Tribune de Gilles Simeoni président (Pe a Corsica) du conseil exécutif de la Corse, parue dans Le Monde, où il rappelle que «Quand une Constitution ne permet pas de reconnaître un peuple, il faut changer la Constitution, et non pas demander au peuple de disparaître». De nouvelles élections auront lieu les 3 et 10 décembre prochain, pour désigner celles et ceux qui dirigeront la nouvelle collectivité de Corse, à naître le 1er janvier 2018. Le vote en faveur de la coalition Pe a Corsica passera ce message. «Girondins, faites vivre la paix !».
Les élections territoriales de décembre 2015 ont été marquées, en Corse, par la victoire électorale des nationalistes. Les autonomistes de Femu a Corsica (17,62 % des voix au premier tour) et les indépendantistes de Corsica Libera (7,73 % des voix au 1er tour) se sont alliés au sein de la coalition Pe a Corsica, progressant très largement au deuxième tour de scrutin, pour l’emporter avec près de 36 % des suffrages exprimés. Cette victoire a été considérée comme un moment charnière de l’histoire contemporaine de l’île. D’abord parce qu’accédait ainsi pour la première fois aux responsabilités territoriales une famille politique dont l’identité s’est forgée dans la lutte et dans l’opposition à un Etat jugé négateur de l’identité collective et des intérêts de la Corse, et à un système politique insulaire sclérosé historiquement assis sur le clanisme et le clientélisme.
Ensuite parce que, au-delà de la confiance manifestée à la liste et à la démarche de Pe a Corsica, ce basculement politique majeur exprimait également, au-delà de l’adhésion d’un grand nombre d’insulaires aux idées nationalistes, une aspiration plus large, transcendant les étiquettes et les appartenances politiques : celle de la construction partagée d’une société plus démocratique et plus « respirante », aspirant à une émancipation non seulement politique, mais également économique, sociale et culturelle. Dès mes premières prises de parole en ma qualité de président du conseil exécutif de Corse, j’ai donc eu l’occasion de souligner que, pour être à la hauteur des enjeux, et de la confiance que nous avaient témoignée les Corses, nous avions une triple responsabilité à assumer : d’abord nous affirmer en véritable force de gouvernement, adossée aux valeurs de démocratie, de transparence et de défense de l’intérêt général, et capable de répondre aux attentes et aux besoins des Corses de l’île et de la diaspora, y compris dans tous les domaines du quotidien.
Ensuite, dépasser les logiques partisanes et démontrer, à travers notre pratique politique, que la victoire de 2015 ne pouvait pas être la victoire d’un camp sur un autre. Mais plutôt se concevoir tout à la fois comme un point d’arrivée : la consécration par le suffrage universel d’un idéal défendu pendant des décennies par des générations de femmes et d’hommes au prix de lourds sacrifices et d’un conflit douloureux de part et d’autre. Et comme un point de départ : celui de la construction commune d’une Corse apaisée, à la cohésion renforcée, respectueuse des diverses opinions, et capable d’offrir aux générations d’aujourd’hui et à celles de demain des perspectives heureuses.
Enfin, engager avec l’Etat un véritable dialogue, débouchant sur une solution politique. La question corse n’est en effet pas uniquement économique et sociale, même si le développement économique est une condition sine qua non de la réussite. Elle est une question fondamentalement politique, qui touche à l’existence d’un peuple et à la reconnaissance juridique, politique et symbolique de cette donnée centrale.
Le fantasme d’une contagion
Deux ans après, l’heure est déjà à la préparation d’une nouvelle échéance électorale. De nouvelles élections auront lieu les 3 et 10 décembre prochain, pour désigner celles et ceux qui dirigeront la nouvelle collectivité de Corse, à naître le 1er janvier 2018 de la fusion de l’actuelle collectivité territoriale de Corse et des deux conseils départementaux de Haute-Corse et de Corse-du-Sud.
L’enjeu institutionnel est majeur : réussir avec les cinq mille fonctionnaires et agents concernés par cette fusion, la nouvelle collectivité, ce sera permettre à la Corse de se doter d’une administration moderne, fondée sur les logiques d’efficacité et d’équité territoriale, capable de faire entrer résolument l’île dans le XXIè siècle et de relever les grands défis qui nous attendent : transition énergétique et numérique, réchauffement climatique, développement durable, construction d’une société développée et solidaire… C’est donc aussi le moment d’une première analyse du chemin parcouru.
Les Corses auront à juger si la majorité territoriale nationaliste, qui se présente unie dès le premier tour de scrutin, a su respecter les engagements pris devant le suffrage universel et s’il convient de lui renouveler la confiance manifestée en 2015. Rappelons quand même qu’en juin dernier ils ont choisi d’élire trois députés nationalistes de Pe a Corsica, ce qui semble indiquer que le travail accompli en deux ans a permis d’élargir l’audience et l’assise de la majorité territoriale. Mais il est à l’évidence un point sur lequel rien ou presque n’a avancé : le dialogue avec Paris. Blocage paradoxal, alors même que, depuis plus d’un demi-siècle qu’est né ce qu’il est convenu d’appeler le « problème corse », il ne s’est jamais trouvé une conjoncture aussi favorable à un règlement durable et négocié d’un conflit récurrent. Et cela d’autant pieux que le FLNC a annoncé la fin définitive de la clandestinité en juillet 2014.
Comment dès lors expliquer que, six mois après l’accession à la présidence de la République d’Emmanuel Macron, élu notamment sur la perspective d’un pacte girondin et la promesse d’un renouvellement profond des paradigmes de l’action publique, il n’y ait pas eu le moindre signe de novation ni d’ouverture dans le rapport de l’Etat à la Corse ? Sans doute fait-on le calcul, chez certains d’une défaite électorale des nationalistes. Une défaite que l’on cherche même à obtenir par la construction artificielle, d’une forme d’union sacrée antinationaliste entre des listes que tout, sur le fond, oppose. Ou encore par l’activation de peurs fantasmatiques, comme celle d’un processus d’indépendance qui, par contagion, pourrait s’étendre de la Catalogne à la Corse, voire à des régions hexagonales.
Répétons-le clairement. La Corse n’est pas la Catalogne. Ni sur le plan démographique, ni sur le plan économique, ni sur le plan politique. Et la revendication institutionnelle portée par la majorité territoriale de Pe a Corsica est celle d’une autonomie de plein droit et de plein exercice, incluant l’exercice d’un pouvoir législatif. Une autonomie qui est vécue au quotidien, sans conflits ni éclats, dans près d’une centaine de régions et territoires européens, a fortiori lorsqu’ils sont insulaires. La balle est donc finalement, et pour l’essentiel, dans le camp du président de la République, qui a annoncé, pour l’Etat comme pour l’Union européenne, la nécessité de se repenser et de se refonder. Cela passe aussi par une gestion politique et institutionnelle innovante de la complexité politique.
Il n’y a certainement pas de réponse unique et identique aux aspirations des peuples catalan, basque, corse ou kanak. Mail est tout aussi certain que l’on ne peut continuer à traiter ces aspirations par le silence, le mépris ou le déni. Quand une Constitution ne permet pas de reconnaître un peuple, il faut changer la Constitution, et non pas demander au peuple de disparaître. Le 31 août 200, Michel Rocard publiait dans «Le Monde» une tribune qui, traitant du rapport de l’Etat à la Corse, avait fortement marqué les esprits : «Jacobins, ne tuez pas la paix !» Dix-sept ans après, la paix est vivante, et ce sont des nationalistes corses qui l’ont voulue et en ont donné les gages. Le temps est donc venu d’une nouvelle exhortation : « Girondins, faites vivre la paix ! ».
Dans le même ordre d’idée d’évolution institutionnelle, il faudra suivre de près la Nouvelle-Calédonie qui cherche une autonomie de plein droit avec pouvoir législatif, et la Polynésie qui se heurte à la mauvaise volonté de Paris devant les instances de l’Onu. La souveraineté est un droit constitutionnel dont on ne peut priver les peuples nationaux d’origine.