
Le gouvernement navarrais reconnaît officiellement que l’élu d’EHBildu a été torturé en 1985 par la police espagnole. Étape importante dans un long processus de reconnaissance de la vérité et d’apaisement.
« La torture atteignait un tel niveau de cruauté que lorsque le juge m’a dit que j’allais être incarcéré, ce fut un soulagement ». Le témoignage de celui qui avait alors à peine 19 ans a convaincu la Direction générale du vivre ensemble et de la mémoire du gouvernement de Navarre. Après une procédure précédée d’une enquête, elle a établi et reconnu le 6 juin —quarante ans après les faits— que Pernando Barrena, avait été torturé par les forces de police espagnoles chargées de réprimer le mouvement de libération nationale basque.
Élu de 2019 à 2022 au parlement européen, puis depuis 2024, le dirigeant (59 ans) n’est pas le premier venu. Il a milité toute sa vie au sein de la mouvance indépendantiste basque. Cela lui a valu d’être à nouveau incarcéré de 2008 à 2010, du fait de ses liens avec Batasuna et ses succédanés, alors interdits, et dont il fut un des porte-paroles.
L’élu abertzale répugne à évoquer les sévices qu’il a endurés :
« Il faut apprendre à vivre avec.
Seul le diable peut vraiment dire ce qui se passe en enfer… »
Suite à cette reconnaissance officielle qui concerne également 21 habitants de la province, l’eurodéputé a fait plusieurs déclarations que la presse espagnole a largement ignorées. Extraits : « La torture fut une pratique politique planifiée, avec pour objectif la réduction du mouvement indépendantiste par la terreur, visant à effrayer et décourager les opposants et leur mouvance. Les brigades antiterroristes qui l’ont mise en œuvre ont agi en toute impunité, bénéficiant du soutien de leur hiérarchie. De fait, l’État d’exception était permanent. J’ai fait partie d’un groupe de cinq personnes qui ont été arrêtées en 1985, sur un total de vingt qui se sont faites broyer. Nous étions accusés d’être membres d’un commando d’information d’ETA. Le juge a refusé d’entendre et a fortiori de prendre en compte mes dénonciations pour tortures et mauvais traitements. Il m’a libéré faute de charges, mais le ministère public a fait appel et m’a envoyé en prison, à Carabanchel, près de Madrid. Je fus donc incarcéré, avec en poche un document qui déclarait que j’étais libre… Ainsi fonctionnent les lois et la justice antiterroriste. Avec l’aval de beaucoup de dirigeants politiques et d’une bonne partie de la presse qui ont toujours nié l’existence de la torture». L’élu abertzale répugne à évoquer publiquement les sévices qu’il a endurés : « Il faut apprendre à vivre avec. Seul le diable peut vraiment dire ce qui se passe en enfer… ». «Il m’est arrivé à plusieurs reprises de rencontrer au coin de la rue des policiers qui m’avaient torturé au commissariat d’Iruñea. Ce fut un choc, difficile à supporter », ajoute-t-il.
Réviser les décisions judiciaires, immense chantier
Pernando Barrena souligne qu’en Pays Basque durant plusieurs décennies, un nombre considérable de personnes ont été accusées et condamnées sur la base d’aveux extorqués sous la torture. Il s’agissait la plupart du temps d’auto-accusations dépourvues de toutes preuves. Le chantier de révision de ces décisions judiciaires entachées d’illégalités est donc immense. Les faits enfouis et ignorés réapparaissent peu à peu au grand jour. Mais une des parties en présence reste la grande absente de ces révélations : les tortionnaires et leur hiérarchie, l’appareil d’État qui les a couverts ou mieux, les a promus. Première avancée toutefois avec la décision le 8 mai de l’Audiencia nacional : elle a admis que la militante d’ETA Iratxe Sorzabal avait été victime de traitements inhumains. Bien que le parquet ait fait appel de cette décision, un premier verrou a sauté.
Selon les rapports élaborés par le gouvernement foral de Navarre et le gouvernement autonome basque, de 1960 à 2014, au moins 6.000 personnes ont été torturées dans les quatre provinces. Comment sont-elles parvenues à s’évader du néant ? Après cette épreuve, “l’avenir n’est plus qu’un chien crevé sous un meuble”, comme chante Bernard Lavilliers.
L’instance officielle du gouvernement navarrais chargée d’examiner les cas de tortures fonctionne depuis 2022. Elle est issue d’une loi forale (16/2019) de « reconnaissance et de réparation des victimes d’actes à caractère politique, provoqués par des groupes d’extrême droite ou des fonctionnaires publics ». Elle est composée de médecins légistes, de psychologues, de professeurs de droit, de sociologues et autres universitaires. Le 9 juin, le parlementaire Javier Esparza, porte-parole de l’UPN (droite régionaliste proche du PP), a violemment critiqué le fonctionnement de cette institution « idéologisée ». Au bureau du parlement régional, il s’en est pris à « EHBildu qui fait une utilisation mesquine » de cette instance et « fabrique de faux récits de victimes, un membre d’ETA ne peut se convertir en victime. Le gouvernement devrait modifier la loi pour que la gauche abertzale ne puisse pas s’en emparer et réécrire l’histoire ».