Les partis indépendantistes catalans recherchent une formule viable pour constituer un gouvernement qui permettrait de mettre fin à la suspension du statut d’autonomie et à la gestion directe du pays par l’Espagne.
Le président du parlement catalan Roger Torrent a, le 30 janvier, repoussé sine die la session du parlement qui devait élire Carles Puigdemont en son absence, car toujours exilé en Belgique. Une telle élection était très risquée, au regard de la situation du candidat et des lourdes charges judiciaires qui pèsent sur lui. Elle n’apportait pas de solution politique viable à la crise, ce scrutin ayant toutes les chances d’être rapidement déclaré illégal par la Cour suprême ou le Conseil constitutionnel espagnol. Cette opération aurait-elle facilité le retour de Carles Puigdemont dans de meilleures conditions du fait de son statut de chef de gouvernement ? Rien n’est moins sûr. Elle ne ferait que proroger la suspension du statut d’autonomie.
Le gouvernement PP maintient la pression. Lâché et talonné par Ciudadanos, pas question de lâcher du lest et de négocier avec les souverainistes, il veut d’abord conserver son électorat ultra-centraliste et susciter l’union sacrée.
Députée exilée en Suisse
L’autre contrainte majeure qui pèse sur les députés indépendantistes est liée au calendrier judiciaire. Seize d’entre eux sont, soit incarcérés, soit exilés, soit remis en liberté sous caution et la plupart risquent plusieurs années “d’inhabilitation”, c’est-à-dire interdiction d’exercer un mandat électif ou une charge publique. Ils comparaissent à tour de rôle, font l’objet de chantage pour qu’ils se renient, en attendant que les juges se prononcent sur le fond dans les semaines qui viennent.
Dernière en date de cette vague, la comparution le 18 février devant la Cour suprême de Marta Rovira, députée et coordinatrice d’ERC : la cour l’a laissé en liberté sous caution, à hauteur de 60.000 euros. Le Tribunal constitutionnel a rappelé à tous les élus le 30 janvier —jour de convocation du parlement pour élire le président de la Generalitat— qu’ils risquaient tous l’incarcération s’ils prenaient une décision illégale. C’est donc la majorité de la classe politique catalane qui est ainsi menacée d’être stérilisée ou mise à l’écart.
Le 1er février, les avocats des deux leaders d’ANC et d’Omnium cultural toujours incarcérés, font appel à une instance de l’ONU qui statue sur les détentions arbitraires, pour violation par l’Espagne de la Déclaration universelle de droits de l’homme. Symbolique mais dérisoire. L’Europe ignore les Catalans, ce n’est pas “le machin” qui fera grand chose pour eux. La députée et dirigeante de CUP, Anna Gabriel annonce le 20 février à Genève qu’elle s’exile en Suisse pour les mêmes raisons que Carles Puigdemont: la justice équitable ne fonctionne pas dans son pays et elle ne se rendra pas à la convocation de la Cour suprême prévue le lendemain à Madrid.
Ciudadanos menace
Les trois partis qui détiennent la majorité, ERC, JxC (Junts per Catalunya) et CUP, tentent donc de trouver une porte de sortie légale et gérable a minima. En sacrifiant éventuellement Carles Puigdemont qui n’aurait plus qu’une fonction symbolique ou honorifique, ce que évidemment l’ancien président a du mal à accepter. On devrait bientôt connaître le nom de son successeur et en savoir plus dans les deux prochaines semaines sur la formule qui sera mise en œuvre. Si la Catalogne ne parvenait pas à se doter d’un gouvernement autonome, l’organisation de nouvelles élections deviendrait alors obligatoire, dans un délai de deux mois.
Une troisième contrainte inquiète le camp indépendantiste: il s’agit de l’évolution de la situation politique espagnole. Le gouvernement PP dépourvu de majorité absolue ne peut faire approuver aucune loi. Le soutien relatif des socialistes et surtout de Ciudadanos, a disparu dans ce climat délétère. Les sondages se succèdent et donnent Ciudadanos largement en tête frisant les 30%, alors que le PP se situe à 22%. Le nouveau parti ne pense plus qu’aux prochaines élections locales de 2019. Il se compare au mouvement La République En marche fondé par Emmanuel Macron. Et il s’adonne à la surenchère en remettant en cause le système fiscal basque qui ne respecterait pas le principe d’égalité entre tous les Espagnols. Les Basques bénéficient de “privilèges” inacceptables et les abertzale sont accusés de “suprémacisme”. Enseignement en immersion remis en cause Le gouvernement PP ne veut pas apparaître timoré, voire mollasson, face à son concurrent. Profitant de la mise en œuvre de l’article 155, le ministre porte-parole du gouvernement propose le 15 février de revenir sur l’offre d’enseignement du catalan en immersion qui s’est généralisée. Il envisage d’exiger qu’un quart des heures de cours soit imposé en espagnol à tous les petits Catalans. Mais il ne dispose pas de majorité au parlement régional. Qu’à cela ne tienne, il mettra en œuvre des procédures judiciaires pour parvenir à ses fins, comme il le fait déjà pour casser le mouvement indépendantiste(1).
Ces mesures, susceptibles d’être amplifiées avec l’arrivée aux commandes de Ciudadanos remettraient en cause tout l’équilibre politique obtenu depuis la mort de Franco. Dans un tel contexte, le débat lancé par le PNV et le gouvernement basque pour faire évoluer les institutions de la communauté autonome et obtenir légalement et par la négociation “le droit de décider”, paraît bien compromis quant à son résultat. Quant au mouvement indépendantiste basque qui poursuit sa mue politique, la “voie catalane” tant montrée en exemple révèle aujourd’hui une efficacité très relative au moins sur le court terme. L’affaire catalane aboutit à une situation de crise et de blocage, aussi bien à Barcelone qu’à Madrid. L’indépendantisme catalan a réveillé le nationalisme espagnol. Engagée à temps, une évolution institutionnelle de l’Espagne aurait été possible dans le sens d’un Etat fédéral ou confédéral. Les crispations sont aujourd’hui telles qu’une formule de ce type est inenvisageable. Qui plus est, l’État espagnol est de moins en moins gouvernable, tant les tensions sont vives entre les quatre principaux partis politiques. Ils peinent à bâtir une véritable union sacrée et se préoccupent d’abord de leurs ambitions et de leurs rivalités.
L’affaire catalane aboutit
à une situation de crise et de blocage,
aussi bien à Barcelone qu’à Madrid.
L’indépendantisme catalan a réveillé
le nationalisme espagnol.
Vaincre et écraser
Après l’échec de la lutte armée en Pays Basque, la crise catalane montre les limites de la voie politique et démocratique pour faire avancer un projet souverainiste. Les Espagnols ne sont pas à même de tisser des relations civilisées avec les petits peuples périphériques. Ils ne savent que vaincre et écraser, comme en 1522 à Amaiur. Le nationalisme catalan et ses institutions ont fait sortir du bois leur adversaire. Ils ne pouvaient trouver de meilleur révélateur de leur sujétion. Catalans —et Basques— croyaient avoir obtenu de haute lutte des institutions susceptibles de conforter leur survie en tant que peuple. Ils s’aperçoivent qu’ils sont à la merci d’un changement de majorité au gouvernement central que contrôle le peuple dominant qui du jour au lendemain remet en cause ses engagements d’hier. La parole de l’État ne vaut plus rien. Son intransigeance ne fait que renforcer la détermination des plus faibles. En ce début du XXIe siècle, se déroule avec ses hauts et ses bas, une page historique majeure de l’histoire du catalanisme. Elle n’est pas près de se clore.
(1) Ceux qui nous ont seriné pendant des années que les abertzale avaient le tort de politiser l’usage de la langue basque, font exactement la même chose pour défendre leur projet politique.