Saint-Palais a brillamment commémoré le 9 septembre dernier le 500e anniversaire de la réunion en cette cité des États de Navarre qui reçurent le roi. Cette assemblée consacra la volonté de maintenir la souveraineté d’un royaume très réduit, suite à sa sanglante conquête par l’Espagne.
Lorsque, l’an dernier, le nouveau maire de Donapaleu découvrit au Centre Ospitalia d’Irissarri que sa ville avait été cinq siècles plus tôt le théâtre d’un évènement important mais occulté, grande fut sa surprise. Le 28 août 1523, les États ou Cortès de Navarre s’y réunirent en présence du roi Henri II d’Albret (1503-1555), soucieux de maintenir des institutions qui, théoriquement, couvraient l’ensemble de son royaume. Après une longue bataille diplomatico-militaire, il venait d’en perdre la souveraineté sur la majeure partie du territoire. L’assemblée du 28 août rassemblait les trois ordres : noblesse, clergé et « université », c’est-à-dire le peuple des cités et villages. Son objet fut une reconnaissance mutuelle des liens unissant un monarque avec un territoire et son peuple, gérés par le For de Navarre. Le monarque jura de respecter les chartes et libertés qui régissaient la vie des habitants. Il s’agit là d’un acte politique majeur qui matérialise une souveraineté politique. Un acte en langue romane, actuellement déposé aux Archives de Pau, définit et atteste de son contenu. Iruñea ayant été envahi, il fait de Saint-Palais la capitale du royaume s’étendant de part et d’autre des Pyrénées et dont il revendique l’unité. L’objet de la commémoration du 9 septembre était de rappeler ce pan de notre histoire.
La journée Nafarroa bizirik organisée par plusieurs instances – associations Zabalik, Nabarralde fundazioa, Hernani errotzen, Centre patrimonial Ospitalia et municipalité – a été à la hauteur de l’importance historique de l’événement.
Elle a débuté par trois conférences dans l’auditorium de l’espace culturel Bideak qui accueille jusqu’au 4 novembre l’exposition Loraldia consacrée à la renaissance navarraise aux XVIe et XVIIe siècles.
Trois historiens sont intervenus :
Beñi Agirre a brossé les dix siècles d’existence d’une souveraineté basque au travers des critères qui la fondent : langues, cultures, coutumes, lois et institutions.
Peio Joseba Monteano-Sorbet nous a rappelé les quinze dernières années de douloureux conflits qui virent la disparition de l’essentiel de notre souveraineté.
Enfin Alvaro Adot, professeur à l’Université de Pau, a présenté en détail l’acte du 28 août 1523, son contexte et sa signification politique.
Plaque commémorative
Révisionnisme et omerta
Sur la façade de l’ancienne église Saint- Paul, siège des États de Navarre puis du tribunal, une plaque commémorative a été dévoilée. Elle rappelle l’événement d’il y a 500 ans. Le maire Charles Massondo, Mattin Irigoien et des bertsulari ont indiqué comment cette histoire qui nous touche de si près a été oubliée, au profit d’une histoire officielle franco-française. En Haute-Navarre, nous avons droit au révisionnisme : dans un grand élan d’amour, nous nous serions précipités dans les bras des souverains espagnols pour chasser les souverains français… C’est feindre d’ignorer que ces derniers étaient détenteurs de la souveraineté du royaume et qu’ils l’ont défendue jusqu’au bout, avec un acharnement et une intelligence inouïs. En Basse-Navarre (1), l’oubli a fait aussi son œuvre. L’existence de deux royaumes distincts, de France et de Navarre, est devenue peu à peu très théorique, tant nous étions vassalisés. Puis le roman national français véhiculé par l’école dès le XIXe siècle, nous a passé à la trappe.
Plusieurs membres de Zabalik ont ensuite convié le public nombreux à participer à une visite guidée – en plusieurs langues – des différents lieux de la cité si chargée d’histoire : maison de l’écrivain et historien Arnaud Oihenart (1592-1668), moulins royaux, couvent et église, édifice où l’on battit monnaie de 1351 à 1672, précisément un des attributs majeurs de la souveraineté nationale. Le parcours a été ponctué par les interventions de trois bertsulari très en verve.
Les Dario Fo d’Iparralde
En fin d’après-midi, passe-rue de danseurs, de joaldun et de géants, puis fête populaire avec chants, danses et toberak, ont clôturé la journée. Le spectacle avait pour thème : « Il y a 500 ans, notre royaume était souverain ». Son rythme enlevé faisait alterner plusieurs expressions artistiques. Nous avons eu droit à une exceptionnelle anthologie de danses interprétées par des troupes d’Ipar et d’Hegoalde.
Les chants centrés sur la Navarre, ses symboles et son histoire, étaient entonnés par différents groupes ou par la chorale de l’ikastola ; ils prenaient appui sur un superbe recueil de textes distribué gratuitement au public. La palme revient sans doute à la série de sketches de type toberak, écrits et mis en scène par Mattin Irigoien, avec pour interprètes de jeunes acteurs d’Amikuze. Sa modestie dut-elle en souffrir, saluons ici son talent à la fois d’auteur et d’animateur bien connu pour les Libertimendia qu’il organise chaque année. Notre homme sait ce que le théâtre populaire et de rue, la Commedia dell’Arte, veulent dire. A l’instar de son alter ego garaztar Antton Luku, tous deux sont nos Dario Fo, nos Augusto Boal d’Iparralde. Ils se situent dans le prolongement d’une tradition littéraire et politique, celle des bouffons du Moyen Âge, qui flagellent avec humour les pouvoirs en place, en faisant respecter la dignité des opprimés.
Parce qu’elle a su mettre en faisceaux différents acteurs culturels et institutionnels, cette journée était impensable il y a quelques années, du temps de la précédente municipalité dont le maire passera dans l’histoire pour avoir déclaré un jour : « Parler le basque ne sert à rien ». Certes, il eut le grand mérite d’acheter sur ses deniers personnels et d’aménager l’ancien couvent des Franciscains. Mais ce fut à la fois un gouffre financier et une coquille vide, déconnectée du tissu associatif basque. L’historien Alain Zuaznabar qui s’étiolait à Donibane Garazi a été embauché par la municipalité, il est aujourd’hui la cheville ouvrière de Bideak qui devient ainsi un centre culturel vivant proche du tissu associatif et s’éloigne peu à peu d’un « saint-jacques-de-compostelocentrisme » envahissant.
L’implantation en 2018 d’Amikuzeko irratia, parrainée par Irulegiko irratia, n’est pas étrangère au souffle eskualdun qui dorénavant irrigue Saint-Palais. La présence d’élus abertzale au sein de la nouvelle municipalité, aux commandes depuis 2020, non plus. La journée du 9 septembre témoigne d’un élan culturel où l’euskara gagne à nouveau du terrain. Tout n’est pas gagné, loin de là, mais la bonne voie est prise. Sentiment d’appartenance et mémoire historique progressent, au travers du dynamisme de nombreux habitants qui, avec d’autres, créent et font société. Ils n’attendent pas grand-chose d’une culture pré-mâchée ou sur papier glacé, venue d’ailleurs, voire imposée. Cela augure bien de l’avenir. De là-haut, Manex Erdozaintzi-Etxart et Ludo Docx n’en reviennent pas. Avec les autres pionniers de leur génération, ils n’ont pas semé pour rien.
(1) L’expression Basse-Navarre apparaît durant la dernière décennie du règne d’Henri II.