L’Edito du mensuel Enbata
Nos gouvernants ne sont pas avares de grandes déclarations d’amour à l’égard des langues régionales, mais la réalité des moyens dévolus à leur enseignement et à leur usage les contredit chaque jour. En Pays Basque Nord, la place de l’euskara à l’école et dans la cité demeure largement minoritaire. En inversant les situations, quelles seraient les réactions hexagonales si seulement 16% des élèves suivaient une filière d’enseignement en immersion du français et 35% en filière bilingue ? Avec une chute vertigineuse des effectifs entrant au collège puis au lycée. Comment réagirait Paris si dans un tel contexte éducatif, la France accueillait chaque année sur son territoire 1% de non-francophones ? C’est pourtant notre lot en Iparralde où, selon la dernière enquête sociolinguistique et malgré 50 ans d’efforts militants, le nombre des bascophones stagne en valeur absolue et diminue en valeur relative. Dans un récent colloque organisé à l’Université de Rennes, nos amis bretons appellent cela une politique ethnocidaire mise en oeuvre par une nation dominante qui, au nom d’un universalisme franco-français, se paie le luxe de dénoncer notre « communautarisme ».
Avec moins de deux millions d’euros par an, le budget alloué aux différents opérateurs de l’euskara par l’Office public de la langue basque reste dérisoire. Il équivaut au prix de deux gros carrefours giratoires et à huit fois moins que le coût d’un seul km de LGV. Pendant ce temps, Paris décide de restaurer le château de Villers-Cotterêt où fut signé en 1539 l’ordonnance qui rendit l’usage de la langue française obligatoire dans les documents officiels. Emmanuel Macron veut y installer la Cité internationale du français. Coût : 209 millions d’euros, de quoi financer le budget réparti par l’OPLB pendant plus d’un siècle. La cruauté des chiffres montre à quelle aune misérable les Basques sont traités.
Dès que nous réclamons davantage de droits dans l’espace public, l’État français montre les dents. Deux exemples. Hier l’assemblée de Corse, aujourd’hui cinq conseils municipaux catalans, délibèrent dans leur langue, avec traduction simultanée. En réponse, nulle inertie de la part de l’appareil d’État pourtant si friand de ce procédé. Les préfets sortent immédiatement l’arsenal judiciaire et cinq maires catalans ont comparu le 18 avril devant le tribunal administratif. Ils représentent 0,03% de la population de l’Hexagone, pas de quoi mettre en danger la république. Serait-elle à ce point fragile ou peu sûre d’elle, pour que ses gardiens du temple réagissent aussi violemment ?
Le ministère de l’Éducation nationale vient du bout des lèvres d’accorder à 240 collégiens scolarisés en immersion par Seaska le droit de passer les épreuves du brevet en euskara. Ils représentent eux aussi 0,03% des 850.000 élèves passant cet examen en 2022. Pour cela, les parents ont multiplié réunions, voyages et manifestations au rectorat de Bordeaux où ils ont souvent été reçus à coup de triques, par des comités d’accueil, chiens de garde casqués de la république autoritaire. Il y a trente ans, l’Éducation nationale corrigeait les copies au prorata du nombre de mots en français, âges farouches du mépris et de la préhistoire éducative. Nous devons notre victoire en partie grâce à la nomination du ministre Pap Ndiaye, il sait ce que droit des minorités veut dire, mais l’État français refuse de reconnaître leur existence. Idem pour toute démarche de réparation historique et de discrimination positive.
La première ikastola dans les locaux vétustes d’Enbata (1969), la première ikastaldi à Baudonne (Landes), le premier émetteur acheté par Gure Irratia (1981), nous pourrions multiplier les exemples de nos pionniers. En mars 1993, un sondage révélait que 63% des parents d’Iparralde étaient favorables à l’enseignement du basque à l’école. Il passa aux oubliettes, l’Éducation nationale n’en tint aucun compte. Hier, Paris nous disait que l’arrêt du « terrorisme » permettrait de lever les obstacles pour négocier sur le fond nos revendications. Une fois de plus, hatsa gezurra, avec en prime la morgue du dominant et ses palinodies mesquines.
Porté par les militants de l’euskara, le schéma d’aménagement linguistique que présenta Erramun Bachoc en février 1996, commence à porter ses fruits. Les 3000 manifestants du 22 avril à Bayonne en faveur d’une politique linguistique à la hauteur des enjeux, témoignent de notre volonté face aux drames d’un peuple minoritaire sur son propre territoire. Nous n’avons d’autre choix que de poursuivre avec acharnement et comme dit l’autre, il ne faut rien lâcher. Le mouvement se construit aussi grâce aux obstacles que nous opposent nos adversaires. Trop lentement bien sûr. Sans excès d’optimisme, affirmons qu’avec le décollage de la fusée, le plus dur est fait, mais le chemin sera long sur une pente raide.