Souvenirs d’Eric Dupré-Moretti

Le chercheur Eric Dupré-Moretti est décédé le  21 janvier à l’âge de 74 ans.
Le chercheur Eric Dupré-Moretti est décédé le 21 janvier à l’âge de 74 ans.

Le chercheur Eric Dupré-Moretti est décédé le 21 janvier à l’âge de 74 ans. Il a longtemps animé la revue Ikuska. Michel DUVERT lui rend hommage dans nos colonnes.

Michel DUVERT

Décembre 2022, janvier 2023, mortel calendrier. Nous étions nombreux ce mercredi 25 janvier à Bayonne, dans l’église Saint Etienne, afin d’accompagner la dépouille d’Eric Dupré Moretti. Un homme rare, jovial et qui fut l’ami de beaucoup d’entre nous. Certains l’ont connu bien mieux que moi, mais je me devais de répondre à une amicale sollicitation.

J’ai fait sa connaissance à l’occasion d’une fouille que nous effectuions sous la direction de Jacques Blot. Il faut dire que nous avions quelques références communes dans le monde universitaire et surtout dans le milieu administratif de la culture en Aquitaine. C’est plus d’une fois que nous évoquions les egos surdimensionnés de ces petits chefs de bureau dont dépendait notre recherche. La Recherche entre les mains d’imbéciles ! Bottines cirées et écharpe blanche, ces petits chefs aimaient donner la leçon. D’une stupéfiante arrogance, ils étaient ignares à un point rare en ce qui concerne nos montagnes (c’est qu’il fallait s’y rendre !). On riait en évoquant nos manœuvres de contournements afin d’essayer de leur faire prendre des vessies pour des lanternes. Dans ces bureaux, un seul (au caractère épouvantable !) jouissait à nos yeux d’une très grande estime. Victime de nos perfidies, il était un grand nom de la recherche en Pays Basque. On l’aimait énormément, mais l’estime en était usée à force de s’être trop frotté à lui. Rigolades ? Dans le fond nous ne valions guère mieux. Alors autant en profiter !

Nous aimions le pastoralisme montagnard. Cette montagne était comme un chez-nous. Ses paysages, Eric les mettait à nu, les expliquait reprenant les propos de ses témoins du lieu. Quel merveilleux chercheur ! Je ne suis pas près d’oublier l’après-midi passé en sa compagnie au cours de laquelle nous visitâmes cette aire pastorale sans âge, dans le fond d’une vallée ou peu de gens (ouf !) mettent les pieds. C’était en 2018. Nous discutâmes âprement de ses thèses, concrètement, sur le terrain. Ce que j’ai appris ce jour-là !

Merci l’ami, grâce te soit rendue.

Mais Eric c’était également autre chose, tout autre chose. C’était le spéléologue (à qui l’on doit les grandes études sur les mines d’Ainhoa-Baztan) et le plongeur, l’explorateur de grottes et des études sur la faune cavernicole, le préhistorien qui apporta une large contribution à l’étude des environs de Bayonne. C’était aussi l’historien qui scrutait les débuts de notre aventure rêvée aboutissant à la création du royaume de Navarre. C’était tout cela et plus encore, tant son savoir était immense, boulimique, mais ordonné, classé. Nous évoquions parfois la mythologie, un thème qui nous tenait à cœur. Nous pointions les vieux méditerranéens d’avant J-C, et notamment les Etrusques que j’allais étudier sur place et dont je lui fis part. Nous spéculions sur l’imaginaire basque qu’il aimait tant. Nous nous remémorions l’apport de Barandiaran, Mais nous étions sur deux voies parallèles car j’avoue peu apprécier l’estime qu’il portait au structuralisme de Lévi-Strauss. Trop matérialiste et rationnel pour moi !

Eric était un curieux en tout ! La revue Ikuska qu’il créa (en hommage à notre maître Barandiaran) avec l’aide de quelques amis, était à son image. Généreuse, pointue et ouverte sur le monde. C’est la seule revue chez nous qui soit dévolue à la recherche, au terrain et plus volontiers à celui de la montagne basque. Il fallait un sacré culot pour l’imaginer et la mettre en œuvre. Chapeau monsieur ! Il y publiait des articles de fond, notamment y compris sur des peuplades africaines ; il faisait connaître d’anciens chercheurs oubliés. Nous étions loin des chers spécialistes pontifiants et de leurs scrogneugneux ! Iparralde a subi une terrible perte. Énorme et ce ne sont pas les diplômés qui la répareront ! Ikuska c’était notre bol d’air !

Et puis Eric c’est une famille, de ce genre de famille sans laquelle nous ne sommes pas grand-chose. Merci à elle, de tout mon cœur !

Comme dit Teilhard, dans ce monde qui est flux montant et se referme dans l’Amour, nous voilà contraints d’entrer et d’avancer. Par chance il y a parmi nous des gens lucides et courageux qui nous stimulent en chemin. Avec eux, on apprend même la curiosité et le divertissement ! Eric fut de ceux-là et comme pour beaucoup, il fut comme une bénédiction.

 

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