Réponse à « L’art de faire du neuf avec de l’ancien »

Une fresque du Mouvement Socialiste au Pays Basque intérieur.

En juin dernier, Enbata a publié une « radioscopie de GKS » intitulée « L’art de faire du neuf avec de l’ancien ». L’auteur, Luis Emaldi, tentait d’y décrypter le « Mouvement Socialiste » basque composé entre autres de GKS, Itaia, Ikasle Abertzaleak, Kontseilu Sozialista, etc. Gabi Darraspe, militant du « Mouvement Socialiste », lui répond (les sous-titres sont d’Enbata).

Gabi Daraspe, militant du Mouvement Socialiste

« L’art de faire du neuf avec de l’ancien » écrit par Luis Emaldi Azkue et paru en juin sur Enbata tente de présenter par dehors le Mouvement Socialiste d’Euskal Herri. Il a le mérite d’être issu d’un effort de lecture de quelques textes produits par le mouvement, et aboutit donc à un résultat qui est plus rigoureux et fourni en références précises que la plupart des diffamations qui nous font souvent office de présentation externe. Bien que l’article ne paraisse pas motivé par une intention politique clairement et activement hostile au mouvement, il n’évite pas certaines idées fausses plutôt répandues dans et par la social-démocratie locale. Peut-être auraient-elles pu être évitées en discutant avec nous directement ? Qu’à cela ne tienne, voici une brève réponse à quelques imprécisions et idées fausses de l’article.

L’hypothèse de base du Mouvement Socialiste

Depuis le déclin international du communisme, l’idée que la révolution en tant que transformation sociale radicale passe par la prise de contrôle des moyens de production par le prolétariat organisé a été présentée comme obsolète par presque toute la gauche occidentale. La chute de l’URSS suffisait à prouver que le communisme ne marche pas, ou qu’il n’est pas désirable. Ce dogme capitaliste a en effet cantonné la gauche à des «compromissions et solutions intermédiaires» sans aucun lien avec une stratégie révolutionnaire au sens marxiste : pas besoin d’organisation militante de masse, pas besoin de stratégie de rupture, seulement essayer d’obtenir « davantage de quotas de pouvoir souverain » (au sein de l’État bourgeois). L’idée de révolution ne guide donc en rien la pratique militante quotidienne, et sert au mieux de principe purement discursif, pour que la base sociale la plus radicale ne s’en aille pas.

La subordination de toute la pratique de la gauche abertzale à une stratégie électorale est l’expression de son intégration dans les États capitalistes français et espagnol. Ce changement de pratique évoqué dans l’article arrive en même temps qu’une crise capitaliste. Le point de départ du Mouvement Socialiste est l’hypothèse (qui est en train de se confirmer sous différentes formes) que cette crise du capitalisme entraîne un démantèlement de la classe moyenne du centre impérialiste, qui se traduit par un violent processus de prolétarisation, ce qui ouvre la possibilité de penser la politique hors de l’État bourgeois. Le capitalisme perdant la capacité de garantir un niveau de vie acceptable à la majorité de la population, même en Europe, des couches de plus en plus larges se rendent compte qu’il n’y a rien à attendre des États bourgeois et de leurs partis politiques. La nécessité de la construction de l’indépendance de classe vis-à-vis de la bourgeoisie (que ce soit en matière d’idéologie comme d’organisation politique), se pose comme la tâche prioritaire de cette nouvelle génération de communistes.

Qui est dogmatique ?

Selon l’article, la formation militante des membres du mouvement serait dogmatique. Cette idée vient sûrement du fait que d’une part, la formation militante est systématisée au sein des organisations, c’est-à-dire que les organisations ne confient pas le développement de leur ligne politique à des jeunes seulement « éduqués » par la culture capitaliste hégémonique à travers les systèmes éducatifs, mais aussi la culture de masse (réseaux sociaux…), et d’autre part que nous utilisons le marxisme comme corps théorique pour expliquer la logique sociale générale de reproduction de la société de classes. Évidemment, les marxistes sont dogmatiques, c’est bien connu : ils ne veulent pas admettre que le communisme ne marche pas, et ne sont pas capables de penser par eux mêmes.

Plus sérieusement, notre formation ne peut être à la fois « solide » et « dogmatique ». Elle est solide parce qu’elle s’appuie sur une analyse rigoureuse de l’état de la société capitaliste, mais surtout parce qu’elle est ouverte au débat, qu’elle ne se fonde pas sur des arguments d’autorité, et qu’elle ne base pas son organisation sur un sentiment d’appartenance à une famille politique ou à une identité, mais rationnellement, ce qui passe nécessairement par le débat à l’intérieur, et à l’extérieur du mouvement. C’est justement parce que notre formation n’est pas dogmatique qu’elle est solide.

S’il est dogmatique de penser que les rapports de productions déterminent l’organisation sociale (et donc la plupart des problématiques sociales), que la société actuelle est objectivement divisée en classe aux intérêts antagoniques, et que pour en finir avec le système capitaliste, la classe dominée doit se constituer en sujet politique capable de se confronter en tant que classe à la classe dominante, afin de lui arracher et d’abolir la propriété privée des moyens de productions… que l’on nous explique le contraire, et débattons en. C’est d’ailleurs ce que certains ont tenté de faire, sans grand succès au sein des organisations de la gauche abertzale (le document Kantauri évoqué dans l’article avait été censuré par la direction d’Ernai). Le mouvement apparaît en effet en partie quand ces jeunes qui avaient besoin de débat, et mettaient en doute certains dogmes de la gauche abertzale n’ont pas trouvé d’espace pour en débattre dans ses espaces politiques. C’est pour cela que le mouvement a, depuis sa création, donné l’importance qu’elle mérite au développement précis de son analyse et de sa stratégie politique, et à ce que tous les militants soient capables de comprendre, de critiquer et de débattre à l’intérieur comme à l’extérieur.

La question nationale

Nous ferions « l’impasse sur la question nationale qui semble être un acquis ». C’est faux. Plusieurs textes sont déjà disponibles à ce sujet, pour les personnes qui veulent sincèrement s’intéresser à nos thèses. En bref, notre objectif stratégique est l’État Socialiste Basque (Euskal Estatu Sozialista), comme réponse à la problématique nationale en Euskal Herri, que nous ne séparons d’ailleurs pas de la domination sociale. Nous envisageons l’État Socialiste comme le développement de l’organisation de masse du prolétariat en Euskal Herri, et non comme un État qui serait un détachement des structures bourgeoises françaises et espagnoles existantes (communauté autonome, communauté d’agglomération…). Nous ne sommes néanmoins pas nationalistes, mais bien internationalistes dans la mesure où nous ne privilégions pas les intérêts d’une partie de la classe travailleuse d’un certain endroit dans le monde au détriment des autres, et nous sommes conscients que le développement du socialisme en Euskal Herri ne pourra avoir lieu sans une organisation puissante qui dépasse le niveau national et des États : si nous voulons avoir un espoir de lui faire face, nous devons nous organiser au moins à la même échelle que la bourgeoisie qui nous fait la guerre(1).

Comme l’article le signale, le mouvement communique et fonctionne principalement en euskara et nous défendons le droit à vivre en euskara. Mais en tant que communistes, nous traitons cette problématique sans reculer sur l’indépendance de classe, et envisageons un développement libre de la langue au sein de l’État Socialiste Basque(2).

Contre toutes formes d’oppression

« Les compromissions et solutions intermédiaires, les questions écologiques, d’identité de genre ou autres problématiques qui sont au centre des débats de la gauche contemporaine, sont le plus souvent évacuées comme des dérives post-modernes d’une gauche réformiste petit-bourgeoise. » Peut être que l’auteur de l’article commençait à fatiguer lorsqu’il a arrêté de chercher des références pouvant illustrer son propos, et s’est contenté de plaquer le clivage entre gauche traditionnelle qui réduit la lutte de classe à la lutte syndicale, sans tenter de répondre aux diverses oppressions(3), et les nouveaux mouvements sociaux dans lequel chaque collectif opprimé cherche à résoudre son problème, sans le situer dans la logique générale de la société bourgeoise. Or, ce que propose le mouvement socialiste, c’est de construire une organisation capable de lutter contre toute forme d’oppression (prioritairement, celles qui peuvent se reproduire au sein des organisations), et capable d’intégrer dans la lutte pour le socialisme toutes les subjectivités composant le prolétariat.

Notre lutte contre toutes les oppressions s’inscrit dans la lutte contre la domination bourgeoise. Itaia travaille à intégrer les femmes travailleuses dans la lutte contre la société de classe, tout en répondant aux problématiques concrètes que subissent ces femmes (agressions machistes, mercantilisation du corps, dévaluation de leur force de travail…(4)). Un exemple récent de dynamique sur le thème de l’écologie dans lequel le mouvement a participé activement est la mobilisation contre la Banque mondiale lors de sa réunion de greenwashing à Barakaldo. Ce qui montre par ailleurs que nous sommes prêts à travailler avec d’autres groupes militants, tant que notre indépendance n’est pas mise en cause(5).

Enfin, selon l’auteur, le mouvement « entretient une certaine méfiance par rapport aux pratiques de démocratie interne ». L’article qui lui sert de référence dit justement le contraire : « nous avons cassé divers dogmes – l’identitarisme, la fidélité irrationnelle, le préjugé anarchiste sur la division du travail, le manque de confiance envers la pratique démocratique, l’assembléisme, etc.- » (re)lisez l’article(6).

Nous restons bien sûr ouverts à la discussion et à la critique.

(1) Navarro Garazi et Askunze Dani, « Nazioartean masa alderdi komunista handiak egituratzea ezinbestekoa da, prozesu askatzaileek proletalgoaren beharrak ase ditzaten », Arteka, 2023

(2) « Proposition Politique pour la Jeunesse Travailleuse », GKS, 2022

(3) « Obrerismoa ispiluaren aurrean », Arteka, 2023

(4) « Emakume langileo askapenerako proposamen politikoa », Itaia, 2023

(5) « Non à la Banque Mondiale, Luttons contre le capitalisme et la destruction de l’environnement », Munduko Bankuari Ez !, 2023

(6) « Gertakizuna iraunkortzen », Arteka, 2023

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