Les communautés locales ont accepté de financer la LGV sur la base d’une somme maximum déterminée en euros mais un contrat les engage en réalité à financer un montant proportionnel qui promet de s’envoler.
S i je vous dis : “J’ai besoin que tu m’aides pour m’acheter une nouvelle voiture, je trouve que la mienne ne va pas assez vite. Je n’ai pas encore déterminé avec le vendeur son coût final, pour l’instant je n’ai qu’une estimation. Pourras-tu me donner dix mille euros ?” Vous allez sans doute y réfléchir à deux fois, me demander quelques explications, argumenter que cette voiture n’est qu’un luxe inutile, que la mienne marche très bien et que gagner deux minutes sur un long trajet, à quoi bon. Vous allez aussi imaginer un autre usage pour ce petit pactole. Ces dix mille euros, justement, vous vouliez les utiliser pour améliorer le confort de votre grand-mère et embaucher une aide qui passe à son domicile. Mais je suis pressée, très pressée d’en terminer avec cette histoire de voiture et je vais me faire insistante, très insistante, voire même engager une petite forme de chantage du type : “si tu refuses, ne viens pas pleurer le jour où tu auras besoin de moi pour payer des études à tes enfants.” Bref, j’arrive à vous convaincre ou plutôt, à vous forcer la main. L’affaire est conclue, vous me promettez de me donner les dix mille euros.
Si maintenant je vous dis : “J’ai besoin que tu m’aides pour m’acheter une nouvelle voiture, je trouve que la mienne ne va pas assez vite. Je n’ai pas encore déterminé avec le vendeur son coût final, pour l’instant je n’ai qu’une estimation. Pourras-tu m’en payer 10 % ?” J’aurais beau argumenter, insister, menacer, vous trouveriez que gagner deux minutes par trajet, ce n’est même plus du luxe, c’est juste de la folie. Vous argueriez que sans assurances sur le coût final vous ne pouvez pas vous engager, que certaines voitures sont vraiment très chères. Ce serait comme faire un chèque en blanc sur une somme potentiellement vertigineuse, vous n’en avez pas les moyens. Vous refuseriez probablement de participer.
Et si maintenant je vous dis, comme initialement : “J’ai besoin que tu m’aides pour m’acheter une nouvelle voiture, je trouve que la mienne ne va pas assez vite. Je n’ai pas encore déterminé avec le vendeur son coût final, pour l’instant je n’ai qu’une estimation. Pourras-tu me donner dix mille euros ?” Mais si après avoir soutiré votre accord donné du bout des lèvres, je me précipite chez mon vendeur et je signe en votre nom un engagement pour que vous payiez non pas dix-mille euros, mais 10% du coût à venir, comment allez- vous réagir quand vous l’apprendrez ? Qu’allez-vous penser de ma petite combine ? Mais peu m’importe. Votre colère ou votre dégoût, ce n’est pas mon problème. J’ai eu ce que je voulais et c’est la seule chose qui compte pour moi.
Ce troisième petit scénario doit vous paraître bien rocambolesque. C’est pourtant ce qui se passe concernant le financement de la LGV, et ce stratagème donne une bien piètre image des pratiques démocratiques.
Les différentes communautés ont en effet délibéré pour autoriser leur président à signer le contrat de financement sur la base d’une somme maximum déterminée en euros. Cependant, ce contrat engage la collectivité à financer non pas un montant en euros, mais un pourcentage des travaux de la LGV. Les millions annoncés dans les délibérations sont des montants issus d’estimations.
Et en matière de grands travaux, on sait ce que valent les estimations. Elles sont toujours largement sous-estimées. Sans compter qu’avec les crises successives et la guerre à nos portes, le coût de l’énergie et des matériaux flambent et que ces estimations seront d’autant plus volatiles. Les délibérations des différentes collectivités n’ont pas été toutes rédigées de la même manière. Certaines ne font absolument pas référence au fait que le contrat de financement sera en pourcentage, d’autres le mentionnent.
Pour prendre l’exemple du Conseil Départemental 64, les attendus de la délibération exposent le plan de financement en précisant que les millions demandés sont des hypothèses. Mais au final, les élus ont autorisé leur président à signer le plan de financement en limitant leur participation à une valeur maximum de 54 millions, exprimée en euros, et non exprimée en pourcentage. Cependant, le président Jean-Jacques Lasserre a signé la convention de financement en s’engageant sur un pourcentage de 1,79% du coût des travaux supportés par l’ensemble des collectivités, ce pourcentage correspondant à une valeur estimée de 70 millions (et non pas 54, d’ailleurs !).
Une petite précision qui sera passée inaperçue pour certains s’impose : ce pourcentage se calcule sur la part à financer des collectivités qui correspond à 40% du coût global, l’État devant financer également 40% et l’Europe 20%. Mais l’Europe n’a pas encore accepté sa part. Et si elle le refuse, ou accepte un montant moindre que ces généreux 20% (2,05 milliards d’euros quand même), “les contributions de l’ensemble des financeurs seraient ajustées à due concurrence” selon les termes du contrat.
La valeur absolue à payer en euros s’envolera d’autant sans possibilité de se rétracter pour le Département. Autre petit détail, l’acceptation de ce plan de financement qui concerne Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax engage officiellement le Département à participer au futur Dax-Espagne.
C’est comme si j’avais oublié de vous dire que si vous acceptiez de financer ma nouvelle voiture, vous alliez devoir obligatoirement m’en payer une deuxième d’ici quelques années. Oups !