Au printemps 2018 l’actuel Président de la République fraîchement élu déclarait : “Au fond nous sommes le seul pays de la Francophonie qui ne vit qu’en français… Il n’y a que les Français qui n’ont que le français…” (Lire aussi Le Président se trompe, Enbata N°2334 de juin 2018).
Le Président Macron serait-il donc, comme ses principaux opposants, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélanchon, un fidèle héritier des pères fondateurs du monolithisme français qui, sous la Terreur de 1793 et 1794, décrétèrent l’éradication des “langues de France” autres que le français ?
Ils n’eurent pas le temps d’arriver à leurs fins, mais il reste d’eux des lois négatives, qui servent de temps en temps et surtout cette volonté de corseter la France dans la langue unique : d’abord langue du Roy, puis langue de la République.
Ce projet ethnocide n’a jamais été renié ni aboli par leurs successeurs républicains, monarchistes ou napoléoniens : à travers tous les régimes politiques, les gouvernements français successifs de diverses obédiences ont gardé ce cap négatif dans leurs paroles comme dans leurs actes, jusqu’à une période récente.
Pour les paroles nous disposons d’un florilège impressionnant de propos ethnocides. En voici quelques échantillons.
Le 8 décembre 1792, le député Lauthemas déclare à l’Assemblée nationale : “Partout où les communications sont gênées par les idiomes particuliers, qui n’ont aucune espèce d’illustration et ne sont qu’un reste de barbarie des siècles passés, on s’empressera de prendre tous les moyens nécessaires pour les faire disparaître le plus tôt possible”.
Le 30 septembre 1793 l’abbé Grégoire, député de la Convention, propose au Comité de l’Instruction publique “d’extirper cette diversité d’idiomes grossiers, qui prolongent l’enfance de la raison et la vieillesse des préjugés.”
Et le 4 juin 1794 il présente à l’Assemblée un rapport “sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française”, pour “uniformer le langage d’une grande nation”.
Le 27 janvier 1794, le député Barère : “Nous avons révolutionné le gouvernement, les moeurs, la pensée, révolutionnons aussi la langue ; le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l’émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle italien ; le fanatisme parle basque. Cassons ces instruments de dommage et d’erreur.”
En 1833 sous le règne de Louis-Philippe le ministre de l’éducation nationale Guizot impose par la loi le monopole du français dans l’enseignement primaire. La même année l’inspecteur du canton de Mauléon : “J’ai exigé des instituteurs l’abolition entière de l’usage de la langue basque en classe. Je leur ai également recommandé d’abandonner entièrement la pratique de la lecture en basque, suivie dans tous les temps dans leurs écoles.”
En 1846, dans les écoles de Saint-Palais, il est interdit “de proférer aucune parole grossière comme aussi de parler basque –même pendant les récréations.” Toujours en 1846 le préfet des Basses-Pyrénées : “Nos écoles au Pays Basque ont particulièrement pour objet de substituer la langue française au basque.” Vous avez bien lu : il ne s’agit pas d’ajouter le français à la “langue régionale”, mais de l’imposer à sa place en éliminant cette dernière.
Vers la fin du XXe siècle, sous la pression conjuguée de l’Europe et de l’enseignement des “langues régionales” par immersion dans des écoles privées mais laïques, l’état français a sensiblement assoupli sa ligne linguistique en faisant une certaine place à ces langues. Mais voici que la méthode immersive est remise en question par certains propos de ministres, notamment ceux de l’éducation.
Devant le tollé soulevé en Bretagne, il a recadré sa déclaration dans un sens apaisant, sinon rassurant.
Plus menaçante encore la petite phrase assénée par la ministre de la cohésion des territoires sur l’inconstitutionnalité de l’enseignement par immersion de ces langues dans l’école publique, donc aussi, je présume, dans l’enseignement privé sous contrat qui est soumis aux mêmes règles. Or l’on sait que seule l’immersion permet aux élèves de s’exprimer également dans les deux langues.
Restons donc vigilants pour résister par tous les moyens pacifiques à toute agression.