La Junte électorale du Gipuzkoa vient d’interdire la candidature du leader indépendantiste pour les prochaines élections autonomiques. En dernier ressort, le tribunal constitutionnel tranchera la question début septembre. Quant au futur gouvernement autonome, la présence du nouveau parti Podemos fragmentera la carte politique basque et nécessitera des alliances.
La coalition indépendantiste Bildu
est privée de son leader
qui espérait faire son retour en politique
après plus de six années de prison
et contrer, par son entregent et sa stature,
l’érosion de son mouvement
face au phénomène Podemos.
L’acharnement espagnol se poursuit plus que jamais. Comme pour mieux signifier le poids de sa mainmise sur le pays, comme une piqûre de rappel de la série d’interdictions qui a stérilisé le mouvement indépendantiste pendant une dizaine d’années. Comme pour relancer une confrontation poitico-militaire qui faisait les choux gras des institutions et des partis de droite ou de gauche en favorisant l’unité de la patrie. A croire que le conflit de basse intensité leur manque déjà et qu’ils font tout pour le faire perdurer.
Le 24 août, la junte électorale du Gipuzkoa qui avalise les candidatures pour les élections du parlement autonome du 25 septembre a donc déclaré Arnaldo Otegi inéligible parce qu’une décision de l’Audiencia nacional lui interdit d’occuper une charge publique dans l’affaire Bateragune (tentative de reconstitution du parti Batasuna interdit).
La mesure qui touche Arnaldo Otegi s’applique jusqu’en 2021. Toutefois la décision de la junte électorale n’est pas définitive. Elle fera l’objet d’un premier recours auprès du tribunal du contentieux de Saint Sébastien, puis en cassation devant le tribunal constitutionnel qui rendra sa décision le 7 septembre, 48h avant le démarrage officiel de la campagne électorale.
Rien ne permet d’augurer une décision favorable à Arnaldo Otegi.
La décision est d’autant plus scandaleuse qu’elle touche de plein fouet celui qui fut l’artisan majeur de l’arrêt de la lutte armée pour faire évoluer son propre camp.
Femmes en tête
La coalition indépendantiste Bildu qui regroupe Sortu, Eusko Alkartasuna, Aralar et Alternatiba, est donc privée de son leader qui espérait faire son retour en politique après plus de six années de prison et contrer, par son entregent et sa stature, l’érosion de son mouvement face au phénomène Podemos.
Bildu a toutefois constitué des listes dans les trois provinces de la Communauté autonome basque.
En l’absence d’Otegi, Maddalen Iriarte conduira la liste du Gipuzkoa. Il s’agit d’une journaliste connue qui a longtemps présenté le journal télévisé en langue basque sur ETB.
En Bizkaia, la liste EH Bidu présente à sa tête une autre journaliste de télévision, Jasone Agirre, aussi connue que bardée de diplômes.
Une femme est également à la tête de la liste Bildu en Araba. On sait que la Navarre est dirigée par Uxue Barkos, ancienne journaliste d’ETB.
Ce phénomène de féminisation du personnel politique abertzale et assez nouveau et réjouissant.
La tâche d’EH Bildu ne sera pas simple face à la montée en puissance de Podemos qui mord largement sur son électorat, en particulier dans la jeunesse. La date des élections a été avancée de deux ou trois mois par le Lehendakari sortant Iñigo Urkullu. Au moment où Sortu, principale composante de la coalition EH Bildu, était en plein débat pour se restructurer et élaborer un nouveau projet politique. Il s’agissait pour ce parti de faire sa mue sans ETA, de resserrer les rangs face aux tensions internes générées par un “processus de paix” où toute négociation avec l’adversaire et autre contre-parties politiques brillent par leur inexistence.
Ambiguïtés et errements de Podemos
Podemos a constitué à la mi-août une coalition avec deux autres petites formations: Ezker Anitza IU issu de l’ancien parti communiste, et Equo (mouvement social de sensibilité écologiste et qui défend les droits des homosexuels). Elkarrekin Podemos est son nom dans les trois provinces, il a pris comme porte-drapeau pour ce scrutin Pilar Zabala, soeur d’un militant d’ETA, tué par le GAL en 1983.
Visiblement, Podemos en est à ses débuts et peine à élaborer un programme solide, clairement différent de certains concurrents ou qui soit autre chose qu’un catalogue de bonnes intentions ou de voeux pieux dans le domaine social et économique.
Ses premiers pas ont été tumultueux avec l’éviction de son secrétaire général puis l’éloignement de plusieurs personnalités qui avaient adhéré.
Podemos reste d’abord un phénomène médiatique et son programme en Pays Basque, se contente en gros d’un copié-collé de son programme espagnol, y compris sur le plan socio-économique. Le flou de ses propositions permet aux électeurs de se projeter ou de fantasmer sur des espoirs, des “valeurs”, et finalement cela devient une force pour rassembler encore davantage. Une technique que l’on a connue hier en France avec Ségolène Royal ou aujourd’hui avec Emmanuel Macron.
Plus grave, dans ses déclarations, Pilar Zabala peine à endosser le discours de Podemos et se fait reprendre par Nagua Alba, secrétaire générale du parti dans la Communauté autonome.
Elle considère que la question de l’indépendance “n’est pas actuellement une priorité”. Il n’est “pas important pour les électeurs de savoir si je suis indépendantiste” ajoute-t-elle et elle rejette toute participation à une démarche de type sécessioniste comme en Catalogne : “le droit de décider est légitime, mais les choses doivent se faire de façon démocratique autour du plus grand consensus possible”.
En somme, une position, très proche de celle du PNV dont l’absence de volontarisme garantit l’inefficacité. Elle démontre aussi la nécessité pour les abertzale de construire au préalable un puissant mouvement social pour jeter les bases du souverainisme.
Une démarche que les Catalans ont su mettre en oeuvre.
Rajoy, un “moindre mal”
Quant aux difficultés de l’Espagne pour accoucher d’un nouveau gouvernement, Pilar Zabala affirme le 5 août, jour de sa présentation aux médias en tant que candidate au poste de Lehendakari: un gouvernement dirigé par Mariano Rajoy serait “un moindre mal“.
De nouvelles élections “pour la troisième fois sont le pire. A cette étape, un autre gouvernement serait préférable, même avec Mariano Rajoy”. Un ange passe…
Pilar Zabala rejette l’usage du terme “prisonnier politique” pour les preso d’ETA ou de l’expression “conflit politique” pour caractériser l’affaire basque, car ces termes divisent l’opinion, ils sont rejetés par de nombreuses personnes ou blessent les victimes (d’ETA). Enfin, elle souhaite que le général Enrique Rodriguez Galindo, chef de la garde civile en Gipuzkoa, ayant participé à la torture et au meurtre de son frère en 1983, demande pardon. Tout cela au nom de la nécessité d’une démarche de réconciliation et de coexistence entre Basques et Espagnols, entre fascistes et démocrates, entre tortionnaires et militants abertzale (1).
La pré-campagne électorale de ce mois d’août est marquée par deux interrogations qui hantent tous les partis: qui arrivera en tête le soir du 25 septembre? Quels seront les types de coalitions possibles pour diriger le gouvernement autonome?
Avec partage des postes gouvernementaux ou soutien formalisé par un contrat de législature ou bien purement ponctuel, en fonction des projets de loi. Ou bien encore basé sur l’abstention d’un ou plusieurs partenaire, ce qui rend l’exercice du pouvoir encore plus complexe et fragile.
Aucun parti politique ne s’approchera de la majorité absolue. Une coutume veut que celui arrivé en tête ouvre le bal des négociations pour constituer une majorité. En réalité, on l’a vu pour l’élection du socialiste Francisco Lopez au poste de Lehendakari, le gagnant est celui qui parvient à faire élire son leader, en l’absence d’opposant bénéficiant d’un plus grand nombre de voix des parlementaires.
Qui ouvrira le bal des négociations
Hier le socialiste Francisco Lopez gouverna avec l’appui du PP qui le lâcha au bout de trois ans.
Le leader PNV Iñigo Urkullu achève demain son mandat de Lehendakari grâce au soutien du PSOE qui, en échange, a obtenu de son partenaire un développement conséquent des politiques sociales.
La gauche abertzale dirigea difficilement la province du Gipuzkoa et sa capitale Donostia avec le soutien très ponctuel des socialistes.
La culture de la négociation est donc fortement développée en Hegoalde, pourtant marqué par l’âpreté du conflit politique et de la question nationale. Les conséquences de cinquante ans de lutte armée demeurent au centre du débat public.
Mais cette campagne électorale est d’abord perturbée, voire court-circuitée, par les questions qui agitent la classe politique espagnole toujours en panne de gouvernement.
Dans l’attente du résultat du 25 septembre, chacun y va aujourd’hui de sa petite phrase.
Le PNV espère bien que ce type d’élection et son expérience de gestionnaire lui éviteront l’érosion qu’il a connue aux dernières législatives.
Mais l’avenir de l’industrie sidérurgique basque ou de ce qu’il en reste, comme la baisse des ressources fiscales, pèsent sur son bilan.
Podemos se verrait bien lui aussi arriver en tête et envisage des accords avec le PSOE et EH Bildu pour évincer le PNV.
Les socialistes pensent plutôt à un bloc de gauche avec seulement Podemos, pour fuir “une dérive à la catalane”. Toutefois Podemos demeure pour eux “une inconnue politique” et ils redoutent son accord pour la mise en oeuvre d’un référendum d’autodétermination.
Du coup, entre le flou des programmes et le renouvellement important du personnel politique, le résultat final de cette élection et de la prochaine législature sont aussi une grande inconnue politique.
(1) Le gouvernement espagnol a présenté 17 recours contre les lois votées par la Navarre depuis l’arrivée au pouvoir des abertzale dans la province. Le 23 août, Carlos Urquijo, délégué du gouvernement espagnol en Pays Basque, vient de présenter un recours auprès des tribunaux pour interdire la manifestation en faveur de l’amnistie prévue le 27 lors des fêtes de Bilbo: il s’agit “d’un acte d’humiliation pour les victimes du terrorisme que nous ne pouvons tolérer”. Avec en toile de fond quelques centaines de preso qui vont pourrir encore longtemps derrière les barreaux, la réconciliation et le coexistence sont difficiles en Pays Basque…