Mesures contre la surfréquentation

Surfréquentation

La présence humaine trop forte sur des sites fragiles perturbe fortement écosystèmes et monuments historiques. Les institutions prennent des mesures pour éviter de scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Le Pays Basque n’y échappe pas.

Depuis une vingtaine d’années, nombreux sont les territoires où les autorités locales prennent des mesures contre la surfréquentation(1), les flux grandissants de visiteurs. Selon les professionnels qui se sont penchés sur la question, une bonne planification territoriale, un projet global en amont sont essentiels en premier lieu. Gérer la fréquentation au service de la préservation du paysage, de la nature, des activités locales, maintenir une qualité d’accueil du public, tout cela se fait sur le long terme. Deux ou trois mesures ponctuelles au coup par coup ne suffisent pas. “Ce n’est qu’au bout de vingt, trente ans que l’on observe les effets”, constate Sandrine Guihéneuf, directrice technique du Marais poitevin. Autre élément important, celui d’un consensus local sur les mesures à prendre face à l’hyper-fréquentation. Les intérêts sont contrastés entre les habitants pénalisés qui n’ont que les nuisances et ceux qui en tirent des bénéfices. Cela passe par un projet de territoire rassemblant les acteurs concernés, les collectivités, l’État, les acteurs privés, les habitants. Une fois les contradictions internes progressivement résolues, s’ouvrent de grandes possibilités.

En Iparralde, ces questions sont sur la table. A Itxassou, la municipalité dirigée par le maire abertzale Mikel Hiribarren a créé une commission qui planche là-dessus avec le concours des habitants. Ailleurs, se mettent en place des mesures pour obliger les randonneurs à laisser leurs véhicules suffisamment éloignés des sites. Dans le collimateur, figurent les chiens de visiteurs laissés en liberté et qui perturbent gravement la vie des troupeaux, ils sont devenus indésirables ou doivent être tenus en laisse.

Délayer la fréquentation

Au catalogue des mesures prises à travers le monde, voici quelques exemples. La fréquentation passe par un droit d’entrée payant, une limitation du nombre des visiteurs via des quotas (temples d’Angkor, Machu Pichu) ou de la durée du séjour sur place avec des plages horaires. Les sites peuvent aussi être carrément fermés au public, le temps que la biodiversité reprenne ses droits, c’est le cas de plusieurs îles en Thaïlande. A Rome ou à Venise, un règlement répertorie les règles de bonne conduite et les autorités verbalisent sec contre les usagers au comportement irrespectueux vis-à-vis de l’environnement et des habitants. Les fast-foods sont désormais interdits au centre de la cité vénitienne où une taxe d’accès a été instaurée. A Dubrovnik (Croatie), les nouveaux commerces de souvenirs et les tables de restaurants ne peuvent plus s’étendre. Au quartier Gion de Kyoto, célèbre pour ses Geishas, il est impossible de photographier. Quant à l’approche de certains sites, elle est l’objet de mesures drastiques : les usagers doivent éloigner leurs véhicules, privilégier la marche ou l’accès de proximité, via des modes de déplacements doux comme le vélo (46 km de pistes cyclabes en baie de Somme). Pour accéder aux volcans du Cantal, un parc à vélos électriques acquis par treize petites communes, est disponible depuis les vallées. Il convient de “délayer la fréquentation sur le territoire où elle peut avoir des retombées économiques pour l’artisanat, les productions fromagères ou l’agriculture écologique”, affirme Jean Privat, directeur du site des volcans du Cantal. Chez nous, c’est dans cette perspective que se situe le souci de valorisation du patrimoine et des productions locales qui imprègne en partie Ostavals, centre de valorisation du patrimoine agricole, en projet à Ostabat, par où transitent 10.000 pèlerins tous les ans.

Ravages de Airbnb et démarketing

Le démarketing proposé dès le début des années 70, vise à limiter l’augmentation de la demande plutôt que de l’encourager, comme pour les cigarettes, l’alcool ou les jeux. Il s’agit de cesser toute forme de promotion et de consacrer des moyens à gérer la fréquentation. Aux Pays-Bas, seules les régions méconnues font l’objet de campagnes publicitaires à l’international. Dans le Wyoming (USA), les photos de certains sites ne seront plus géolocalisés. Plutôt que leur endroit exact, seules des coordonnées génériques seront indiquées ; les plus fragiles seront retirés des cartes touristiques.

Le transport low-cost, l’arrivée d’une ligne TGV, les locations de type Airbnb, bouleversent des territoires entiers. La surfréquentation a aussi des conséquences sur le niveau et le mode de vie des habitants locaux. Comment survivre dans certains quartiers lorsque les prix flambent? A Barcelone depuis 2014, nombreuses sont les mesures prises pour réguler la montée des prix de l’immobilier, mais aussi pour stopper l’invasion de nouveaux magasins destinés aux touristes. Un décret-loi approuvé par le parlement catalan porte sur la limitation du prix des locations. Mais le PP a présenté un recours auprès du Tribunal constitutionnel (TC) à l’encontre de “cette mesure de coercition imposée aux propriétaires”. Le TC dira d’ici quelques mois si ce texte limite le droit “sacré” de propriété et viole la loi fondamentale. Ce droit est inscrit en son titre premier. C’est pour ces raisons que le 5 février, cette haute cour a mis le holà sur un décret-loi catalan s’opposant aux expulsions de locataires victimes de la crise et de la pandémie et incapables de payer leur loyer.

Toujours à Barcelone, les logements du centre-ville ne peuvent plus obtenir de licence pour être loués sur des plateformes de type Airbnb. La mairie inflige en 2017 une amende de 600.000 euros à Airbnb et Homeway pour avoir loué des logements sans autorisation. Un arrêté municipal en vigueur depuis 2015 interdit les groupes de plus de 15 personnes dans le marché catalan de Sant Josep (La Boqueria), les vendredi et samedi, de l’ouverture jusqu’à 15 heures.

“Fosse septique qui sent la merde”

La construction d’un nouvel aéroport à Cuzco risque de ruiner les efforts entrepris pour limiter la fréquentation du site de Machu Pichu. Les archéologues sont terriblement inquiets. L’île de Boracay aux Philippines a été fermée pendant six mois pour procéder à un grand nettoyage, la construction de nouveaux établissements hôteliers y est désormais interdite(2). La baie de Maya Bay en Thaïlande est fermée au public depuis juin 2018. Comme pour Gaztelugatxe, un film diffusé internationalement et tourné en ce lieu paradisiaque (récifs coraliens) a entraîné l’arrivée soudaine de dizaines de milliers de visiteurs. Il faudra trois ans avant que l’écosystème retrouve son état normal. Au Cambodge, les fameux temples d’Angkor sont menacés par un gigantesque parc d’attraction comparable à Disneyland. Sur 75 hectares, à cinq cents mètres de la zone tampon protégée par l’Unesco et pour un investissement initial de 350 millions de dollars. Avec à la clef 20.000 chambres supplémentaires et la diminution drastique de la nappe phréatique : un touriste étranger consomme en moyenne 300 litres d’eau par jour, contre sept pour un Cambodgien. Le comité scientifique international qui assure le suivi du site historique s’émeut et parle de retirer le label Unesco. Certains objecteront que nous n’en sommes pas là en Euskal Herri. Mais, forts de l’expérience des autres, il vaut mieux prévenir que guérir.

(1) Selon la chercheuse MariaGravari-Barbas, “il n’y a pas de données scientifiques pour déterminer ce qu’est l’hyperfréquentation”. Il s’agit plutôt d’une perception des habitants.

(2) Le président philippin qui a pris ces décisions qualifie l’île de “fosse septique [qui] sent la merde” !

 

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