L’euskara à l’horizon 2050 en Iparralde

Seaska, un des leviers du développement de l’euskara, et son fameux calendrier à Durango (Photo Daniel Velez).

Euskararen erakunde publikoa, l’Office public de la langue basque (EEP- OPLB) vient de divulguer une étude sur les perspectives sociolinguistiques de l’euskara en Iparralde pour les 25 années qui viennent. L’arrivée annuelle de 3.000 personnes non bascophones est au cœur des inquiétudes des euskaltzale, mais ce travail prend également en compte la répartition géographique des locuteurs, leur structure par tranches d’âge et leur évolution. Il développe une scénarisation des taux de bascophones et leur développement avec deux options. C’est dire l’intérêt de ce diagnostic fait de précision et de lucidité. Ses perspectives chiffrées nous mettent face à nos responsabilités, société civile et décideurs institutionnels, désireux ou non de prendre à bras le corps une question ancienne et vitale, celle de la pérennité de l’euskara dans notre pays. La montée en puissance d’un Schéma d’aménagement linguistique cher à Erramun Bachoc est désormais sur la table(1) . Cette étude démographique, dont Enbata publie ici l’essentiel, a été réalisée grâce à l’Agence d’urbanisme Atlantique et Pyrénées (AUDAP), avec l’aide de l’Institut des études démographiques de l’Université de Bordeaux (IEDUB).

Pour planter le décor, tout d’abord,les chiffres. En 2021, 321.963 personnes résident en Pays Basque Nord, réparties en trois zones. Le Labourd littoral ouest (23 communes d’Hendaye à Bayonne) avec 237.300 habitants soit 73,7 %, le Labourd est (45.340 habitants sur une zone allant d’Ainhoa à Hazparne et Bidaxune, soit 14,1 %) et l’Intérieur avec 39.325 habitants, soit 12,2 %. La très forte concentration de population sur le Labourd a une incidence déterminante sur les politiques publiques. Entre 2010 et 2021, la population a augmenté de 32.883 habitants, soit 2.989 personnes supplémentaires par an. Le taux de croissance annuel moyen de la population est de 0,96%, avec une accélération les six dernières années. L’évolution démographique est portée par le solde migratoire avec des apports migratoires de plus en plus importants. Les soldes naturels (naissances – décès) sont de plus en plus déficitaires sur tous les territoires.

98,9% des gains de population sont localisés en Labourd. Dans cette province, le solde naturel est de -336 habitants chaque année, le solde migratoire est de +3.292 hab. par an, ce qui donne un solde global de +2.956 hab. par an. En Pays Basque intérieur, le solde naturel est de -208 habitants par an, le solde migratoire annuel est de +242 hab., ce qui donne un solde global de +33 hab. par an.

Structure par âge

En 2020, un quart de la population a 65 ans et plus. On compte 17.600 seniors supplémentaires en dix ans, dont près de 4.000 ont 85 ans et plus. Les 50-65 ans représentent 20,4% de la population. Le nombre des jeunes âgés de 19 à 24 ans augmente très peu avec, en dix ans, un gain de 1.470 jeunes de 16 à 19 ans et une perte de 165 jeunes de 20 à 24 ans.

Tout cela a des impacts conséquents sur les taux de bascophones actuels et à venir. On constate en Labourd un vieillissement très important de la population où les seniors ont des taux de compétence bascophone moindres ; le nombre des jeunes diminue, y compris chez les bascophones. Le Pays Basque intérieur se caractérise par une popu- lation très âgée (85 ans et plus) avec des taux de bascophones importants. Le processus de vieillissement va s’accentuer avec, au fil des ans, l’augmentation de seniors ayant des taux de compétence bascophone moindres. Le nombre des 20-49 ans diminue.

Scénarisation des taux de bascophones à l’horizon 2050

Il s’agit d’estimer les volumes et les pro- portions de population bascophone à l’horizon 2050, en tenant compte des taux de compétence de 2021 — issus de l’enquête sociolinguistique — à partir de projections démographiques par tranches d’âge, établies sur des périodes de quatre ans ; à partir également des taux de compétence (bascophone, bascophone réceptif et non bascophone) par tranches d’âge.

Dans le Labourd qui compte 237.734 habitants de 16 ans et plus en 2022, 36.594 personnes sont bascophones, soit un taux de 16,2% de la population. 32.767 habitants de 16 ans et plus résident en Pays basque intérieur qui compte 15.667 bascophones, soit 47,8%. Au total, 20,1% de la population d’Iparralde âgée de 16 ans et plus, est bascophone. Les seniors du Labourd présentent un taux de bascophones important (19,8%). Ils représentent en 2022 plus de 30% de la population résidente et pèsent lourdement sur le taux de compétence actuel et son évolution, du fait de l’espérance de vie. Les jeunes, population cible depuis des années pour l’apprentissage de l’euskara, affichent des taux de bascophones également importants : 19,4% chez les 16-24 ans, soit un taux proche de celui des seniors (26,1% des 16-19 ans et 12,8% chez les 20-24 ans. Le reste de la population présente des taux situés entre 12 et 15%. Le profil par tranches d’âge des bascophones en Labourd montre une compensation possible de la disparition des seniors par les jeunes.

Taux de bascophones en 2022.

En Pays Basque intérieur, le taux de bascophones est nettement plus élevé qu’en Labourd. Les seniors de 65 ans et plus présentent des taux de compétence bascophone très importants (60,9% en 2022), ils correspondent à 35% de la population résidente et pèsent lourdement sur l’évolution future du taux de compétence, du fait de l’espérance de vie. Le reste de la population affiche un taux élevé de bascophones, mais nettement inférieur à celui des seniors. A l’avenir, un renouvellement des bascophones ne se produira donc pas en Basse-Navarre et Soule, comme cela est possible en Labourd.

Évolutions de 2018 à 2022

Le Labourd compte 1.167 nouveaux bascophones, essentiellement chez les jeunes et dans les tranches d’âge intermédiaires, du fait des politiques linguistiques. A l’inverse, le Pays Basque intérieur compte peu de bascophones “entrants” chez les jeunes. Dans les tranches d’âge de 35 à 69 ans, les taux de bascophones diminuent entre 2018 et 2022, avec 566 euskaldun en moins. Au total, Iparralde compte en quatre ans 602 nouveaux bascophones.

De 2022 à 2050

Le tableau ci-dessus présente l’évolution de la population de plus de 16 ans et du taux de bascophones d’ici à 2050. Si les dynamiques actuelles se maintiennent, en 28 ans, le nombre de bascophones augmentera faiblement en volume, mais il baissera en pourcentage, du fait de l’augmentation globale de la population avec l’arrivée massive de non bascophones.

Evolution du nombre de bascophones entre 2018 et 2022.

Selon les prévisions, en 2050 le Labourd comptera 51.421 bascophones, soit un gain de 12.826 locuteurs (+ 2,1 points). Les efforts auprès des plus jeunes en âge d’être scolarisés contribueraient à contrebalancer la perte des populations de seniors. On comptera 14.492 bascophones en Pays Basque intérieur, dans une zone où le nombre des séniors est très élevé, à hauteur de 35%, alors que ce sont précisément les anciens qui sont fortement bascophones. On assistera donc à une chute de 5,2 points du taux de locuteurs en euskara en Pays Basque intérieur. Les para- mètres socio-démographiques sur ces deux territoires étant très différents, les mécanismes à l’œuvre ne sont pas les mêmes.

Deux scénarios de développement pour 2050

L’étude prospective présente deux scénarios de développement de l’euskara qui s’articulent autour du pourcentage des locuteurs. Celui-ci est régulière- ment mesuré en Iparralde, depuis la première enquête sociolinguistique de 1996 (résultats dans Enbata n°1448). Ce pourcentage permet d’évaluer la possibilité de pratiquer l’euskara, en somme, la “normalisation sociale” de la langue. Selon l’UNESCO, le pourcentage de locuteurs est un des neuf critères essentiels permettant d’évaluer la situation d’une langue. A noter que la politique linguistique agit directement sur la production du nombre des locuteurs, et non pas sur le pourcentage.

EEP-OPLB envisage deux scénarios. Le premier vise à obtenir 26% de locuteurs d’ici à 2050, soit 81.500 bascophones, un gain de 27.000 euskaldun avec 57% dans la tranche des 16-34 ans. Le second vise 30% de locuteurs, c’est-à-dire 94.000 bascophones, soit une augmentation de 40.000 euskaldun, 61% se situant dans la tranche d’âge des 16-34 ans.

Perspectives d’évolution de la population de 16 ans et plus, ainsi que du taux de bascophones à l’horizon 2050.

Bâtir ces scénarios suppose la combinaison de différentes sources : projections démographiques, tendances et évolutions, au regard des résultats des deux dernières enquêtes sociolinguistiques de 2016 et de 2021, des bases de données historiques des effectifs scolaires de 2004 à 2023, et des chiffres concernant les apprenants adultes avec leurs profils d’âge. Les scénarios sont construits dans une perspective située au-delà de 2050, avec une concentration des efforts sur les jeunes et les tranches d’âge intermédiaires actives. Développer le nombre de bascophones suppose deux apports : celui issu de l’apprentissage de l’euskara aux adultes, avec un effort concentré sur les 20-49 ans ; celui issu de l’enseignement, en augmentant le taux d’entrée en école maternelle bilingue, le taux de continuité de la maternelle à la 3e, et enfin le taux des élèves de 3e qui atteignent et conservent le niveau B2(2) . Évaluer la production de locuteurs en termes de gain suppose d’intégrer les “sortants”, c’est-à-dire les décès des plus âgés et les départs des plus jeunes. La continuité des efforts à conduire fait partie des hypothèses retenues dans l’action menée et que tous les objectifs intermédiaires aient été atteints.

Importance des leviers

Le succès des scénarios de développement de l’euskara est profondément lié à la combinaison de plusieurs leviers. Une généralisation de l’offre qui suppose l’ouverture de sites bilingues en primaire, avec à la clef un travail d’information et de sensibilisation, une pratique et une présence sociale de la langue et donc des actions directes à proposer en ce sens. La qualité de l’enseignement est également capitale : elle suppose à la fois la compétence des enseignants, l’implication des élèves et des possibilités de pratique sociale. L’apprentissage de l’euskara n’est réalisable que par une offre d’enseignement suffisante en termes de temps consacré, par la mise en œuvre de l’immersion en début de cursus et enfin par la présence de disciplines ou de matières non linguistiques en basque au collège. Poursuivre l’apprentissage de l’euskara au lycée après la 3è, ainsi que la pratique sociale, jouent ici un rôle essentiel. La motivation des élèves et des parents est déterminante, d’où la nécessité d’une sensibilisation et d’un accompagne- ment des familles. Pour atteindre ces objectifs, le nombre de nouveaux bascophones adultes à “produire” tous les quatre ans s’établit ainsi, selon les deux hypothèses de 26% ou de 30%.

Nombre de nouveaux bascophones adultes à “produire” par périodes de quatre ans.

Pour conclure

Cette étude montre que deux dynamiques démographiques structurelles coexistent en Iparralde. Elles déterminent l’évolution de l’euskara et les politiques à mettre en œuvre pour assurer sa survie. En termes de pourcentages de résultats, les effets de ces politiques seront différents selon les tranches d’âge ou les territoires. Quel que soit le scénario choisi, des efforts progressifs et simultanés, sur plusieurs tranches d’âge, seront nécessaires.

Le pourcentage du nombre de locuteurs influe bien entendu sur la pratique de la langue basque et son usage. Mais pour l’instant, la corrélation entre les deux paramètres n’a pas été évaluée. Enfin la mise en œuvre d’une politique linguistique volontariste signifie la mobilisation d’une multitude de leviers.

Les enquêtes sociolinguistiques réalisées depuis près de 25 ans ont permis de mesurer la dégradation de notre situation, de sortir d’un ressenti subjectif très répandu. Cette étude commanditée par EEP-OPLB intègre une dimension démographique et prospective, elle apporte un gage d’efficacité et une terrible lucidité, elle clarifie les priorités face à une complexité dont il conviendra de tenir compte. Société civile et institutions sont désormais au pied du mur. Le défi est considérable, en lien avec des conditions et une histoire culturelle et politique de domination et de violences constantes que les Basques ont subies et subissent encore(3) .

La nécessité d’une réparation historique demeure plus que jamais à l’ordre du jour. La mort annoncée de notre langue n’est pas une fatalité, pas plus que la folklorisation d’une culture réduite à l’état de trace pour distraire quelques touristes en mal d’exotisme.

Hier, les pratiques mises en œuvre pour imposer une langue désormais dominante ont très tôt été gigantesques. Aujourd’hui, les moyens institutionnels alloués pour sauver la langue d’un peuple premier demeurent très en-deçà des besoins. Pour sortir de la logique de l’uniformisation culturelle où seules les grandes langues peuvent s’épanouir pleinement, beaucoup a été fait, mais beaucoup reste à faire. Afin que l’euskara soit un jour à part entière un moyen de communication, d’inclusion, de culture et de transmission… Seuls les combats non livrés sont définitivement perdus.

(1) A l’initiative du sociolinguiste, le principe de ce Schéma fut adopté par le Conseil de développement le 3 février 1996 (Enbata n°1414).
(2) B2 correspond à un niveau de compétence linguistique qui signifie les capacités suivantes : comprendre le contenu essentiel de sujets concrets ou abstraits dans un texte complexe, y compris une discussion technique dans sa spécialité.
(3) Voir à cet égard Bizkarsoro, le dernier film de Josu Martinez https://eu.enbata.info/artikuluak/bizkarsoro-un-grand-film/

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