« Quelle mouche l’a piqué ? » , me suis-je demandé quand j’ai découvert la tribune libre que le maire de Bidart Emmanuel Alzuri a envoyée à toute la presse du Pays Basque nord pour fustiger ma chronique « Vivre et se loger au Pays » , tenue dans les derniers numéros de la revue Enbata.
Je n’y faisais qu’analyser la spéculation immobilière et foncière en Iparralde, et y formuler des propositions stratégiques pour la contrer, sans critiquer ni même citer le maire de Bidart ou aucun de ses confrères.
J’ai lu avec attention cette virulente attaque contre cette réflexion et ses propositions sur le logement, qualifiées par Emmanuel Alzuri « d’aussi stupéfiantes qu’inadmissibles » , comme par exemple l’impulsion d’un mouvement d’occupation des résidences secondaires faites dans des logements construits à partir de 2022 ou 2023, afin de « créer peu à peu un effet dissuasif pour les acheteurs potentiels des futures 20 000 résidences secondaires » dont la construction est projetée d’ici 2050, selon le diagnostic du PCAET Pays Basque, lui-même se basant sur les prévisions du PLH.
Une lecture en diagonale ?
Ma première et plus forte impression est qu’Emmanuel Alzuri attaque bille en tête un texte qu’il n’a même pas pris le soin de lire. Je veux ici en faire la démonstration, car cela me semble singulièrement léger de la part d’un élu qui lance de si lourds anathèmes
Par exemple, les envolées de l’édile de Bidart sous-entendent que je me laisserais aller à des recherches xénophobes de boucs-émissaires au problème local du logement : « à l’heure où monte inexorablement une tension inquiétante, aux relents nauséabonds (affiches «Parisiens, vous êtes notre virus » à Urrugne / Campagne contre le tourisme autocollants sur les feux de signalisation), et plutôt que d’aller chercher le coupable idéal comme vous le proposez dans votre tribune », ou encore « argumentaire stéréotypé qui consiste à faire porter le chapeau à des victimes expiatoires ».
Or, mon article dit justement tout le contraire. J’y appelle précisément à éviter « de poser des diagnostic erronés, pouvant être porteurs de dérives idéologiques et politiques (concept de colonisation de peuplement, voire approches virant à la xénophobie) et du coup de stratégies inefficaces et perdantes (chercher LA solution magique à un problème aussi complexe et multi-causal, céder à la tentation de stratégies du passé aujourd’hui inopérantes, etc.). »
La tribune incriminée parce que recherchant le « coupable idéal », « des victimes expiatoires » ou des « boucs émissaires », est donc très éloignée de ce genre de simplification démagogique. Au contraire, j’y appelle à ne pas avoir peur « d’expliquer un certain nombre de choses pas toujours les plus populaires (impact lourd des tendances actuelles à la décohabitation et solutions à y apporter, problème posé par le mythe de l’« etxe individuelle » dans l’imaginaire basque, besoin de densification par du logement collectif, nécessité de l’encadrement systématique de l’accession à la propriété sociale etc.). »
Étonnant, non ?
Autre exemple, Emmanuel Alzuri semble me reprocher longuement de parler de ce « PLH auquel vous faites sans cesse référence ». Critique surprenante, puisque je prends soin d’expliquer dans cette longue réflexion personnelle qui a couru sur trois numéros successifs d’Enbata qu’elle était justement suscitée par l’actuel débat sur le PLH, tout en précisant : « La validation de ce PLH rythme le débat tout au long de cette année 2021. Par la suite, viendront la mise au point de documents tout aussi décisifs, avec les différents PLU et le SCOT. » Je rajoutais même : « Le PLH le plus volontariste ne suffira pas à lui seul à résoudre la crise actuelle et à venir du foncier et du logement en Iparralde. ».
Du coup, on peut se demander là encore si le maire de Bidart a vraiment lu mon texte, quand il prétend m’apprendre «l’ensemble des dispositifs réglementaires que l’on peut utiliser, lesquels, vous en conviendrez, ne relèvent pas tous du PLH » ou que «le débat en effet à son sujet pourrait être sans fin, mais pourrait surtout rester sans fond, s’il devait être limité à ce seul document réglementaire de programmation. »
L’édile labourdin n’a sans doute pas lu non plus le passage où j’écrivais : « Les communes et la CAPB, qui ont dans leurs mains des outils structurants et des possibilités réelles d’intervention sur ces questions (PLH, PLUi, SCOT, EPFL, service d’acquisition foncière, préemption, expropriation, procédure des « biens sans maîtres », densification de l’habitat, production logement social, conditions d’accès à la propriété sociale et gestion Office HLM HSA, politiques de rénovation et de réhabilitation, surtaxe résidences secondaires etc.). C’est là un des principaux terrains où se jouent les batailles du foncier et du logement actuellement et dans les années à venir. C’est dire l’importance du rôle des élus communaux et intercommunaux, des techniciens, des programmes et propositions politiques à ce niveau ».
En concluant qu’il lui paraît «être de meilleure politique que le territoire se saisisse d’abord véritablement des outils et dispositifs qui existent. Ils assurent, lorsqu’ils sont utilisés, de contribuer à la régulation du système, même s’ils ne sont malheureusement pas suffisants », le maire de Bidart entend donc me faire la leçon en m’opposant… ce que je défend moi-même ! C’est plutôt moi qui devrais m’étonner de la quasi-absence des outils et des dispositifs intercommunautaires parmi les leviers d’action qu’il énumère longuement et préconise chaudement.
On peut discuter sérieusement ?
Bref, Emmanuel Alzuri passe quatre pages à attaquer ma chronique en me faisant tenir des propos qui ne sont pas les miens, en répondant à des choses que je n’ai pas dites, en m’accusant de « regarder ailleurs pour y chercher des boucs-émissaires à bon compte (loin, très loin de la tradition d’accueil du Pays Basque, mais proche, très proche de l’idéologie des extrêmes) ». Mon texte est pourtant on ne peut plus clair à ce niveau en alertant par exemple sur le risque que « les classes populaires et moyennes locales, qu’elles soient composées de gens nés ici ou ailleurs, ne puissent plus s’y loger à terme, du fait de prix leur devenant inaccessibles ».
Personnellement, je travaille justement à ce que l’angoisse et la colère bien compréhensibles que provoquent l’explosion des prix des loyers et du foncier parmi les secteurs les moins favorisés de la population ne nourrissent pas de dérives xénophobes et violentes. J’œuvre au contraire jour après jour pour leur offrir des débouchés progressistes, non-violents, écologistes, ouverts et solidaires.
J’attendais plus de rigueur intellectuelle de la part d’un responsable politique de ce territoire, sur un dossier aussi sensible. J’ignore l’intention réelle du maire de Bidart dans cette charge contre le texte d’un militant qu’il connaît bien et qu’il ne prend même pas le soin de nommer.
Pour ma part, je suis dispo quand tu le souhaites Alzu, pour une vraie discussion, où l’on répond à ce que l’autre dit vraiment et pas aux procès d’intention qu’on lui fait. Parce que ce qui me paraît personnellement « aussi stupéfiant qu’inadmissible » serait d’accepter la perspective de 20 000 résidences secondaires supplémentaires d’ici 2050 en Iparralde, quand tant de gens d’ici se demandent s’ils vont pouvoir continuer à habiter ce pays. Il va bien falloir qu’on trouve des solutions à la hauteur du défi avant que tout ça ne parte en vrille. Ados ? Izan untsa eta laster arte agian.
Cher Txetx,
J’ai pris connaissance de ton message dont je te remercie. Ci-dessous ma réponse en 3 points :
– Si, comme tu me le reproches, je ne t’ai pas nommé personnellement, c’est parce que je ne souhaitais pas personnaliser et encore moins stigmatiser. Notre relation déjà très ancienne ne le mérite pas.
– Je remets en cause dans cette tribune des propos que j’ai lus dans Enbata (c’est incontestable) et qui me paraissent ressortir d’un exercice d’apprenti sorcier ou de « pompier pyromane ».
– Et c’est donc bien pour ces raisons que je suis disponible à n’importe quel moment pour venir discuter de ces questions de logement et de foncier avec toi et ceux qui le souhaitent.
Izan untsa eta laster arte agian.
« Alzu » 🙂
Emmanuel ALZURI
Maire de Bidart
Egun on Alzu :-), eta milesker zure mezuarengatik,
1) dont acte. Mais la prochaine fois, je préfère que tu me nommes et que tu répondes à ce que j’ai réellement écrit, plutôt que tu épargnes mon nom et que tu me fasses des procès d’intention en xénophobie ou je ne sais quoi. Rien de plus éloigné de moi que ce genre d’idées et de sentiments. Et je ne vois pas ce que cela a à voir avec le fait de dire que la perspective de 20 000 nouvelles résidences secondaires n’est pas acceptable dans un territoire dont la population locale, qu’elle soit née là ou ailleurs comme je le précisai bien dans ma chronique, a de plus en plus de mal à avoir un logement. Je n’ai fait aucune référence à l’origine ethnique des propriétaires de ces futures résidences secondaires que je sache. Qu’ils soient russes, américains, parisiens, girondins ou biscayens, la question n’est pas là pour moi. Le droit à avoir un logement passe avant celui d’en avoir deux, un point c’est tout. Je parle d’un problème de justice sociale et du droit fondamental des personnes à pouvoir se loger sur le territoire d’où elles sont, point. De plus, j’ai longuement précisé tout au long des 3 parties de ma chronique que les résidences secondaires étaient loin d’être la seule cause du problème auquel nous avons affaire, et qu’il n’y avait pas UNE solution magique à rechercher, mais au contraire une panoplie complète d’actions sur plusieurs niveaux d’intervention : communal, intercommunautaire, législatif, citoyen.
-2) tu ne fais pas qu’attaquer ma proposition d’occuper les futures résidences secondaires pour y loger les habitants d’ici qui se retrouvent sans logement, tu me reproches aussi -je ne reviens pas sur le caractère incongru de ce reproche que j’ai détaillé dans ma première réponse- de trop parler de PLH, de méconnaître les outils et dispositifs communaux pouvant être actionnés sur la question du logement et du foncier… J’aimerai bien comprendre en quoi tout cela ressort “d’un exercice d’apprenti sorcier ou de pompier pyromane” ? N’est-ce pas plutôt toi qui veux absolument nous ramener là un débat dont je croyais la page tournée avec la création de la CAPB, celui de l’EPCI Pays Basque ? Ce n’est peut-être pas le cas, et je veux bien croire qu’il s’agit juste de ta part d’une maladresse dénuée de telles intentions, mais ta diatribe m’a tout d’abord fait penser à une instrumentalisation de cette question si sensible du logement et du foncier au service d’un combat d’arrière-garde contre l’agglomération Pays Basque, pour montrer que cette dernière ne sert à rien ou à si peu. Je pense pour ma part, comme je l’ai écrit dans le texte que tu incrimines, que les 2 niveaux d’action, communal et intercommunautaire, doivent être activés à fond pour apporter une part des solutions à ce problème.
3) Parfait, du coup on va se fixer cette discussion (mais on se la calera directement, sans passer par médias interposés) ! Je suis sûr qu’on finira par tomber d’accord sur beaucoup de choses. En effet, j’ai lu avec attention tout ce que tu décris de l’action entreprise sur ces questions par la commune de Bidart (et que je n’ignorais pas, car j’avais lu dès 2019 le rapport Bizi de suivi des engagements municipaux climat-énergie qui faisait état de certaines de ces actions sur Bidart). Tu vois bien par toi même que même en activant tous les dispositifs communaux possibles, avec la meilleure volonté, on arrive à freiner et à limiter un minimum le problème global, mais absolument pas à le solutionner ni même à le maitriser de manière satisfaisante. Les prix des logements et du foncier montent plus que jamais et le diagnostic du plan climat prévoit 20 000 résidences secondaires de plus d’ici à 2050, ce qui est une perspective insoutenable, tant d’un point de vue social qu’écologique. Nous devons mettre en œuvre de nouveaux moyens pour calmer le jeu au plus vite. On en reparlera.
Goraintziak eta laster arte,
Txetx