Racines, origines

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Mikel Dalbret, Ciboure/ Ziburu

Peio Etcheverry Aintchart dans le numéro de mars d’Enbata traite des origines de nos racines, il nous éclaire de son point de vue d’historien, comme à son habitude non dénué d’humour. Si j’ai bien compris il prend pour illustrer son propos l’exemple de l’Hexagone réduit à celui plus restreint et peut être plus évocateur d’un espace compris entre Bayonne et Hendaye.  N’hésitant pas à remonter dans le temps 40.000 ans en arrière, à l’apparition des ancêtres Homo Sapiens de l’humanité, il évoque des aspects tout à fait intéressants comme par exemple le fait que les êtres humains peuplant l’Europe à cette époque, peuplant est un bien grand mot pour désigner tout au plus quelques milliers d’individus, devaient probablement être de couleur de peau noire.

Je souhaite réagir ou plus précisément prolonger le propos, somme toute assez succin, de Peio. Qu’on ne s’y trompe pas le sujet est d’importance, récurrent dans ce pays. Nous savons qu’il fait l’objet de recherches s’ouvrant sur diverses hypothèses au sujet de l’origine des Basques. Il n’y a pas si longtemps quantité de théories plus ou moins fumeuses, d’explications émanant de sources plus ou moins fiables, nous étaient en effet proposées. Peu à peu cependant le voile de ce grand « mystère » se lève en particulier grâce à de nouveaux apports scientifiques. Ces derniers peuvent être décryptés ; entre autres outils d’investigation, grâce aux lectures et interprétations de marqueurs culturels mais aussi et surtout artistiques légués en héritage. Un voyage récent m’ayant conduit sur les rives de l’Ardèche au sud est du Massif Central, je sais désormais que nos origines directes remontent à -36.000 ans, plus précisément que nous sommes inconsciemment porteurs d’un héritage des plus précieux venu de la nuit des temps. En voici les raisons exposées aussi schématiquement et clairement que possible, ce qui n’est pas une mince affaire vu l’épaisseur du sujet.

Le fond pour l’étude et la diffusion de la culture basque Atlantiar-Jauzarrea nous a montré à l’occasion des premiers colloques organisés par cette institution à partir de 2014 que des peuplements de territoires, aujourd’hui occupés par les Basques, s’y étaient développés peu de temps après l’arrivée en Europe des homo-sapiens de l’Aurignacien où ils cohabitèrent un temps avec les hominidés de Neandertal installés depuis près de 200.000 ans. Venus d’Afrique via le Moyen Orient vers -39.000 /-38.000, ces individus, plus précisément classés comme étant les premiers hommes anatomiquement modernes, peuvent être considérés génétiquement comme un des rameaux, peut-être le plus important en ce qui concerne les Basques, ayant constitué le corpus de nos ancêtres européens.

Poussés de l’Est vers l’Ouest par on ne sait quelles nécessités vitales irrépressibles, guerres, famines, changements climatiques mais aussi, qui sait, par le goût de l’aventure et de la découverte, le mouvement migratoire est ininterrompu durant des milliers d’années. L’analogie avec notre époque est troublante. On estime en outre que au gré et sous l’effet des cycles de refroidissement et de réchauffement qui se sont succédés dans ces temps reculés, des groupes d’individus ont régulièrement trouvé refuge dans les parages de ce que l’on nomme le golfe de Gascogne ou de Biscaye. Ultime espace en mesure d’assurer leur survie, quelques tribus en firent leur territoire. A la suite de séquences de nomadisme au long cours, on assiste à des formes de sédentarisation attestées par les innombrables fouilles archéologiques de grottes et excavations diverses.

Il existe différents modes de transmission de cultures. Par l’oralité, par l’écriture, mais aussi et surtout au moyen des vestiges et objets divers que les civilisations laissent derrière elles, beaucoup plus évocateurs du fait de leur impact visuel. On peut les décomposer en trois secteurs différenciés, les éléments d’architecture de l’habitat du plus humble à celui du prince ainsi que les édifices à vocation religieuse qui les accompagnent, les objets du quotidien comprenant les outils et armes diverses, les éléments et espaces dédiés aux décors et à l’embellissement au raffinement du commun. Nous savons ce que nous devons aux civilisations de l’Antiquité s’étant développées sur les différents continents, en particulier pour nous Européens l’apport gréco-romain.

J’ai eu le privilège de visualiser in situ les peintures rupestres d’Altamira en Cantabrie avant que celles-ci menacées par l’excès de fréquentation ne soient fermées, restant accessibles aux seuls scientifiques et chercheurs. Comme à Lascaux sur les rives de la Vézère elles seront remplacées par un fac-similé. Sur le même mode ont été ouvertes en 2015 au public, à Vallon Pont d’Arc, des répliques saisissantes de vérité des extraordinaires fresques de la grotte Chauvet des rives de l’Ardèche. Pour résumer, Altamira et Lascaux nous ramènent 15/20.000 ans en arrière, Chauvet 36.000 ans. Quand bien même ne s’agissant pas des originaux, la rencontre avec les peintures rupestres ornant la grotte désormais désignée sous le nom de leur  inventeur, Jean-Marie Chauvet, aura été pour moi, autant qu’une révélation, un éblouissement teinté d’une émotion que je pourrais comparer à une des plus intenses qu’il m’ait jamais été donné d’éprouver devant une oeuvre d’art. Je veux parler, voici une quarantaine d’années, de celle ressentie devant le tableau du Gréco« l’enterrement du Comte d’Orgaz » trouble en harmonie avec le titre de cette oeuvre, si on veut bien l’associer aux émois de l’amour, conservée dans l’écrin de l’église Santo Tomé de Tolède.

A la grotte Chauvet l’émotion esthétique est néanmoins d’une autre nature car augmentée du fait de se trouver en présence d’un véritable miracle, celui de la révélation à des êtres qui nous ressemblent, non pas de quelques messages ou commandements à usages religieux émanant d’une quelconque divinité ou d’une créature surnaturelle mais de la révélation de l’Art aux hommes de ce temps. Etant donné l’époque et le caractère si soudain de son apparition entre les mains de rustres individus émergeant à peine de l’obscur barbare, il ne s’agissait non point comme on pourrait être tenté de l’imaginer d’un art brut, archaïque, mais bel et bien du plus raffiné mode d’expression, totalement anachronique en des lieux si rugueux et parfois hostiles quand partagés avec l’ours ou le lion des cavernes.

Surgi de je ne sais quelle académie paléolithique, un maitre demiurge a donné à quelques heureux élus, des artistes assurément, les clefs d’accès de la pensée aux mystères de la représentation que nous appelons les canons de la beauté plastique, de la représentation de la vie, ici sauvage, et du mouvement qui l’anime. S’agissant de beauté plastique, à la différence certes de taille du fait qu’elle s’applique au monde animal, rien cependant à mes yeux ne s’oppose à établir une corrélation avec les canons en vigueur dans l’imagerie ayant pu présider à l’émergence de l’art hellénistique. Néanmoins, comme pour toutes images, seule la vision des oeuvres peut ici donner une idée de l’importance de cet acte artistique et culturel majeur dans l’histoire de l’humanité. La découverte de la grotte Chauvet est récente (1994), elle fait l’objet d’études innombrables et d’analyses en cours de développement. Cependant le visiteur lambda peut constater que tout est déjà là, en place, avec une inouïe diversité dans les modes d’expression et les techniques utilisées.

Eberlués, incrédules, nous voyons défiler des représentations analogiques figuratives exécutées de main de maître, traitées parfois au moyen de séquençage de l’image suggérant rythme et mouvement, le symbolisme est présent voire le concept d’abstraction, nonobstant des conditions d’exécution totalement précaires sur le support improbable d’une paroi rocheuse.
On peut d’ores et déjà affirmer que, venant de fresques murales incomparables dans leurs diversités liées à une maitrise technique inégalée jusqu’alors, supportant la comparaison avec des oeuvres qui leur sont postérieures de plusieurs dizaines de milliers d’années, on se trouve en présence d’un phénomène à caractère culturel et artistique qui remet profondément en cause le concept jusque là communément admis d’un art préhistorique évoluant avec lenteur de façon continue et ascendante.

Dès lors, au cours des migrations poussant des peuples de l’Aurignacien à se déplacer d’est en ouest, quelques individus s’arrêteront à Lascaux quelques milliers d’années plus tard. Nous sommes à l’époque du temps long et non englués dans celle du tweet. Des élèves appliqués héritiers des maîtres des gorges de l’Ardèche nous livreront des oeuvres de bonne facture un temps considérées comme des chefs d’oeuvre de l’art pariétal tout comme, plus à l’ouest, celles d’Altamira ainsi que d’autres spécimens rencontrés en d’autres lieux moins connus.
Au coeur du système, ici chez nous à Isturitz, le prolifique gisement d’Otxozelaia, est occupé sans interruption, d’abord par Neandertal il y a 80.000 ans jusqu’au Néolithique. Ainsi que je l’évoque et le souligne dans le texte consacré aux arts plastiques du « Dictionnaire de culture et de civilisation basques », les grottes de la vallée de l’Arberoue nous livrent encore aujourd’hui des objets sculptés et peints d’un raffinement et d’une modernité exceptionnels auxquels il convient d’ajouter les humbles et touchantes flutes taillées dans l’os, ancêtres de notre txistu. On devait surement danser et chanter, de l’art toujours de l’art, modes d’expression probablement beaucoup plus anciens que celui des arts plastiques, mais nous en sommes réduits à le penser car là point de traces, à l’inverse de ces peintures qui, rencontrées tout au long de l’itinéraire emprunté par de lointains migrants, depuis les confins des causses ardéchois jusqu’aux rivages atlantiques, nous confirment qu’il s’agit bien de marqueurs d’une culture commune.

Depuis l’Aurignacien puis le Gravettien en passant par le Solutréen jusqu’à la civilisation magdalénienne, 25.000 ans s’écoulent mais la filiation est évidente. En ce qui concerne les peintures, faisant l’objet de fresques ou traitant de sujets isolés, mêmes techniques, mêmes matières ou pigments, quasiment mêmes codes de représentation, mêmes contextes des profondes cavités ornées. Cependant de tous les nombreux sites répertoriés sur l’axe migratoire il convient de souligner que la grotte Chauvet atteint une perfection rare dans l’exécution et l’intensité expressive, 15 à 20.000 ans avant les autres !

La révélation s’est exprimée là ; puis des apôtres artistes s’en sont allés de grotte en grotte délivrant le message de la beauté interprétée sur terre. Celui ci a depuis fait son chemin, irriguant des réseaux nourrissant les discours d’exégètes chamaniques, on dirait aujourd’hui des critiques d’art, ici pariétal ou rupestre.

Eclairés de feux de bois aux flammes vacillantes projetant sur les parois leurs ombres fantasmagoriques, fiévreux, des hommes que j’imagine nus ont dessiné dans l’urgence, les repentirs sont rares. Ils ont raclé, brossé, gravé, estompé, répondant ainsi aux desseins mystérieux de la communauté. De l’obscurité des fins fonds de ces trous inhospitaliers, la lumière de l’esprit créatif a jailli, elle brille encore aujourd’hui. Nous en sommes les héritiers, veillons sur elle

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