Tout comme l’Ecosse, l’Irlande du Nord a clairement voté contre le Brexit. L’obligation de quitter l’Union européenne va-t-elle modifier la donne politique entre le Sud et le Nord? Ira-t-on vers la réunification de l’île ou une nouvelle partition ?
Les plus optimistes des Républicains
espèrent un renforcement
du sentiment national irlandais.
Par exemple, les citoyens d’Irlande du Nord
peuvent, depuis les Accords du Vendredi Saint,
avoir un passeport irlandais, britannique, ou les deux.
Dès son investiture, Theresa May, la nouvelle premier ministre du Royaume-Uni, a placé l’intégrité territoriale du pays au centre de ses préoccupations : “le nom complet de mon parti est ‘parti conservateur et unioniste’ et ce mot ‘unioniste’ est très important pour moi”.
Un message sans ambiguïté destiné à l’Ecosse bien sûr (voir ma précédente chronique), mais également à l’Irlande du Nord qui a elle aussi voté pour rester au sein de l’UE et accepte mal de se voir imposer le Brexit.
C’est avec une majorité claire de 56% que l’Irlande du Nord s’est positionnée pour le maintien. Le camp nationaliste y était résolument favorable alors que les Unionistes étaient divisés : l’UUP a soutenu la campagne de David Cameron pour le maintien, mais le DUP, principale force politique unioniste, a fait campagne pour le Brexit.
Au vu des résultats, il n’est donc pas étonnant que les partisans de la réunification de l’île soient montés au créneau pour réclamer un “border poll” (référendum sur la frontière).
Perte de légitimité
Les Accords du Vendredi Saint (AVS) signés en 1998 prévoient en effet que le secrétaire d’Etat à l’Irlande du Nord puisse convoquer une telle consultation s’il est clairement établi que l’opinion publique est devenue favorable à une Irlande réunifiée.
Pour le dirigeant républicain Martin McGuinness, vice-Premier ministre d’Irlande du Nord, “le gouvernement britannique a perdu toute légitimité a représenter les intérêts politiques et économiques” des six comtés.
Des propos complétés par Gerry Adams, président du Sinn Fein : “le gouvernement britannique devrait respecter le vote populaire du Nord en faveur de l’UE en proposant un référendum sur l’unité irlandaise”.
Sans surprise, les Unionistes du DUP et la secrétaire d’Etat à l’Irlande du Nord Theresa Villiers ont immédiatement rejeté cette proposition : “il n’y a rien pour indiquer qu’il y ait une majorité pour une telle consultation”.
Les Républicains ne se sont pas offusqués outre mesure de ce refus, et semble tabler sur une évolution des mentalités à moyen terme. “Je ne suggère pas une seconde que ceux qui ont voté pour le maintien depuis une perspective unioniste sont devenus des partisans de la réunification, ce n’est clairement pas le cas”, a ainsi déclaré Gerry Adams, “mais ils sont embarqués dans un petit voyage de deux ans, le temps que dureront les négociations” sur l’implémentation du Brexit.
Les plus optimistes des Républicains espèrent en effet un renforcement du sentiment national irlandais. Par exemple, les citoyens d’Irlande du Nord peuvent depuis les AVS avoir un passeport irlandais, britannique, ou les deux et l’on observe depuis le Brexit une montée en flèche des demandes de passeport irlandais.
Inversement, c’est le Royaume- Uni qui sera la cible principale des récriminations liées à l’impact négatif du Brexit sur l’économie des six comtés. Cet impact risque malheureusement d’être considérable. Mitchell Reiss, l’ancien envoyé spécial des Etats-Unis pour l’Irlande du Nord, s’attend à un “triple coup dur fait de dégâts économiques, de perte d’attractivité pour les investisseurs américains, et de fuite des cerveaux”.
On peut ajouter à cela la perte des financements européens pour soutenir le processus de paix ; l’Irlande a en effet reçu des milliards d’euros et devait en recevoir 2,5 de plus d’ici 2020.
De plus, la République d’Irlande sera également considérablement impactée car le Brexit mettra un terme aux accords de libre échange avec le Royaume-Uni.
Délicat compromis
Mais encore plus que l’impact économique, on doit craindre les conséquences politiques du Brexit sur cette poudrière qu’est l’Irlande du Nord. Plusieurs avancées des AVS sont en effet menacées. Par exemple, la citoyenneté multiple évoquée plus haut sera-t-elle possible dès lors que l’un des deux Etats concernés ne sera plus membre de l’UE ?
Plus généralement, les AVS sont le résultat d’un délicat compromis entre nationalistes et unionistes puisqu’il reconnaît un droit à l’autodétermination de l’Irlande dans son intégralité mais sous réserve de l’accord de chacune des deux juridictions que sont la République d’Irlande et l’Irlande du Nord.
Si ce fragile équilibre a pu perdurer, c’est grâce à la création de nombreuses structures bilatérales (largement financées par l’UE). Ces dernières sont parvenues à instaurer une liberté de mouvement entre le Nord et le Sud et à faire quasiment disparaître dans les faits et dans les esprits une frontière naguère hérissée de check points et de tours de contrôle.
Cette belle construction risque de se voir ébranlée par le Brexit qui, en s’imposant aux Irlandais du Nord, enterre le bilatéralisme qui a fait le succès des AVS. Pire que cela, il signifie le retour d’une frontière honnie, et constitue “un énorme pas en arrière qui sape la base des AVS”, pour reprendre les termes de McGuinness. Et en effet, c’est bien le risque d’une deuxième partition qui plane aujourd’hui sur l’Irlande…
Une chose est sûre, le problème de la frontière va de nouveau dominer la vie politique de l’Irlande du Nord et la plonger dans la plus importante crise politique de ces dernières années.
Pour reprendre les termes de The Economist qui s’en inquiète, “cela nécessitera que la nouvelle premier ministre y consacre toute son attention –mais son attention sera bien sûr complètement mobilisée ailleurs”.