Divisée depuis l’occupation du nord de l’île par la Turquie en 1974, Chypre est aujourd’hui à la croisée des chemins. Toutes les conditions semblent réunies pour rendre la réunification possible, si la République de Chypre, contrôlée par les Chypriotes grecs, et la République Turque de Chypre Nord (RTCN) se montrent capables de saisir cette opportunité. Il n’y en aura peut-être pas d’autre.
La découverte d’immenses ressources gazières
au large de Chypre en 2011
incite aussi à la réconciliation
car la commercialisation la plus rentable
passe par un pipeline vers la Turquie.
Des occasions, Chypre en a déjà manqué plusieurs. En avril 2004 notamment, quand les Chypriotes grecs avaient refusé par référendum le “plan Annan” proposé par l’ONU.
La partie sud de l’île avait alors intégré seule l’Union Européenne alors que la RTCN, qui avait pourtant approuvé le plan Annan, s’était vu condamnée à rester un paria international reconnue par la seule Turquie.
Contrairement à la situation qui prévalait en 2004, les présidents des deux entités politiques chypriotes sont aujourd’hui de fervents partisans de la réunification. Depuis la réouverture des négociations sous l’égide de l’ONU en mai 2015, ils se sont déjà rencontrés plus d’une centaine de fois et ont considérablement avancé sur de nombreux dossiers, délimitant ainsi les contours d’un futur Etat fédéral à deux zones.
Le président chypriote grec a en particulier obtenu des garanties supplémentaires par rapport au plan Annan, comme la liberté de résider, de travailler, de se déplacer et d’acquérir des propriétés sur l’ensemble de l’île.
Il a également obtenu l’assurance que l’équilibre démographique actuel de l’île (78,5% de Chypriotes grecs pour 21,5% de Chypriotes turcs) serait préservé : pour qu’un Turc soit naturalisé, il faudra que quatre Grecs le soient aussi. Ces avancées peuvent par ailleurs s’appuyer sur une économie en plein essor après le krach de 2013, avec une croissance double de la moyenne de l’UE.
La découverte d’immenses ressources gazières au large de Chypre en 2011 incite aussi à la réconciliation car la commercialisation la plus rentable passe par un pipeline vers la Turquie.
Il en est de même du tourisme, de la construction et du commerce : The Economist rapporte que leur essor en cas de réunification impliquerait une augmentation de 60% du PIB par habitant.
Malgré ces auspices favorables, le dernier round de négociations entre les deux présidents s’est soldé par un échec le 22 novembre dernier. Si plusieurs détails techniques comme la mise en place d’une présidence tournante restent à régler, la raison principale de cet échec est à imputer à l’épineux problème de la territorialité. Il va falloir en effet redessiner une ligne de partage entre les parties grecque et turque de l’île, ce qui implique de délicats déplacements de population. Les Chypriotes turcs contrôlent en effet un tiers de l’île et devront donc en rétrocéder une partie ; ils sont prêts à réduire leur territoire jusqu’à 29,2% de la superficie totale mais les Chypriotes grecs ne veulent pas leur accorder plus de 28%. Il faudra ensuite choisir les villes et villages qui seront ainsi échangés pour permettre aux déplacés de 1974 de rentrer chez eux. Mais il ne pourra s’agir que d’une partie des 160.000 Chypriotes grecs et des 40.000 Chypriotes turcs qui avaient dû quitter leur domicile à la suite de l’invasion turque ; les autres devront recevoir une compensation financière qu’il faudra financer à hauteur de plusieurs milliards d’euros…
Sous la pression de l’ONU et de l’UE (qui cherche désespérément une success story), les négociations devraient reprendre le 9 janvier et les deux parties sont sommées de proposer une carte pour la nouvelle frontière interne le 11 janvier.
Il serait souhaitable qu’elles soient parvenues à un consensus fort car les trois puissances garantes de l’équilibre constitutionnel de Chypre (Royaume- Uni, Grèce et Turquie) intégreront les négociations le 12 janvier.
L’imprévisibilité de la Turquie et ses mauvaises relations avec la Grèce ne devraient en effet pas aider à la concorde…
Lueur d’espoir
Le temps est par ailleurs d’autant plus compté que les deux parties souhaitent organiser deux référendums simultanés dès les premiers mois de 2017 sur le texte d’un éventuel accord. En effet, comme l’estime le président chypriote turc M. Akinci, “de nouvelles dynamiques susceptibles de mettre en péril les efforts de réconciliation peuvent émerger en 2017”.
La montée de mouvements nationalistes extrémistes des deux côtés de l’île (surtout dans la partie grecque) et l’approche d’échéances électorales importantes forment en effet un cocktail dangereux.
Et surtout, la découverte de gisements de gaz a servi et sert encore d’aiguillon pour trouver un accord, mais elle peut vite se transformer en source de tensions si leur exploitation commence sans qu’aucun accord ne soit trouvé.
Certains n’hésitent pas à parler d’une annexion pure et simple de la RTCN à la Turquie si cette éventualité devait se concrétiser…
Nous n’en sommes heureusement pas là, et terminons donc cette chronique avec les paroles optimistes de M. Anastasiades, président de la République de Chypre, lors de son récent discours à l’ONU : “la solution d’un problème international présent sur l’agenda de l’ONU depuis des décennies offrira cette lueur d’espoir que même les problèmes les plus insolubles peuvent être résolus pacifiquement”.