Selon la Constitution de 1958, la Vème République est au fond une monarchie élective équilibrée par un parlementarisme tempéré. Or cet équilibre est faussé depuis longtemps au profit du pouvoir personnel, le Parlement étant de plus en plus marginalisé, tant par le peuple que par le Président. Presque tout le monde croit que celui-ci “a tous les pouvoirs”, mais ce n’est vrai ni en droit, ni en fait. En droit, le Président a certes des pouvoirs importants dans le domaine régalien : principales nominations, défense nationale en tant que chef des armées, affaires étrangères… Mais la Constitution dit aussi dans son article 20 :
- Le gouvernement définit et conduit la politique de la nation.
- Il dispose de l’administration et de la force armée.
- Il est responsable devant le Parlement…
Nous avons bien lu : le gouvernement est responsable devant le Parlement (et non devant le Président de la République).
Dans la pratique, comment une personne aussi douée soit-elle pourrait- elle s’occuper valablement de tout ce qui fait la vie quotidienne d’un pays de 70 millions d’habitants ? Le laisser croire, c’est se condamner à décevoir et à se faire honnir. Monsieur Macron par son activisme permanent en est l’exemple parfait, mais c’est le sort qui menace tout Président de la République dans le rôle de sauveur providentiel que lui assignent les Français : mission impossible !
Le ton est donné dès les présidentielles, avec des campagnes électorales d’hyper premiers ministres aux programmes extrêmement détaillés : tout le monde pousse les candidats dans ce piège sans fond, et d’abord les journalistes par leurs questions insistantes voire comminatoires sur les moindres aspects de la vie quotidienne.
Cet exercice faussé au départ donne par la suite un Président qui s’expose constamment en première ligne, qui s’occupe de tout dans le détail, qui s’agite et s’exprime à tout va sans précaution diplomatique, dans l’improvisation voire l’impulsion. Tout le monde s’en plaint, mais tout le monde l’y pousse, y compris les opposants : au total ce régime est de plus en plus monarchique et personnel, de moins en moins démocratique et collectif.
“Ce régime présidentiel
est de plus en plus monarchique et personnel,
de moins en moins démocratique et collectif.”
Le Président se multiplie, les problèmes aussi, et le peuple s’atomise. Si le Président gouverne, qui va présider ? Son premier devoir ne serait-il pas de veiller à l’unité des citoyens, de soigner le régalien qui est à la peine, de se tenir un peu en retrait comme un gardien de but, de se libérer de son parti pour tâcher d’être le père ou peut-être bientôt la mère de la nation ? Pour çà, ne devrait-on pas laisser gouverner le gouvernement, surtout en matière économique ? Se tenir à sa place de présideur, la seule où il soit irremplaçable ?
Mais Paris est loin de nous, et nous voici renvoyés à notre vocation autogestionnaire. En fin de compte, n’est-ce pas une chance, un atout ? Naguère les métayers aimaient que le propriétaire habite à Paris, ça leur permettait de gérer plus librement leur espace vital, et ils ont fini par le posséder.
Comme Candide, il nous faut cultiver notre jardin, mais en même temps, comme dirait le Président, nous devons résister à la montée de l’extrême droite qui menace nos intérêts, nos valeurs, notre langue, notre culture…