Sacré Jakes !

3 JA hauteskundeak 5

Nous sommes en 2010 au bar Xuriatea à Hazparne. Parmi l’ordre du jour de la coordination d’Abertzaleen Batasuna est abordée la question des candidatures abertzale possibles pour les cantonales de 2011. S’en suit une discussion à bâtons rompus avec force propositions de candidatures à sonder, émanant des uns et des autres. Jakes Abeberry, fidèle à son habitude, ferraille avec sa fougue coutumière pour prioriser une personne dont il était proche alors qu’une majorité était plutôt favorable à un autre choix. A un de ses arguments, Andde Sainte Marie lui rétorque un peu énervé qu’il trouvait que ses convictions étaient extraordinairement magistrales tout autant que sa mauvaise foi ! Assis à côté de lui, dans un sourire approbateur, et un tantinet moqueur, Jakes lui passe son bras autour de l’épaule et lui répond grand seigneur : « Andde, ce que tu viens de dire est tellement touchant et proche de la vérité que j’aimerais qu’un jour -le plus lointain possible- çà serve d’épitaphe sur ma tombe ». Cette anecdote pourrait presque résumer à elle toute seule le personnage qui a plié bagage ce 29 novembre 2022 à l’âge de 92 ans. Et des anecdotes de ce type sur notre Biarrot national, il y en a foison !

Un front pas encore dégarni !

Parce qu’il fallait éviter de se le mettre à dos. Malheur à celui ou celle qu’il prenait en grippe : c’était alors la foudre, le vent, la pluie et le tonnerre qui s’abattaient derechef de façon concomitante… Pourtant, on ne l’a pas ménagé le père Abeberry. Et le mot « père » est cité à bon escient puisque notre génération du baby boom est intervenue dans la vie publique en Iparralde dès la fin des années 70. Nous avions autour de 20 ans. Jakes faisait partie de ces vieux précurseurs abertzale de 50 ans que nous pensions déconnectés de la réalité du Pays basque Nord. A ce moment-là, la plupart des abertzale « matures » soutenaient, plus ou moins ouvertement, la lutte d’ETA ainsi qu’un certain nombre de jeunes de notre génération. Ils s’opposaient à la lutte récente de l’organisation Iparretarrak qui depuis 1973 montait en puissance chez nous. Il ne fallait pas fâcher le gouvernement français. L’hebdomadaire Enbata d’alors, était dans cette stratégie de soutien au front unique face à la théorie du front uni développé par la mouvance d’IK. Cette dernière ne pouvait se résoudre à attendre ce que les militants d’ETA militaire promettaient à la jeunesse abertzale d’Iparralde à peu près en ces termes : « Aidez-nous sans trop faire de vague et nous viendrons vous libérer ».

3 + 1 + 3 = 1

Ouais. A cette époque, tout était possible mais quand même ! Cette conception politique puérile, que nous avions du mal à avaliser du haut de notre vingtaine, nous laissait pantois. Car nous savions tout de même que le niveau de conscience de la société basque chez nous était grandement sous le joug des modes de pensée réactionnaires et centralistes voire jacobines. Les retombées de mai 68 arrivaient à peine -et tout doucement- à pénétrer nos trois provinces. Et puis, nous avions mis en exergue la pluralité des territoires au sein du Zazpiak bat. Plutôt que 4 + 3 = 1, nous préférions 3 + 1 + 3 = 1 (1). C’est pour cela que nous avons créé, avec d’autres, des associations culturelles de villages (dès la fin des années 70) en revivifiant les carnavals, Olentzero, les cours de basque, en développant les groupes de danses, de gaita, de txistu, de txaranga et des orchestres. De même les semaines culturelles par cantons, les premières radios libres en euskara, l’hebdomadaire Herriz herri en Pays basque intérieur, un soutien fort -notamment financier- envers les ikastola ou l’organisation de kantaldi prenaient forme. C’était l’effervescence tous azimuts !

Ekaitza : contre vents et marées !

Parallèlement, un mouvement politique naissait avec les Herri talde. Et dès 83, un mensuel, Ateka, initié par les diverses tendances (déjà !) de la (jeune) gauche abertzale, se voulait être, un peu, le pendant du journal Enbata. De façon plutôt discrète qui fâcha d’ailleurs certains compagnons de route, un nouvel hebdomadaire d’informations politiques basques voyait le jour en 1986 : Ekaitza. Sa création, plutôt bien vue par Iparretarrak, partait d’un double constat qu’Enbata était trop sous la coupe du Sud et de sa stratégie et qu’il n’avait que peu d’appétence envers les luttes développées en Iparralde notamment sociales. Jakes et consorts n’avaient qu’à bien se tenir ! On allait vite les rendre obsolètes ces vieux croutons cinquantenaires à la solde des Bestagnols ! Si ce support a bien participé au développement de la conscience politique au Nord, il n’a pu trouver un lectorat assez conséquent lui permettant de s’enraciner et de se régénérer. Il déclina au fil du temps pour rendre l’âme, il y a une dizaine d’années, ayant, assurément, manqué un rapprochement avec son concurrent Enbata qui a su, lui, rebondir grâce à l’apport de nouveaux militant.e.s, une certaine pluralité, une plus grande ouverture aux luttes sociales et un apport financier salvateur du Sud.

Abeberry eguna, Borotra eguna

Jakes Abeberry, élu depuis 1983, était à la tête de la liste abertzale qui obtenait 12 % des voix au premier tour des élections municipales de 1989. Remis en question au sein de sa majorité et mis en minorité au sein du conseil municipal en 1991, le maire RPR de Biarritz, Bernard Marie fut remercié et remplacé par une alliance singulière entre des élus UDI, quelques socialistes et les abertzale du groupe Biarritz autrement. Cette alliance (2) qui allait perdurer durant 23 ans fit tousser une bonne partie de la gauche abertzale quand Didier Borotra, aux élections de 2001, déroula le tapis bleu à Max Brisson et ses amis du RPR. Sur les 6 élus abertzale, 3 rendirent leur tablier remplacés par trois autres nouveaux. Jakes Abeberry fut tour à tour chargé de la culture (1991-2001) puis du développement et des infrastructures urbaines (2001-2008). Son action fut riche à l’image de ses compétences et de sa volonté de fer. On pensait qu’il jetterait son dévolu sur la seule culture basque, il surpris en créant tour à tour dès 1991 Biarritz Culture et le festival autour de la danse « Le temps d’aimer » (toujours vivace aujourd’hui) puis en 1998 le centre national chorégraphique (aujourd’hui les Ballets Malandain).

« En parlant français, il parle basque »

Tête de la liste abertzale aux élections régionales de 1992, il déclara du haut de la tribune : « Être abertzale c’est avoir changé de patrie !». Il s’engagea pleinement au sein d’Abertzale Batasuna dès sa création en 1988 retrouvant les petits jeunes que nous étions. Il défendait, comme certains d’entre nous, une stratégie d’ouverture, notamment sur le terrain électoral, avec d’autres forces de gauches comme EELV ou le parti occitan. Ainsi naquirent les alliances avec les Verts aux élections européennes de 2009 et sénatoriales de 2011. C’est aussi à cette époque où il pris ses distances avec la stratégie d’ETA et de ses satellites locaux. Restera l’empreinte indélébile que ce biarrot indécrottable (opposé à la fusion des clubs de rugby professionnels biarrots et bayonnais !) laisse à plusieurs générations de ce pays qui ne demande qu’à voler de ses propres ailes. On n’a pas fini, nous qui l’avons connu de près, d’entendre raisonner dans nos cerveaux son accent et son intonation de voix si particulière.

Gurekin Jakes betikotz !

(1) Les quatre provinces du Sud + les trois du Nord (1/10ème du territoire en superficie comme en population) constituait l’ensemble d’Euskal Herri. Iparretarrak , elle, soutenait plutôt une géopolitique correspondant à trois grands territoires : La communauté d’Euskadi, la Navarre et Iparralde.

(2) Cet accord avec Didier Borotra comprenait principalement des actions en faveur de la langue et la culture basque : le soutien à l’ikastola, la création d’une crèche bascophone, l’aménagement du centre de formation d’AEK, le développement de la signalisation bilingue, ou l’implantation d’un bureau municipal de la langue basque avec un technicien dédié.

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