Le blocage annoncé du Pays Basque par Bake Bidea et les Artisans de la Paix a été une démonstration de force réalisée avec la plus grande maîtrise. Cette détermination prendra la forme d’autres mobilisations et actions toujours plus importantes si le Parquet national antiterroriste maintient son attitude incompréhensible pour la population du Pays Basque et ses élus. Car c’est cette attitude-là qui trouble de plus en plus l’ordre public, et non la libération hier de Txistor Haranburu ou celle demain de Jakes Esnal et Jon Parot.
Le blocage du Pays Basque nord par Bake Bidea et les Artisans de la Paix était un succès avant même la journée du 23 juillet. L’appel à cette mobilisation —et sa préparation minutieuse et à une ampleur rarement égalée—, avait réussi à remettre la question des prisonniers basques, et notamment le sort préoccupant de Jakes Esnal et Jon Parot, sous les projecteurs et au centre du débat public local, ainsi que des discussions d’innombrables familles d’Iparralde, devant organiser différemment leur samedi pour tenir compte du blocage annoncé.
Tentatives d’intimidation et de menaces
La tension a été palpable au cours de la dernière semaine et particulièrement des deux derniers jours, avec la conférence de presse du préfet des Pyrénées-Atlantiques, le 21 juillet, destinée à intimider les organisateurs et les pousser à annuler ou modifier leurs consignes. Elle précédait l’annonce de l’interdiction pure et simple de la mobilisation devant le refus de Bake Bidea et des Artisans de la Paix de changer quoi que ce soit à leurs plans. Le message de l’État était on ne peut plus clair : “La liberté de manifester est une liberté constitutionnelle que j’ai toujours défendue, mais il n’y a pas de liberté de blocage. J’ai dit aux manifestants que je comprenais les raisons qui les poussent à manifester, mais le blocage est un délit pénal.” a ainsi déclaré le Préfet sur les ondes de France Bleu Pays Basque ce vendredi 22 juillet avant de prévenir : “Tout sera judiciarisé, filmé, nous aurons les plaques des automobilistes, que je transmettrai ensuite au procureur de la République, qui fera preuve de la plus grande fermeté”.
Démonstration de force et de maîtrise
Cette interdiction et les risques annoncés de poursuites judiciaires menées avec “la plus grande fermeté” ne donnent que plus de valeur à ce qui s’est passé ce samedi 23 juillet. Dès 10 heures du matin, 1700 militant.es ont bravé les menaces et ont participé, à visage découvert, aux différents barrages mis en place. Au total, 15 points de blocages, réunissant entre 60 et 500 activistes chacun, ont coupé la circulation automobile pendant des heures d’affilée sur divers axes routiers. Trois actions spectaculaires de blocage ont réussi, malgré la surveillance et la protection policière renforcée des objectifs qu’elles visaient : tarmac de l’aéroport, voie TGV, autoroute.
Le quotidien Sud-Ouest, dans un reportage photo impressionnant de la journée, la décrivait ainsi : “Ce samedi 23 juillet, le Pays basque a vécu au rythme de la mobilisation de Bake Bidea et des Artisans de la Paix qui ont bloqué des points stratégiques du territoire. La revendication de cette journée : la libération des prisonniers basques”. Certaines photos montrant les principaux axes routiers totalement déserts étaient accompagnées de légendes explicites: “L’image résume la journée : à 13 heures, le boulevard Marcel-Dassault vide. Du jamais-vu depuis les confinements liés au Covid.” ou encore “Tout aussi impressionnant : le boulevard du BAB quasi vide, un samedi midi, vu depuis le pont des Cinq-Cantons”.
Cette démonstration de force et de détermination a été réalisée avec une maîtrise absolue des événements. L’opération était particulièrement complexe et tout a été organisé au millimètre près et coordonné à la seconde près tout au long de la journée. Les barrages s’ouvraient et se refermaient en quelques dizaines de secondes au passage des véhicules de pompiers ou du SAMU. Une voiture transportant une personne présentant des signes d’AVC a été accompagnée pour franchir deux barrages successifs avant de rouler plus rapidement que jamais vers l’Hôpital de Bayonne, profitant des axes routiers exceptionnellement déserts.
Aucun incident n’a donc été à déplorer lors de cette journée qui donnait au Pays Basque nord le visage qu’il prend lors des grèves générales ayant les réponses les plus massives. Aucun incident si ce n’est la mise en garde-à-vue de 26 Artisans de la Paix ayant participé aux trois actions les plus spectaculaires de la journée. Ces arrestations ont occasionné le rassemblement de plusieurs centaines de personnes devant une sous-préfecture de Bayonne en état de siège policier. Là encore a eu lieu une scène montrant le caractère totalement inhabituel de cette journée de blocage : de nombreux élus locaux, de toutes tendances, sont venus participer à ce rassemblement et ont demandé à être reçus par le Préfet qui coordonnait les opérations policières sur place. Une délégation de 12 d’entre eux, maires, conseillers départementaux ou régionaux, sénatrice, membres de l’exécutif de la Communauté Pays Basque et le Président de cette dernière, ont ainsi pu rentrer dans la sous-préfecture pour demander la libération des 26 personnes arrêtées et plaider pour que le message porté par cette journée de blocage soit entendu par le gouvernement. Les 26 gardés à vue ont été relâchés dans l’heure qui a suivi cet entretien, non sans avoir chacun reçu une mise en examen et une convocation à une audience judiciaire(1).
Message envoyé
Cette dernière année, et face au blocage du dialogue à ce sujet avec le gouvernement, les Artisans de la Paix et Bake Bidea ont multiplié les actions non-violentes pour demander la libération de Jakes Esnal et de Jon Parot(2) et le règlement définitif de la question des prisonniers basques, plus de 10 ans après la fin de la lutte armée d’ETA. Le Parquet national antiterroriste (PNAT) bloque les libérations d’Esnal et de Parot ordonnées par les juges en prétextant que la sortie de ces deux septuagénaires, anciens militants de l’organisation ETA qui s’est totalement désarmée en 2016 puis dissoute en 2018, pourrait causer un trouble à l’ordre public !
Réponse attendue
Le message de cette journée du 23 juillet, qui durcit le ton, est clair : c’est le maintien de ces personnes en prison qui trouble aujourd’hui l’ordre public et qui risque de le troubler de plus en plus. Car la position de Bake Bidea et des Artisans de la Paix est on ne peut plus claire : si le 22 septembre prochain, les décisions judiciaires attendues au sujet des demandes de libération conditionnelle de Jakes Esnal et de Jon Parot ne tiennent aucun compte de ce qui s’est passé ces 10 dernières années en Pays Basque, alors la mobilisation va monter crescendo, en nombre et en intensité, en détermination et en audace, plus fort et plus loin.
Éviter le pire
Au fur et à mesure que le temps passe, le contexte devient de plus en plus pesant et préoccupant. Tout le monde a ici en tête ce qu’il s’est passé en Corse après l’agression, puis la mort de Yvan Colonna. Personne n’ose imaginer quel seuil irréversible serait franchi si l’un des prisonniers basques, libérables depuis si longtemps déjà, décédait en prison. Un défenseur acharné, depuis toujours, de la non-violence et de la paix en Pays Basque, a résumé sans langue de bois l’inquiétude et les risques causés par la situation actuelle. “Si cette grande mobilisation ne suscite aucune réaction, je ne peux pas dire qu’il n’y aura pas d’autre action. Et je réaffirme que si l’un de ces deux prisonniers venait à mourir en détention, il serait difficile pour nous de maintenir le cadre que nous nous évertuons à défendre, pour des opérations toujours pacifiques et non-violentes.” a ainsi déclaré Jean-Daniel Elichiry, porte-parole des Artisans de la Paix, ce 23 juillet à Bayonne. L’attitude actuelle du Parquet national antiterroriste, incompréhensible pour la population du Pays Basque et ses élus, oblige paradoxalement les partisans locaux d’une paix durable à hausser et à durcir le ton, à troubler de plus en plus l’ordre public, pour éviter le pire et l’irréversible. Comment sortir de ce cercle vicieux, de cette situation absurde ?
(1) Trois procès collectifs risquent de rythmer l’année, en septembre, en décembre et en février. Ils constitueront autant de tribunes et de nouvelles mobilisations pour le règlement définitif de la question des prisonniers basques et des autres conséquences de ces 80 dernières années de conflit armé en Pays Basque.
(2) Tous deux condamnés à la perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 15 ans pour le premier et de 18 ans pour le second. Ils peuvent donc bénéficier de libérations provisoires, semi-probatoires ou conditionnelles depuis 2005 dans le cas de Jon Parot et depuis 2008 dans le cas de Jakes Esnal.
Entièrement d’accord c’est inadmissible