Seaska, la fédération des écoles immersives en langue basque célèbre ses 50 ans cette année. A la veille de cette rentrée 2019-2020, que la fédération entame en dépassant la barre des 4.000 élèves, Peio Jorajuria, nouveau président de Seaska, répond aux questions d’Enbata.
Comment s’est réglé le cas de la trentaine de postes manquants de Seaska pour la rentrée 2019-2020 ?
Les négociations ont été longues et difficiles toute l’année. Outre une vision très budgétaire des postes d’enseignants et une très faible appétence pour le développement de la langue basque, la politique actuelle de l’Éducation Nationale se caractérise par une centralisation plus forte que jamais. Nos interlocuteurs sur Pau ou Bordeaux ne pouvaient nous proposer que ce que leurs lignes budgétaires leur permettaient, qui était très loin des réalités du terrain, de la croissance de nos effectifs, de notre modèle pédagogique ou du choix des parents qui s’oriente de plus en plus vers les ikastola. Nous avons dû aller chercher les postes qui nous manquaient à Paris où il est très difficile de se faire entendre. Heureusement, nous avons pu travailler avec l’Office public de la langue basque, les élus qui composent son bureau et les parlementaires. Le projet de Seaska ne se résume pas à des souhaits exprimés par des parents d’élèves. Il dépasse le cadre de l’enseignement. Il est au coeur d’une politique linguistique concertée et l’une des bases d’un projet de territoire. Les élus et les représentants des collectivités locales ont su nous aider à porter ce discours et nous ont aidés à faire pencher la balance. En juillet, Paris nous a octroyé des moyens supplémentaires qui nous ont permis d’envisager sereinement la rentrée. Les postes de l’Éducation Nationale ne couvriront pas tous nos besoins. Seaska devra –cette année encore– financer certains postes, mais nous serons en mesure d’offrir aux élèves un cadre pédagogique en cohérence avec notre modèle. Pour les années suivantes, nous travaillerons dans le cadre de la nouvelle convention, ce qui officialisera nos discussions, mais nous n’aurons plus la pression de l’approche du G7. Nous pourrons mesurer dès l’année prochaine si cela a joué sur le nombre de postes que nous avons obtenus cette année.
Quelles sont les caractéristiques de la nouvelle convention que Seaska a signé ?
La convention tripartite que nous avons signée en juillet avec l’Éducation Nationale et l’Office public de la langue basque est la quatrième du genre. La première avait été signée en 2009 et renouvelée tous les trois ans depuis. Après une année scolaire 2018-2019 sans convention, nous repartons sur de bonnes bases pour les trois prochaines années. Pour nous, l’un des principaux intérêts de ce texte se situe dans le préambule. Ce texte rappelle le cadre de la politique linguistique publique dans laquelle nous nous insérons et définit surtout le modèle pédagogique que nous mettons en place à Seaska. On y définit l’immersion par “l’utilisation du basque comme langue véhiculaire dans l’ensemble des activités ayant lieu au sein des établissements scolaires et par un enseignement dispensé intégralement en basque jusqu’au cours préparatoire”. Notre organisation est décrite, et même nos objectifs (“un même niveau de maîtrise du basque et du français à la fin du CM2”). A quelques nuances près, les mots employés dans ce texte sont ceux que Seaska utilisait. Ils sont maintenant des définitions officiellement reconnues par l’Éducation Nationale et les instances de l’Office public. Cela avait été une très grande avancée pour nous en 2009, et il était important que nous le conservions. Les articles 3 et 4 sont ceux sur lesquels nous nous attardons le plus durant l’année car ils sont ceux qui définissent la “méthode d’aide à l’analyse et au calcul pour la détermination des dotations octroyées”. Une convention, quelle qu’elle soit, ne peut engager le budget de l’État. Ce ne sont donc pas ces paragraphes qui détermineront le nombre de postes qui nous seront octroyés, mais le texte est suffisamment précis pour nous permettre de quantifier ensemble et objectivement nos besoins. A notre charge ensuite de négocier un nombre de postes qui soit proche du chiffre qui résulte des discussions autour de ces paragraphes. Il reste des lacunes dans ce texte —les professeurs documentalistes du secondaire par exemple ne sont pas cités— mais nous avons eu également des avancées sur cette nouvelle version de la convention avec la prise en compte des ULIS (Unité Locale d’Inclusion Scolaire). L’article 5 nous est primordial également car il définit le développement de Seaska avec les modalités d’ouverture de nouveaux établissement ou de nouvelles filières. Il replace surtout ce développement comme s’inscrivant pleinement dans le projet de politique linguistique portée par l’OPLB et qui vise à étendre l’offre d’enseignement du basque et en basque, que ce soit dans les filières publiques ou privées, sur tout le territoire. Les articles 7 et 8 parlent d’évaluation, de certification et d’examen. Ce sont des points sur lesquels le ministre Blanquer et sa vision rétrograde de nos langues s’est imposée. Les évaluations de français, en CP notamment, ne nous semblent pas pertinentes pour nos élèves qui ne commenceront à apprendre cette langue que l’année suivante, mais il s’agit d’un programme national obligatoire pour lequel nous n’avons pu obtenir de dérogation. Et si les élèves de la voie professionnelle ont désormais la possibilité de passer les épreuves d’histoire-géographie et de mathématiques du baccalauréat en basque comme ceux des voies générales, il reste du chemin à parcourir pour le brevet et notamment l’épreuve de sciences que les élèves ont rédigée en basque mais qui a été corrigée par des professeurs non bascophones.
Seaska à la rentrée 2019
- 50 ans d’existence
- 4.000 élèves
- 37 établissements
- 32 Ikastola primaires
- 4 Collèges
- 1 Lycée
- 150 ETP d’enseignants en primaire
- 117 enseignants en secondaire
Quels sont les enjeux de la Fédération Seaska pour les années à venir?
Sur les dix dernières années, un pic démographique a accentué la croissance de nos effectifs en primaire. Ce pic passé, nous pensons avoir une croissance plus mesurée sur ces âges-là dans les années à venir, mais nous devons gérer maintenant cette très forte croissance dans le secondaire. Nous avons ouvert un quatrième collège sur Bayonne très récemment, mais il va nous en falloir également un cinquième dans un avenir très proche. C’est un immense chantier. Nous devons également rénover, améliorer et agrandir les collèges existants. En primaire, nous ouvrons à Ahetze notre 32eme ikastola maternelle. Cette ikastola qui sera aussi celle d’Arbonne nous permet de couvrir toute la partie du Labourd située sur le littoral ou proche du littoral. Plus à l’intérieur des terres il reste quelques zones blanches auxquelles nous devrons nous intéresser. Pendant ce temps, les ikastola que nous avons ouvertes récemment grandissent et sont parfois dans des locaux désormais trop exigüs. Certaines des ikastola les plus anciennes aussi d’ailleurs. Sur les postes d’enseignants, les deux dernières années ont montré les limites d’un système qui nous oblige sans cesse à entrer dans un rapport de force pour obtenir les moyens de travailler. La convention et le travail en partenariat avec les élus locaux nous donnent un cadre, mais qui reste insuffisant. Les véritables réponses ne peuvent venir que par la loi, et c’est une question qu’il va falloir que nous continuions à travailler avec les autres filières immersives du réseau Eskolim et les partenaires de l’euskalgintza d’Euskal Konfederazioa. Enfin, et surtout, il va falloir que nous poursuivions notre travail sur la pédagogie et l’enseignement. Améliorer l’apprentissage et la transmission de la langue face à une diglossie de plus en plus marquée, développer et mettre en place des projets pédagogiques, accompagner les élèves en difficulté, structurer d’avantage l’inclusion des élèves en situation de handicap ou la formation des enseignants, permettre aux bacheliers de poursuivre leurs études en basque, constituent notamment les chantiers en cours.