Mon intuition profonde est qu’aujourd’hui, celles et ceux qui portons les mobilisations de rue, les actions de pression, devons le faire autour de revendications et de programmes cohérents avec les objectifs de l’Accord de Paris, même s’ils ne paraissent à priori pas réalistes. Au vu du fossé gigantesque entre l’importance et l’imminence de la menace climatique et l’insuffisance de l’action générale pour la contrer, être trop raisonnable s’avère contre-productif.
Les 15 et 16 mars prochain aura lieu une nouvelle séquence internationale de fortes mobilisation pour le climat : grèves, marches, actions. Pour le climat ? Tout le monde est pour le climat, tout le monde est contre son dérèglement ou son emballement. Ces mobilisations font-elles réellement avancer la cause des actions à mener pour faire baisser nos émissions de gaz à effet de serre, font-elles réellement bouger les lignes tant qu’elles ne nomment pas ce qu’il faudrait concrètement changer dans nos sociétés pour, ne serait-ce que, respecter les objectifs de l’Accord de Paris ? Le GIEC l’a dit : rester en dessous des +1,5°C est encore techniquement possible mais représente un défi sans précédent. Qu’est-ce que cette phrase signifie ? Bref, que devraient exprimer les marches et mobilisations climat comme changements, demandes, mesures, revendications concrètes, afin de relever un tel défi ?
Interdire les voitures en centre urbain dès 2024 ?
Une étude récente(*) décrit justement ce que ce devrait être une trajectoire française compatible avec l’objectif 1,5°C. Ça décoiffe ! Passer de 200.000 rénovations thermiques de logements par an en 2019 à un million d’ici 2027, suppression dès 2022 des vols intérieurs disposant d’une alternative par la route ou le fer en moins de 4h, interdiction des voitures thermiques en centre urbain dès 2024, aucune nouvelle artificialisation du territoire dès 2019 figurent parmi les mesures probablement les plus faciles à faire accepter dans un catalogue saisissant, qui montre l’ampleur et la rapidité des mesures à mettre en place.
Nous avons désormais une idée plus précise de ce que signifieraient, dans le système actuel, les changements permettant de respecter les objectifs de la COP 21.
Du coup, une seconde question est posée au mouvement climat : devons-nous porter de telles demandes tout en sachant que nous n’avons aujourd’hui ni le niveau de conscientisation général pouvant les rendre acceptables ni le rapport de forces nécessaire à les faire passer ?
Ou devons nous porter des revendications plus réalistes, plus gagnables dans la situation actuelle, tout en sachant qu’elles ne permettent absolument pas de rester en dessous des +2°C ?
Dilemne
J’imagine aisément que c’est le style de dilemme qui a du travailler Nicolas Hulot jusqu’à sa démission choc et ses déclarations sur l’impuissance des petits pas à empêcher notre monde de se transformer en étuve. Si le mouvement climat lui-même ne défend pas un programme cohérent avec les objectifs de l’Accord de Paris, avec une trajectoire compatible avec les 1,5°C, ne produit-il pas ce que Nicolas Hulot semblait craindre sur sa présence au gouvernement : donner l’illusion qu’on est à la hauteur sur ces enjeux là ? Empêcher la véritable prise de conscience indispensable sur la gravité et l’urgence réelles de la situation ? Et ne s’interdit-il pas de faire pencher le balancier du bon côté ? Si personne ne se bat pour demander aujourd’hui la suppression des vols intérieurs disposant d’une alternative par la route ou le fer en moins de 4H00, gagnera-ton demain ne serait-ce que la bataille pour supprimer les niches fiscales bénéficiant à l’aviation ? Défendre une approche raisonnable des évolutions nécessaires en terme de mobilité sur le B.A.B. a-telle permis de développer les possibilités sécurisées de s’y déplacer à vélo au quotidien ? Bref, en procédant de la sorte, ne perd-on pas à la fois la bataille stratégique et les batailles tactiques ? Et ne condamne-t-on pas à la fois la bataille des 2°C et celle des 5°C ?
Raisonnables ou responsables ?
Ces questions se posent très concrètement à tous les niveaux de notre engagement quotidien : que devrait se fixer comme objectifs et messages la grève en train de s’organiser dans les lycées du Pays Basque pour le vendredi 15 mars ? Quelle forme devrait revêtir la prochaine marche climat qui partira d’Anglet le samedi 16 mars et quelle revendications devrait-elle porter ? Quelles propositions et quel niveau d’exigence doit défendre Bizi! dans sa participation au sein du Comité des partenaires du Plan Climat Air-Énergie Territorial (PCAET) de la Communauté Pays Basque ? Quelle contribution faire dans le cadre de l’élaboration du SCoT du Pays Basque et du Seignanx ? Je n’ai pas de réponse certaine à ces questions. Sans doute n’y a-t-il pas de réponse unique, la solution la plus efficace devant en combiner plusieurs, portées par différents acteurs du mouvement climat.
Mais mon intuition profonde est qu’aujourd’hui, celles et ceux qui portons les mobilisations de rue, les actions de pression, devons le faire autour de revendications et de programmes cohérents avec les objectifs de l’Accord de Paris, même s’ils ne paraissent à priori pas réalistes. Au vu du fossé gigantesque entre l’importance et l’imminence de la menace climatique et l’insuffisance de l’action générale pour la contrer, être trop raisonnable s’avère contre-productif.
Tous les États du monde ont adopté l’objectif de limiter le réchauffement climatique à +2°C voire +1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle, nous avons la responsabilité de faire respecter cet objectif là et de montrer concrètement ce que cela implique.
Nous n’avons plus le temps de nous montrer raisonnables, nous devons être responsables.