L’enseignement supérieur et les activités directement liées, la recherche, la diffusion et la valorisation de ses résultats, ainsi que la formation tout au long de la vie (lifelong learning) est une filière économique prometteuse et rassembleuse qui porte des promesses considérables. Pourquoi l’enseignement supérieur ? Parce que, argumente Jean-Roch Guiresse, directeur de l’école d’ingénieurs Estia pendant vingt ans, il peut faire preuve d’agilité, d’interaction et de cogestion avec des acteurs économiques et sociaux, et parce qu’étant par nature associé à la recherche, il produit et structure de la connaissance immédiatement disponible.
Comme toute activité de formation, l’enseignement supérieur est au service de trois logiques: service d’intérêt général aux effets à long terme, il agit aussi comme facteur de développement et d’enracinement humain, il participe ainsi à la culture et au vivre ensemble de territoires (pas uniquement de territoires géographiques) et c’est également une activité économique importante, au regard des flux financiers générés et des emplois directs, structurante, vitamine pour toutes les activités.
Emplois directs
Les flux financiers et les emplois directs de l’enseignement supérieur sont en Iparralde comparables à ceux d’une belle entreprise, d’abord par ses 500 emplois directs. En incluant formations de techniciens supérieurs et d’infirmiers, ainsi que classes préparatoires, l’Enseignement supérieur pèse:
- en France : 3 millions d’étudiants, 250.000 salariés (enseignant-chercheurs, ingénieurs de valorisation et non-enseignants, non compris les organismes de recherche).
- sur Bordeaux Métropole 70.000 étudiants, 65.000 en Euskadi.
- en Iparralde 4.500 étudiants et 500 salariés environ (chercheurs compris).
En termes d’input financier direct, en retenant prudemment un coût de formation moyen de 6.000€ /étudiant.an (former un ingénieur généraliste coûte le double), en ajoutant 25% au titre des dispositifs associés de recherche et sa valorisation, nous évaluons le flux financier direct annuel apporté à l’économie d’Iparralde par l’enseignement supérieur à 35 M€ pour le fonctionnement et à 10 M€ en investissement (moyenne depuis 15 ans). L’enseignement supérieur exerce également de puissants effets économiques indirects. Selon une estimation prudente, un apprenant dépense en moyenne 3.500 € pour se loger et 3.500€ pour vivre sur le lieu de ses études, sur 9 mois l’an, soit en 9 mois 30% du pouvoir d’achat annuel moyen net d’un salarié. En d’autres termes, 4.500 étudiants en Iparralde représentent un pouvoir d’achat comparable à celui de l’ensemble des salariés de Dassault- Aviation Anglet, ou bien 33% des 2.500 emplois directs de l’activité touristique.
Trois bonnes nouvelles
La formation supérieure est appelée à se développer considérablement dans le monde, assurant la liberté de choix, en partie dans une logique concurrentielle qui a déjà mis fin à une certaine “logique de circonscription”. Les solutions sont recherchées dans l’agilité et les alliances bien pensées, sans frontière, pas dans le gigantisme des établissements. Notre Pays Basque (Euskadi certes, et aussi Iparralde) a intérêt à améliorer sa position sur cette filière. Il dispose d’atouts remarquables pour y développer son rôle ici et dans le monde.
Atouts d’Iparralde
Iparralde offre des compétences à partager, des champs d’étude, des axes de progrès à traiter (logement, santé, transport, activités sportives, promotion de marques…). Il attire et séduit des apprenants de toutes régions et des enseignants et chercheurs: par ses avantages géographiques et culturels, et par son accueil aux diversités. Il est héritier d’une tradition d’initiative, “se prendre en charge par soi-même, ne pas attendre tout des caciques, des majors ou de Bruxelles”, même si ses habitants, hésitent parfois à réveiller le cours supposé réglé des évènements.
La compétence
C’est un domaine d’initiative et de compétence partagées : pour créer ou interrompre un cursus, s’allier, gérer…
L’Etat, aux finances exsangues, ne conservera que son privilège de stratège et d’accréditeur, sans doute en partage.
Une agglomération soudée à la région et à la CCI, associant les acteurs d’ici, peut disposer d’énormes prérogatives. Régions et agglos ont vocation à établir des schémas directeurs et à intervenir en formation, en recherche, en innovation sociale et économique.
Les CCI sont le deuxième formateur en France, après l’Education nationale. L’histoire nous conforte : la plupart des universités et grandes écoles sont nées d’initiatives d’églises (l’université de Bordeaux en 1441, celle de Toulouse au XIIIe siècle, les actuels Instituts catholiques …) ou bien de congrégations (en France les Ecam, Esap, Icam…, en Euskadi Deusto, Universidad de Navarra et son Tecnum à Donostia), de maires écoutés par le prince (parmi les cas récents: les universités de La Rochelle, de Nîmes …), de CCI (écoles de management, écoles d’ingénieurs pour valoriser les minerais, la houille blanche, la radio-communication…). Pour assurer la soutenabilité, il y a des modèles de financement et de gouvernance adaptés aux moyens humains et financiers de chaque territoire. Plusieurs modèles de financement sont à l’oeuvre, comparables, combinables, et de nombreuses parties prenantes concernées sont prêtes à participer.
Financement
Chacune des parties prenantes a sa propre jauge pour mesurer la performance et l’impact. Il convient de rechercher la mixité des publics, la pluri-utilisation des bibliothèques, des plateaux techniques, des contenus en lignes (les Mooc), des installations sportives … et de s’inspirer en permanence des meilleures pratiques usitées ailleurs, car il faut ici aussi “faire mieux à iso-moyens”.
Dans quelle mesure faire payer chacun des bénéficiaires ou bien recourir à la redistribution fiscale ? On pratique dans le monde des formules très diverses. En France, les universités sont pour l’instant contraintes par l’Etat sur leurs tarifs. Beaucoup reçoivent de l’Etat 80% de leurs ressources de fonctionnement. Grâce aux fonds dits d’investissement d’avenir, aux appels à projets recherche de l’UE et à leurs relations avec les entreprises, certaines arrivent à générer par elles-mêmes autant que ce financement récurrent de l’Etat. Certaines écoles “techniques” (X, Mines- Télécom) et instituts (IEP) sont plus libres sur leurs tarifs et plus entraînées à recourir au mécénat. Pour beaucoup d’autres (Estia, Ecam, Esap…) les financements publics récurrents ne dépassant pas 10% de leurs ressources, toutes les parties prenantes sont mises à contribution. En Euskadi, Mondragon Unibertzitatea et Deusto reçoivent moins de 50% de la part des pouvoirs publics (Madrid et Gazteiz). L’apprenant paie 6.000 à 10.000€ l’an pour un master. Il paie tout de même 1.000 à 3.000€ pour un master à l’UPV, selon la spécialité. En Grande-Bretagne, les droits d’inscription sont considérables (pour un Master of science, à peine un peu moins que le coût complet soit £5.000 à £9.000 pour un étudiant de l’UE, beaucoup plus pour les étudiants étrangers à l’UE) et l’Etat accorde aux étudiants des prêts dont les difficultés de remboursement s’annoncent aussi préoccupantes pour l’emprunteur que pour le prêteur.
C’est le moment de nous en occuper
Le XXIe siècle est le siècle de la connaissance. A la conférence de Göteborg (2009) l’UE a défini “le triangle de la connaissance à la source de l’avenir de l’Europe”: éducation, recherche-développement et innovation, technologies de l’information et de la communication. Notre territoire Pays Basque est mûr pour s’emparer de projets de tels enjeux. Il n’a d’ailleurs pas été inactif jusqu’à présent, faisant venir et installant l’UPPA, créant et développant l’Estia, l’ISA du BTP, plusieurs classes préparatoires et STS, etc. Et puis, c’est un sujet de rare vertu, rassembleur, structurant, propice à l’innovation et aux alliances extérieures, il contribuera donc à la fois à l’unité, à l’identité et au ressourcement du pays.
Quelle perspective?
D’ici dix années, compte tenu des hypothèses indiquées dans l’encadré ci-dessous, dans une France comptant 4 millions d’étudiants, l’activité d’enseignement supérieur prise au sens large en Iparralde peut raisonnablement compter 1.000 emplois et 9.000 étudiants dont 7.000 venant d’autres territoires par choix. Cela vaut la peine de ne pas tarder. Il y a pour chacun d’entre nous une façon adaptée de participer.
* Anticiper, examiner des “smart specializations” et de possibles alliances, émettre des appels à projets, choisir, agir, c’est le rôle des acteurs en responsabilité territoriale, académique et économique, de nos instances de représentation sociale.
* S’informer, réfléchir, s’engager, c’est le rôle de tous les citoyens.
L’efficience n’est pas l’apanage des gros
Le nombre d’étudiants en France devrait croître de 33% d’ici à 2027 [France-Stratégie, mai 2016]. En Afrique, 7% d’une classe d’âge accède à l’enseignement supérieur contre 76% en Europe*, au point que l’on avance qu’“il faudra ouvrir en Afrique une université par semaine pendant 10 ans”. En France, économies d’échelle et visibilité internationale justifieraient un parti pris de fusion-absorptions conduisant au gigantisme des établissements. Or de très fameux établissements, y compris parmi l’élite du classement de Shanghai, affichent des effectifs relativement atteignables : 11.000 au MIT, 20.000 à Harvard (dont 12.000 post-graduates), 4.000 à Cranfield (tous post-graduates), 4.000 à Mondragon Unibertzitatea … 12.000 à l’UPPA (5 sites), 800 à l’Estia. Les immenses universités d’Amérique latine changent de paradigme, se ré-orientent et se ré-architecturent.
* Iparralde accuserait un retard de 14 points selon l’association Du Pays Basque aux grandes écoles.