Au regard de l’évolution des entreprises en France vers une concentration accélérée depuis un demi-siècle, il y a de quoi s’interroger. Cette tendance lourde est-elle inéluctable? A-t-elle atteint le point de non-retour ou bien est-il encore temps de changer de modèle économique?
Les 50 dernières années ont été le témoin d’une évolution contrastée en ce qui concerne les entreprises en France. Un effondrement du nombre des entreprises moyennes (50 à 1.000 personnes) et un renforcement des grosses entreprises. Ces grosses entreprises sont caractérisées par des secteurs stratégiques liés à une volonté politique centraliste : énergie (nucléaire, électrique, pétrole), transport, aménagement et gestion des infrastructures et des réseaux (eau, déchets), bâtiment et travaux publics, chimie, pharmacie, agroalimentaire et distribution. On peut signaler d’autres caractéristiques telles qu’à partir d’un ancrage hexagonal, une conquête et une excellence internationale, qui permet aussi une fiscalité bienveillante, mais aussi une extension dans des métiers connexes ou non (médias, création culturelle par exemple) et quelquefois une présence de l’Etat dans le capital avec, suite à la présence des communistes à la Libération, un pouvoir syndical type CGT, des CE financièrement forts et des statuts protégés. Mais ces grosses entreprises ont participé aussi au démantèlement des entreprises moyennes. Les phénomènes facilitant ces évolutions : achats stratégiques de ces dernières pour les absorber, difficultés lors des transmissions patrimoniales (car montants du capital assez conséquents), contraintes sociales maximales (seuils, normes, déclarations, etc.), sans oublier les fragilités des fonds propres de ces dernières, face aux réorganisations nécessaires sous les coups de boutoir des concurrences (dont l’étranger).
Les conséquences de cette massification
Cette disparition des entreprises moyennes (ce qui n’a pas été le cas en Allemagne ou en Espagne) a contribué à la perte de pans entiers de l’industrie. Ce n’est pas, bien entendu, la seule raison. Il faut aussi y ajouter un certain mépris parental pour les carrières techniques, une concurrence en partie déloyale des pays à faible coût, entre autres. Il y a eu aussi, en parallèle, disparition de compétences dans les savoir-faire liés aux techniques industrielles (par exemple, le secteur mécanique) ou dans les savoirs des métiers annexes à la production, tel que le secteur des méthodes ou de l’organisation qui témoigne de la difficulté de recrutement de responsables production ou d’agents des méthodes.
De façon moins directe, l’approche des résolutions des problèmes sociaux liés à la production (complexe soixante-huitard) pourrait aussi expliquer les attitudes “révolutionnaires” plus que réformistes dans les relations syndicats/patrons.
Cette concentration sur un nombre restreint d’entrepreneurs fait que les propriétaires d’infrastructures (communes, région ou Etat) sous traitent avec une facilité —que je qualifierais presque de paresseuse— les gestions de leurs biens.
Ce phénomène éloigne les acteurs propriétaires des vécus réels de l’entreprise : normes, contraintes, exercice de l’opérationnel, relations de travail, paye, augmentations, négociations etc., accentuant encore plus le divorce entre l’entreprise et la chose publique, puisqu’un tiers fait écran dans l’exercice de leur pleine responsabilité.
Concrètement et ce n’est pas un hasard, les entreprises de taille moyenne ou petite ont été les oubliées des tentatives de législation du travail. Les syndicats “révolutionnaires” défendent les acquis obtenus dans les entreprises multinationales ou d’Etat évoquées dans le premier paragraphe et les responsables d’entreprise sont peu représentés dans les assemblées législatives. La loi n’est donc pas faite pour elles, ni les normes, ni les règlements dont les arcanes sont souvent complexes quand le staff est trop faible pour les interpréter ou les contourner.
Employer, gérer, payer
ou faire vivre localement
doit maintenant être une ligne de conduite
pour conserver valeur ajoutée,
compétence et motivation.
Massifier de plus en plus est-il la solution?
En agroalimentaire, des voix se font de plus en plus entendre pour dire que les fermes de 1.000 vaches ou la production de porcs en batterie ne sont pas des solutions adaptées au bien-manger et à la répartition des actifs dans le paysage. Même si, en ce qui concerne le court terme, l’efficacité prix peut être un argument. Qui peut garantir que cinq ans plus tard, une ferme de 5.000 vaches ne sera pas le modèle suivant?
Après que la distribution massifiée a détruit les commerces locaux, la concurrence entre gros atteint des points de non-retour. Certaines zones de France sont en réelle faillite à cause d’une offre trop importante créant une sur-densité commerciale. Mais il importe que, lors des différents appels d’offre rédigés par le secteur public, la dimension territoriale soit prise en compte dans les marchés de travaux ou de sous-traitance de gestion.
Employer, gérer, payer ou faire vivre localement doit maintenant être une ligne de conduite pour conserver valeur ajoutée, compétence et motivation. Qui aura le seul argument du prix quand les conséquences sur le tissu économique sont aussi importantes? Défendre le territoire passe aussi par la réappropriation des métiers, des faire et des savoir-faire, des chiffres d’affaire et des relations public/privé locales.
Le membre de Lantegiak que je suis ne peut avoir d’autre position. Faire travailler les petits plus que les gros devrait aussi faire partie de l’orientation de la survie d’un territoire, chez tous les acteurs amenés à passer des commandes publiques ou privées.