans les crimes d’États commis sous ses mandats en tant que secrétaire à l’Intérieur puis président. Son mandat de secrétaire à l’Intérieur sous l’administration Díaz Ordaz a été marqué par une augmentation de la répression politique. Les journalistes, les hommes politiques et les militants dissidents ont été soumis à la censure, aux arrestations arbitraires, à la torture et aux exécutions extrajudiciaires. Cette répression culmine le 2 octobre 1968, avec le massacre de Tlatelolco au cours duquel des centaines de manifestants non armés sont tués par l’armée mexicaine et qui brise le mouvement étudiant mexicain. Sa présidence a également été caractérisée par les méthodes brutales et illégales employées contre les guérillas d’extrême-gauche mais aussi les mouvements ouvriers, paysans, étudiants et indigènes, les premiers cas documentés de vols de la mort en Amérique latine ont eu lieu au Mexique sous Echeverría. Sa présidence est aussi marquée par le massacre de Corpus Christi en 1971 contre des étudiants protestataires.

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