
riche, dynamique et solidaire.
Terreau des propositions réactionnaires, la peur doit se combattre en mobilisant toutes les forces de la société civile. Tour d’horizon de plusieurs pistes d’actions pour cette bataille culturelle.
Dans ma dernière chronique, je concluais qu’au-delà des débats sur les stratégies visant à lutter contre les partis d’extrême droite, d’autres formes d’action sont nécessaires et qu’elles ne relèvent pas seulement de la responsabilité des organisations politiques.
Pourquoi ? Parce qu’au fond, les extrêmes droites progressent en apportant une réponse à un sentiment qui se généralise au cœur des sociétés : la peur. Peur d’être seuls, abandonnés et vulnérables face aux risques économiques, climatiques ou aux guerres. Peur de manquer, de ne pas réussir à se protéger, soi-même et ses proches. Peur de l’inconnu, de l’autre et de l’étranger. Peur d’être exclu, de perdre sa place, d’être déphasé puis déclassé par les changements modernes. Peur de voir son monde, ses repères, son histoire et son identité disparaître dans le mouvement permanent.
La meilleure solution à ces peurs consiste à apporter des mesures sociales et démocratiques agissant sur leurs causes. Mais la mécanique est bouclée et la spirale s’accélère : les politiques libérales génèrent la peur qui alimente à son tour l’extrême droite. La gauche, par ses errements, ne parvient ni à prendre le pouvoir ni à diriger ces peurs vers le camp progressiste. À défaut de pouvoir appliquer une solution radicale sur leurs causes, il va falloir les affronter et les comprendre pour agir. Alors, comment lutter contre ces peurs ?
Bien au-delà des organisations politiques, des initiatives peuvent être mises en place par les acteurs culturels, scientifiques, éducatifs, médiatiques, économiques, institutionnels, associatifs… La liste des actions concrètes peut être longue. Je proposerai ici quelques pistes de réflexions sur les enjeux qui se posent aux acteurs sociaux.
Susciter l’envie d’avenir
Les sociétés sont bloquées dans le présent et se retournent davantage vers le passé parce qu’elles ont — non sans raison — peur de l’avenir et du monde qui émerge. Le premier enjeu consiste donc à répondre à l’inquiétude par son exact inverse : le désir, l’audace et l’espérance. Cela impose aux acteurs des défis concernant la définition des projets d’avenir, la possibilité de les réaliser, leur diffusion au sein de la société et leur capacité à susciter de l’envie.
Repositionner un socle de valeurs
Les valeurs et principes ont cédé face au sentiment de peur. La dédiabolisation de l’extrême droite est avant tout un processus d’érosion des valeurs humaines communes. Il y a un enjeu à repositionner les valeurs universelles, les libertés fondamentales, l’égalité de droits humains et le droit international comme base commune du vivre-ensemble. Cela pose aussi un défi de réflexion et d’action pour les acteurs et les institutions dont le rôle socialisateur s’est considérablement affaibli (école, église, famille, organisations politiques, associations de jeunesse et d’éducation populaire…).
La mobilisation de ces acteurs est d’autant plus importante qu’ils sont, avec les acteurs médiatiques et scientifiques, face à un enjeu complémentaire de lutte contre l’ignorance, l’obscurantisme et le dogmatisme aggravé par l’accélération du numérique. En définitive, il faut reprendre un travail de construction de citoyen·ne·s éclairé·e·s qui partagent un socle minimal de valeurs communes solides pour « faire société » ensemble.
Multiplier les expériences de vivre-ensemble
Un autre enjeu consiste à provoquer le maximum de vivre-ensemble entre citoyen·ne·s en favorisant les mixités (sociales, culturelles, générationnelles, territoriales…). Pousser les gens à fonctionner ensemble et faire l’expérience concrète de l’altérité est particulièrement efficace pour lutter contre la peur de l’autre ; surtout chez les personnes isolées ou qui restent dans leurs sphères. Ces initiatives permettent d’avoir un tissu social plus dense, riche, dynamique et solidaire. Mais c’est aussi l’affirmation du vivre-ensemble face aux projets des extrêmes droites qui souhaitent des sociétés cloisonnées, sélectionnées, hiérarchisées et inégales.
Mettre les citoyen·ne·s en action collective
L’action est souvent le remède de la peur. Donner aux citoyen·ne·s la capacité d’agir sur leurs vies et d’avoir un rôle dans la construction de l’avenir a d’immenses vertus. Les organisations collectives et les institutions sont face aux défis de recréer de la confiance, de produire des résultats et de générer du bonheur dans l’engagement collectif. En la matière, l’idéal reste de construire des souverainetés réelles et de la protection collective — même minimes — pour répondre au sentiment d’insécurité matérielle et existentielle.
Des actions de ce type sont déjà en cours, et une immensité d’autres sont possibles. Alors que l’offensive réactionnaire déploie son influence bien au-delà des sphères politiques, la lutte ne peut se limiter à l’action des organisations militantes contre les partis d’extrême droite. L’heure est venue pour l’ensemble des acteurs sociaux de prendre leurs responsabilités et d’agir dans la société.

En complément de ton analyse j’ai trouvé intéressant cet entretien avec le sociologue Félicien Faury, qui vise aussi la combinaison entre approche sociale et approche antiraciste: https://positions-revue.fr/il-faut-sinterroger-sur-les-mutations-recentes-du-capitalisme-qui-participent-a-la-solidification-de-lextreme-droite/
Il estime que le racisme va au delà du “repli identitaire”, que c’est aussi vouloir préserver une position de pouvoir au sein de rapports sociaux hiérarchiques avec en haut les riches (objet d’opinions fatalistes) et en bas les immigrés et les “cassos” (objet de rejet).
Ce que j’ai trouvé intéressant en particulier c’est qu’il pointe la question du logement comme largement sous-investie par la gauche (alors que c’est le premier poste de dépense chez les précaires et les classes moyennes), ce qui me fait penser qu’un mouvement comme Alda fait partie des moyens les plus efficaces pour recadrer les questions sociales et leurs conséquences concrètes, et prévenir la confiscation raciste de ces questions.
Le livre de Felicien Faury que j’ai lu en partie est intéressant mais ne traite pas toute la question de l’électorat Rn qui se base sur une enquête entre 2017 et 2022 en Paca et non pas dans le reste de la France. En effet s’il point que l’electorat Rn qu’il a côtoyé est xénophobe et islamophobe par rapport aux enjeux socio-économiques bien plus qu’identitaires, il tourne néanmoins le dos aux “faches pas fachos”, ce qui démontre les limites de son enquête. Felicien Faury travaille aussi pour l’institut de la Boetie. En ces temps où la bollosphere et Pierre-Edouard Sterin s’incrustent dans l’éducation, la culture et l’information dans le but de transformer des essais politiques via les municipales puis en 2027 aux présidentielles et législatives, la vigilance et le combat contre l’extrême droite est plus que jamais nécessaire. Ce ne sont pas seulement les partis de gauche qui doivent s’unir mais le monde syndical et associative contre la peste brune qui s’est installé depuis quelques années en Hongrie et Italie. En France, nous avons eu des formes de coalitions avec l’extrême droite sous les gouvernements Barnier et Bayrou, sans doute que ça sera moins le cas avec Sebastien Lecornu (qui a dejeune avec Marine Le Pen en cachette) mais j’ai peine à croire.