Lieutenant de la garde civile à la caserne d’Intxaurrondo en 1985, Arturo Espejo Valero a dirigé l’arrestation et l’interrogatoire de Mikel Zabalza, décédé sous la torture.
Il vient d’être promu général de division.
Par décret royal paru au journal officiel du 15 février, sur proposition du ministre de l’Intérieur et après délibération du conseil des ministres, conformément à l’article 14-1 de la loi organique de février 1986 et aux attributions conférées par l’article 79 de la loi 29/2014 du 28 novembre sur le régime des personnels de la guardia civil, la ministre de la Défense Margarita Robles nomme Arturo Espejo Valero au grade de général de division, à la tête du commandement d’appui à la direction de la guardia civil. Belle fin de carrière pour ce militaire espagnol qui s’est brillamment illustré en Gipuzkoa dans la lutte contre la rébellion basque, par tous les moyens, y compris les pires.
Nous sommes en novembre 1985. Arturo Espejo Valero est simple lieutenant en poste à la caserne d’Intxaurrondo, ville fortifiée entre Renteria et Donostia où vivent 3000 gardes civils et leurs familles. Il dirige une unité et a sous ses ordres deux tortionnaires réputés, Enrique Dorado et Felipe Bayo qui, deux ans plus tôt, ont enlevé à Bayonne puis torturé à mort les deux jeunes réfugiés Lasa et Zabala. La gardia civil veut à tout prix retrouver le commando d’ETA qui a exécuté le commandant Martin Barrios, en faisant parler le chauffeur de bus d’Orbaizeta Mikel Zabalza (33 ans), sa femme, ses frères et son neveu. Jours d’enfer.
La sensation que la mort s’empare de lui
Dix ans plus tard, le quotidien El Mundo indique qu’Arturo Espejo a dirigé la détention et l’interrogatoire du jeune Basque. Le journal fait fuiter un enregistrement téléphonique où l’on entend une conversation entre le colonel Juan Alberto Perote, chef des opérations des services secrets du CESID et le capitaine de la garde civile Pedro Gomez Nieto. Les deux hommes détaillent la situation. Mikel Zabalza est « probablement mort d’un arrêt cardiaque, conséquence de la poche en plastique sur la tête ». Il s’agit d’une méthode de torture très prisée parce qu’elle ne laisse pas de trace visible sur le corps. Pour Gomez Nieto, de graves erreurs ont été commises dans cette affaire, en particulier celle d’un interrogatoire tout près de la cellule où sont détenus les proches de Mikel qui déclareront avoir entendu les hurlements et les vomissements de leurs voisins de cellules. Une poche sur la tête, Zabalza a été aperçu par son épouse. La narration du capitaine n’épargne aucun détail dans le raffinement de l’horreur: « Arrive un moment où ce que le type respire n’est que son propre monoxyde de carbone, alors il s’étouffe. Il s’étouffe, s’étouffe… les sphincters lâchent, il s’étouffe et il nous regarde au dessus de lui. Parce que le hic est qu’il doit voir. La bourse doit être transparente pour qu’il voit la réalité de la vie et qu’il ait la sensation que la mort s’empare de lui ».
« Adressez-vous aux objets trouvés »
Les deux tortionnaires Enrique Dorado et Felipe Bayo sont à la manœuvre, ils s’aperçoivent qu’ils n’ont plus qu’un agonisant entre leurs mains. Affolés, ils transportent le corps de Mikel Zabalza au bureau de leur supérieur, le lieutenant Arturo Espejo qui tente de ranimer le jeune Basque. En vain. Alors, pour se débarrasser d’un encombrant cadavre, ils inventent une histoire. Accompagné par les gardes civils à la recherche d’une cache d’ETA, Mikel Zabalza aurait tenté de s’échapper en se jetant dans la Bidassoa où il serait mort noyé. Le 15 décembre, une vingtaine de jours après le crime, la garde civile restitue le corps menotté. Entre temps, la mère de Mikel s’est rendue à la caserne d’Intxaurrondo pour obtenir des nouvelles de son fils. « Adressez-vous aux objets trouvés », lui a répondu le planton de service. Le cynisme de la garde civile n’a d’égal que sa cruauté.
En 1988, un juge de Saint Sébastien classe l’affaire pour non-lieu, faute de preuves suffisantes, bien entendu. Le 17 mars 2021, l’enregistrement de la conversation entre Juan Alberto Perote et Pedro Gomez Nieto est audible dans un film réalisé sur cette affaire. Il fait grand bruit. Interpellé au parlement, le ministre de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska réplique : « Nous sommes dans un Etat de droit (…). En 1985, 1986 et par la suite, les tribunaux ont parfaitement respecté la légalité grâce à une enquête complète instruite à l’époque ».
En 2017, Arturo Espejo accède au grade de général de brigade. En 2020, le ministre de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska le décore de le Grand croix de l’ordre du Mérite de la guardia civil. Pour ses bons et loyaux services, la patrie reconnaissante le promeut aujourd’hui général de division. Il est loin le jour où un juge d’application des peines exigera de lui qu’il demande pardon à ses victimes en échange d’une liberté conditionnelle.