En Pays Basque Nord on se réjouit avec raison de la progression électorale de la gauche abertzale, mais “en même temps”, deux de nos trois députés sont de la majorité présidentielle. Pourquoi ce maintien de la domination centriste sur nos territoires malgré toutes les difficultés socio-économiques ?
Même constat au niveau français. Le panache romantique de Mélenchon, son talent d’orateur, son culot et son coup de bluff ont sauvé l’honneur de la gauche, son avenir aussi peut-être, mais il reste loin de l’hôtel Matignon : la NUPES a presque deux fois moins de députés que la coalition présidentielle supposée battue, et la gauche ne représente que 30% des Français : comment imposer ses vues aux 70 autres, si ce n’est par une dictature de gauche, et l’on en est très loin.
C’est l’autre bout qui monte en puissance : le Rassemblement National est le seul parti à progresser, dépassant clairement la France Insoumise par 89 députés contre 79. Autre sujet d’inquiétude : la majorité des ouvriers non abstentionnistes vote pour le RN.
La France Insoumise reste le parti des petits cadres : ce n’est pas un jugement de valeur mais un constat. La gauche française ne sait plus parler aux ouvriers. L’on dirait que la classe ouvrière n’existe plus. Certes, avec la désindustrialisation de la France, elle a disparu des radars et des écrans (cinéma, télévision), et même du langage. Elle est atomisée, mais les ouvriers sont partout autour de nous, dispersés et peu syndicalisés, mais bien présents dans notre quotidien, à commencer par les serveurs des cafés et des restaurants, les mécanos des garages, les “auxiliaires de vie” et femmes de ménage qui s’occupent des personnes âgées, les caissières des magasins qui déplacent des masses de produits sous nos yeux, mais aussi en coulisse… Qui donc les considère comme des ouvriers, en dehors de quelques âmes sensibles ou syndicalistes esseulés ? Et les chômeurs, qui les voit ? Sans doute les mêmes, peu nombreux je le crains …
Apparemment la nouvelle gauche française est résignée au traitement social du chômage. Son discours ignore la création d’emplois et l’investissement : l’offre est un gros mot, ainsi que la production ; quand on dit “l’entreprise”, elle entend “les patrons”, comme si celle-ci ne concernait pas les salariés. Seule compterait la consommation. Mais quand l’appareil productif ne suit pas, n’étant pas à la hauteur, ça donne d’un côté l’inflation, de l’autre le tsunami des importations qui creuse le déficit d’une balance du commerce extérieur déjà fortement déséquilibrée. L’expérience a été vécue dans les années 1981-1982, au début du premier septennat du président Mitterrand. En 1983, il fallut reprendre le chemin de la libéralisation qui n’a pas cessé d’avancer depuis, faute d’alternative réaliste. La gauche traditionnelle a ronronné dans ses classiques du siècle dernier, la gauche nouvelle se limite au pouvoir d’achat, et la France continue de consommer plus qu’elle ne produit.
Mais les gens sont réalistes, pragmatiques et concrets : ils ne croient pas en la compétence économique de cette gauche romantique, à ses propositions généreuses, à ses coûteuses promesses. Ils se résignent à laisser gagner chichement le centre. Toutefois ils mettent fin à la monarchie absolue : le Parlement retrouve donc en partie la place qu’il n’aurait jamais dû perdre, et c’est toujours çà de pris pour la démocratie. L’intendance suivra-t-elle ? Ce n’est pas gagné.
Pour être crédible, la gauche ne peut pas se contenter de contester, de râler et de revendiquer, ni même d’aligner des listes de propositions ponctuelles à la Prévert. Elle doit aussi avoir une stratégie globale de construction et de gestion économique, une politique de réindustrialisation, des plans de relocalisation, le tout fondé sur un verdissement des matières premières, de l’énergie, des transports. Il n’y a aucune raison de laisser le monopole de la planification à la droite, avec la réputation de sérieux qui va avec, et les mains libres pour mener à sa guise les affaires économiques : elle ne demande que çà. La gauche peut la pressionner par ses propositions positives et son programme, en s’appuyant sur les nombreux experts, économistes et cadres d’entreprises, et sur les leaders syndicaux éclairés qui l’entourent. La possibilité de l’alternance est d’ailleurs à ce prix.
La gauche basque non plus ne doit pas abandonner à la droite locale le souci de l’emploi qui a été jusqu’ici un de nos piliers. Au Pays Basque Nord le mouvement abertzale commença dans les années 1960 par le refus de l’exil économique traditionnel considéré jusque là comme une nécessité absolue. Des jeunes décidèrent de rompre avec le fatalisme migratoire, de s’accrocher au pays ou d’y revenir en y créant leur emploi. Puis certains l’étendirent de façon solidaire en drainant l’épargne populaire. Inspirées par le coopérativisme d’Arrasate/ Mondragon, des entreprises furent fondées, d’autres renforcées. Ce n’est pas le moment de lâcher les modestes créateurs abertzale d’emplois, comme s’ils étaient au sommet du capitalisme : l’on ne peut pas se payer ce luxe.
Au contraire, je crois que nous devons imiter le talent rassembleur de Mélenchon : former un front large avec des navigateurs de bords un peu différents, pour avancer ensemble vers le même port.
Nos territoires riches en jeunes diplômés ont besoin de nouveaux emplois qualifiés, capables de les garder ici, face à la chute démographique qui affaiblit le Pays Basque intérieur et à la nouvelle colonisation de la Côte par l’argent.
Le programme de Jean-Luc Mélenchon était très bien étudiée , explicité grâce à ses relais citoyens partout en France .
Il me semble simplement que le souci vient de la position de la France Insoumise quant à l’ immigration et encore plus par la peur induite , fondée ou non , de la violence qui plus ou moins à la marge , est affichée quotidiennement sur nos écrans .
Personne ne parviendra à endiguer le flot de gens aux abois . Tout est dans la manière d’ en parler . Mais il faut vraiment en parler sans avoir peur des mots qui fâchent .