On n’aura pas fini de gloser sur cette opération politico-policière du vendredi 16 décembre 2016 à Luhuso. Trois militants abertzale connus aujourd’hui pour leur opposition à ETA et accompagnés d’une journaliste de Médiabask et d’un cameraman indépendant se font surprendre par la police française et espagnole avec une partie de l’armement d’ETA.
L’intention est de filmer sa “neutralisation” autour d’une communication à posteriori.
L’objectif à terme étant, semble-t-il, de pousser les deux Etats concernés à négocier la restitution de l’ensemble du matériel d’ETA.
Mais avec les arrestations, on passe d’une opération de communication peu commune à un tsunami émotionnel mobilisant notre volonté farouche de solidarité.
A juste titre, l’engagement des militants arrêtés pour une pacification définitive du Pays Basque est mise en exergue. Sylviane Alaux, députée PS, parle de “cinq personnes qui se sont sacrifiées”. A quelques jours de Noël, la phrase résonne fortement dans un pays encore pleinement ancrée dans sa religiosité. La presse locale et même hexagonale devient vite dubitative face à la version policière et au commentaire précipité du nouveau ministre de l’intérieur, Bruno Le Roux, qui parle “d’un nouveau coup dur porté à l’ETA” et rajoutant plus tard sans rire “Personne n’a le droit de se proclamer destructeur d’armes”.
C’est vrai quoi, il y a fort à parier qu’une partie de ces armes soit de fabrication française. C’est bien la peine que la France, donneuse de leçons pacifistes, s’escagasse à rester le premier producteur d’armes au monde par habitant !
Faut il sauver le soldat ETA ?
La force de réaction déploie, dès les événements connus, une capacité organisationnelle militante hors du commun. Dès le lendemain matin se succèdent par ordre d’apparition sur la scène médiatique : une conférence de presse initiée par Bake bidea et sa chef de file, plus tard, un autre point presse réunissant une trentaine d’élu(e)s de tous bords, une manif de plus de 3.000 personnes, un courrier d’élu(e)s remis aux juges parisiens, puis une motion signée par 600 élu(e)s dont 80 maires remise au gouvernement via la sous-préfète, des rassemblements à Luhuso, Garazi ou devant la sous préfecture, la mise en place d’une pétition exigeant la libération des personnes incriminées qui réunie 20.000 signatures en 3 jours…
A contrario, Paris et Madrid, depuis la reddition d’ETA en octobre 2011, misent sur le pourrissement de la situation, visant l’humiliation.
Et leur histoire récente corrobore leur comportement irresponsable : l’Espagne avec la guerre civile et les presque 40 ans de dictature et la France avec les guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie n’ont jamais voulu regarder leurs histoires respectives en face.
Car aujourd’hui, la société basque, surtout en Hegoalde, a du mal à faire face à ce vrai traumatisme lié au conflit armé qui a causé tant de souffrance et instillé tant de ruptures familiales. Un devoir de mémoire s’impose là aussi.
Un seul ETA vous manque et tout est dépeuplé
De fait, voilà une situation plutôt ubuesque : une organisation clandestine qui a décrété, de façon unilatérale, la cessation de son activité armée essaye désespérément de se rapprocher de ses ennemis victorieux pour rendre ses armes, façon Vercingétorix devant César… à défaut d’avoir su négocier au moment opportun des avancées politiques pour Euskal Herria.
Cette velléité se heurte donc à une réalité implacable : il est sûrement trop tard.
Le plus grand loupé remonte sûrement à 1998/1999, avant dernière trêve, avec l’échec des accords de Lizarra Garazi. Les attentats de mars 2004 à la gare Atocha à Madrid (190 morts) ont fini par sceller une double idée. Celle de la contre productivité de la lutte armée et celle ayant fait passer ETA comme un allié objectif du gouvernement espagnol dirigé par le PP d’Aznar, lequel à trois jours des élections a essayé de faire croire à une action “de la banda terrorista ETA” alors qu’il détenait des éléments qui accréditaient la thèse de l’attentat islamiste.
Puis en 2006, ce qui deviendra le dernier espoir d’une sortie négociée du conflit armé, échoue avec la rupture de la dernière trêve par les irréductibles de l’organisation et sa première conséquence directe : la mort de deux immigrés clandestins lors d’une explosion à l’aéroport de Madrid. Après Hipercor (1986),Yoyes (1987), et des élus et des journalistes pris pour cible, jusque dans les années 2000, c’est cette même stratégie suicidaire qui s’opère avec la complicité de la “gauche abertzale pro militaire”.
Une fuite en avant renforcée par la répression des deux Etats qui arrêtent les militants les plus matures et qui interdit toute représentation politique publique et le financement qui va avec.
Parallèlement, une autre stratégie stupide isole encore un peu plus l’environnement d’ETA : l’affrontement direct avec le PNV, annihilant tout front potentiel abertzale face à l’état espagnol.
Une organisation clandestine
qui a décrété, de façon unilatérale,
la cessation de son activité armée
essaye désespérément de se rapprocher
de ses ennemis victorieux
pour rendre ses armes,
façon Vercingétorix devant César…
Le processus de paix en mauvais ETA
Il est sûrement trop tôt pour entamer un bilan exhaustif de l’impact de ETA durant ces 50 dernières années. Mais sa fin est à l’image de ses erreurs stratégiques au-delà de toute considération humaine et philosophique sur l’utilisation de la lutte armée, surtout, bien sûr, dans la période post franquiste. Assassinats, attentats, extorsions de fonds, enlèvements, emprisonnements, clandestinité, persistance de la torture, justice aux ordres, peur visible de tous côtés, violences étatiques et quasi impunité de représentants de l’Etat espagnol ont fait partie du quotidien du Pays Basque.
Étonnamment aujourd’hui, les “vaincus” se révèlent être des chantres de la paix alors que les “vainqueurs” n’ont que la morgue à proposer. Pourtant, des questions méritent d’être posées. Qu’attendre de la remise du reste de l’armement par des militants abertzale ou prochainement par d’autres personnes méritantes ? N’y-a-t-il pas d’autres voies que le rachat individuel et/ou collectif par des personnes se substituant à une organisation armée ? Au final, pourquoi est-ce à la “société civile” de porter le fardeau de la culpabilité d’une résolution du conflit non négociée, notamment sur le devenir de près de 400 prisonniers politiques basques? Pourquoi cette fâcheuse impression d’être encore sous la coupe du triptyque “Action/répression/réaction” et de participer à une sorte de sous-traitance?
La souffrance générale engendrée par ce conflit européen arrivera-t-elle à cicatriser sans une volonté organisée permettant aux sociétés basques et espagnoles d’oeuvrer vers une réconciliation fondée sur le partage des responsabilités, le respect des droits humains et collectifs dans un contexte de gouvernance démocratique ?
Comment le Pays Basque aura-il un jour sa place dans le concert des nations, pleinement reconnu et respecté par ses proches voisins?