
En février, les tribunaux de Lorient et d’Angers ont dû délibérer sur le prénom breton Fañch, interdit à l’Etat Civil à cause du tilde sur le n. Si les débats se centrent sur l’appartenance ou non du ñ à la langue française, la question mérite une lecture plus large.
En droit international, l’article 2 de la Convention n°14 de la Commission Internationale de l’État Civil stipule que “(…) Les signes diacritiques que comportent ces noms et prénoms seront également reproduits, même si ces signes n’existent pas dans la langue en laquelle l’acte doit être dressé.”. Mais évidemment, comme pour l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant ou pour tout autre texte international visant à garantir les droits fondamentaux des minorités linguistiques, la France n’a pas ratifié le texte. Tout comme le président Muhammadu Buhari aurait déclaré à Theresa May que le Nigeria “n’était pas concerné” par la lutte contre les discriminations homophobes, le préambule de la Constitution française stipule qu’il n’y a pas de minorités linguistiques en France et qu’elles n’ont donc pas à être protégées.
Pourtant, de nombreuses langues existent en France et elles sont – paradoxalement – reconnues et même protégées par la loi. En fonction des textes, elles sont appelées Langues de France ou plus communément Langues Régionales, comme dans l’article 1 du Code du patrimoine. Elles sont aussi inscrites dans la Constitution, à l’article 75-1 disant que “Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France”. Cette inscription était venue refermer la brève fenêtre temporelle durant laquelle la France ne se reconnaissait qu’une seule langue, qui n’aura donc duré que 16 ans, de 1992 à 2008. Une lecture positive du droit est malheureusement très difficile, étant régulièrement confrontée à une vision dogmatique d’une langue française “langue unique” et d’une volonté ethnocide “d’extermination des patois”.
Les débats sur le prénom Fañch et les prénoms utilisant des “signes diacritiques des langues régionales” sont intéressants de ce point de vue. En France, la liberté fondamentale des parents à choisir le prénom de leur enfant est garantie par la loi (Article 57 du Code Civil) et pendant longtemps, les Iñaki, Aña, Artús ou Fañch ont été totalement légaux, jusqu’au 23 juillet 2014, date à laquelle une circulaire relative à l’état civil (et non une loi ou un décret) est venue les interdire.
Cette circulaire s’appuie sur un décret du 2 thermidor an II (1794) qui stipule que “nul acte public ne pourra (…) être écrit qu’en langue française.” et que tout fonctionnaire qui déroge à cette règle sera destitué et condamné à six mois d’emprisonnement. La circulaire de 2014 définit ensuite, sans justification juridique, une liste fermée de caractères autorisés, dont sont exclus notamment le “ñ” et le “ú” utilisés dans les prénoms bretons, basque ou occitans. Il est à noter que l’arobase (@) est également exclue de la liste, et qu’il vous est donc théoriquement possible de faire condamner à six mois de prison tout fonctionnaire vous demandant votre adresse mail. Il est à noter également que durant la pandémie liée au Covid, lors des confinements, lorsque le ministère de l’intérieur distribuait des autorisations de déplacement rédigées en anglais, ces sanctions n’avaient pas été appliquées.
La circulaire cite également pour se justifier la constitution, mais uniquement son article 2, et “oublie” l’article 75-1. Elle cite également la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française. Cette dernière loi, imposant elle aussi l’usage du français dans les actes écrits, est complétée depuis 2021 d’un article 21 disant que “Les dispositions de la présente loi ne font pas obstacle à l’usage des langues régionales et aux actions publiques et privées menées en leur faveur.” Une nouvelle formulation de la loi, dont nous n’avons pas encore vu les effets, précisant que certaines obligations d’utiliser le français ne s’appliquent pas lorsque l’on utilise une langue régionale. Mais la circulaire de l’état civil décide que cette loi “ne permet pas de déroger [au décret] du 2 Thermidor An II”.
La loi Molac de 2021 avait voulu sécuriser l’usage des prénoms en langue régionale, mais avait été censurée sur ce point par le Conseil Constitutionnel. Il n’existe donc pas de texte de loi autorisant expressément les Beñat ou Gariñe. Mais il n’existe pas de texte les interdisant non plus, à l’exception d’une circulaire interprétant de manière restrictive un décret révolutionnaire, qui vient lui-même restreindre l’application des lois sur l’usage des langues régionales et du droit fondamental du libre choix du prénom de son enfant.
En 2018, dans une affaire similaire, la cour d’appel de Rennes avait autorisé l’inscription du prénom Fañch à l’état civil, arguant que “l’usage du tilde n’est pas inconnu de la langue française” et que ce signe aurait donc dû être inclus dans la liste des caractères autorisés. En 2025, le tribunal de Lorient reprend cet argument tandis que celui d’Angers donne raison à la famille pour des questions de procédure. De très bonnes nouvelles pour les familles et tant mieux pour les enfants qui pourront continuer à porter leur prénom ! Ces victoires “techniques” ne traitent toutefois pas le fond du problème. Elles feront disparaitre les effets visibles d’une discrimination linguistique, mais non la discrimination elle-même.