L’histoire habituelle de l’émigration oublie l’essentiel d’une hémorragie. Elle a mis notre pays à genou et a participé à des colonisations de peuplement, à l’extermination de nations entières dans le Nouveau monde «découvert» par les Européens. Il serait temps d’abandonner les discours convenus et flatteurs, de mieux revenir aux faits, même s’ils nous déplaisent.
La 5e édition du Diaspora eguna, Journée internationale de la diaspora basque, a eu lieu le 8 septembre à Donibane Garazi, sous l’égide du président de la Communauté autonome basque, Iñigo Urkullu. Etaient présents le président de la CAPB Jean-René Etchegaray, de nombreux élus et bien entendu, le maire de St-Jean-Pied-de-Port, Laurent inchuspe qui a annoncé avoir des projets pour sa ville en matière d’histoire de l’émigration. Les petits plats avaient été mis dans les grands : plusieurs connexions audiovisuelles en direct avec des membres de la diaspora exilés en Amérique, chanteurs, bertsularis, exposition, etc. L’ensemble très consensuel a donné lieu à une série de propos convenus et lénifiants, faits de nostalgie et d’enthousiasme sur le devenir de nos « Américains » ; le tout agrémenté de contre-vérités et d’oublis volontaires ou inconscients, mais « l’inconscient parle ». Nous avons ainsi eu droit aux « Basques à l’étranger qui ont développé notre langue et se sont adaptés à leur environnement en conservant leur identité », « au peuple voyageur et aventurier », « aux Basques du bout du monde qui ont enrichi notre culture ». Bref, le discours classique et cent fois ressassé sur l’épopée des Basques en Amérique et ailleurs.
Que deviennent les millions de Basques descendants d’émigrés ? On nous montre un certain nombre d’entre eux qui fréquentent des Centres basques et autres Euskal Etxe, organisent des picnics où les plus âgés chantent en euskara et jouent au mus, les plus jeunes répétant quelques danses basques traditionnelles. Tous banquettent. Sur environ seize millions de descendants de Basques établis à l’étranger, seulement cinquante mille d’entre deux fréquentent plus ou moins les quelques deux cents Euskal etxe réparties sur la planète.
Ce qu’a montré l’exposition Basques in California présentée en 2019 au Musée Basque de Bilbao, rendait neurasthénique. On y mesurait combien les traits basques de notre communauté émigrée étaient folkloriques et assez superficiels, combien elle était en voie d’assimilation et donc de disparition, dans le melting-pot anglo-américain. Ce n’est plus qu’une question de temps, de passage d’une génération à l’autre. La transmission linguistique et culturelle déjà si difficile en Pays Basque où nous sommes devenus minoritaires sur notre propre territoire, devient très problématique à l’étranger. Pour nos populations noyées dans des ensembles anglo ou hispanophones, sans institutions propres, c’est mission impossible. Il en est de même pour tous les émigrés dans tous les pays, hormis peut-être en ce qui concerne le peuple juif. Quant à la façade du « Centre basque français » de Buenos Aires que l’on a pu voir dans l’exposition présentée devant la mairie de Donibane Garazi, son intitulé laisse perplexe, à défaut de nous scandaliser.
Perte irréparable
On nous objectera qu’un centre d’études basques existe à l’université de Reno au Nevada avec des chercheurs prestigieux et des publications, qu’une ikastola fonctionne à Boise (Idaho, USA) et que plusieurs enseignants donnent des cours du soir à travers l’Amérique du Nord. Lorsque l’on connaît les difficultés du français à se maintenir au Québec dans un océan d’anglais, les moyens en faveur de l’euskara paraissent anecdotiques. Il est bien normal que ces faits soient signalés par ceux qui les soutiennent, mais la devanture cache une réalité plus cruelle : la plupart de ces millions de Basques sont perdus pour notre pays, pour notre économie, notre langue, notre culture. Certes certains ont envoyé de l’argent pour sauver les fermes familiales ou sont revenus au pays afin d’acheter des terres et s’y installer, c’est une minorité. D’autres sont devenus rentiers, mais on se souvient encore en pays de Cize de ces glorieux « Américains »tenant le haut du pavé, qui tout à coup furent ruinés par la crise de 1929. Des bienfaiteurs tels que Jacques Hippolyte Lesca du château de Garro (1853-1938) ou ce que la fondation Luro doit à Guillaume Luro revenu d’Argentine, sont connus. De la Biscaye à Iparralde nous trouvons les traces de quelques entrepreneurs qui, de retour au pays, ont créé des entreprises ou les ont confortées, dans le domaine du cuir par exemple. Encore fallait-il qu’ils soient suffisamment jeunes pour y parvenir. De là à créer une bourgeoisie nationale dans les trois provinces, nous en sommes bien loin. En réalité, nos exilés ont pour l’essentiel fait fonctionner l’économie et la vie de pays lointains. Perte irréparable pour une minorité nationale telle que la nôtre. Aujourd’hui, toutes les nations qui voient leur jeunesse quitter le pays savent que cela est très mauvais signe pour leur avenir. Sociologues, linguistes, démographes et économistes quantifieront-ils un jour sérieusement la perte que cela représente pour le Pays Basque ? De ce drame, de cette terrible hémorragie, pas un mot au Diaspora eguna le 8 septembre à Donibane Garazi. La version rose de l’histoire est plus facile à raconter, alors qu’elle est contredite par les historiens sérieux.
Quant à nos émigrés qui ont échoué dans leur projet d’enrichissement, là aussi silence radio. La chanson bien connue Nevadarat joan nintzan reprise pieusement en chœur le 8 septembre à Donibane Garazi sous la houlette de Pier-Pol Berzaitz et de Mikel Erramuzpe, y fait allusion de manière soft. Face à la souffrance indicible, aux regrets, à la culpabilité issue de l’échec, aux regards d’autrui, peut-il en être autrement ? Pour supporter, l’oubli et le silence sont préférables.
« Il faut vider les Pyrénées »
Combien de dizaines de milliers de Basques ont quitté notre pays ? Nous n’en savons toujours rien, pour les démographes franco-espagnols, nous n’existons pas, ni dans leurs statistiques, ni pour le reste. On parle aujourd’hui de quatorze à dix huit millions de Basques ou de descendants de Basques installés à l’étranger. Pour un pays de trois millions d’habitants, l’hémorragie est colossale. Les raisons de ces départs sont diverses. En Iparralde, elles furent économiques et liées à l’annonce de la première guerre mondiale, l’article ci-après en dit davantage là-dessus.
Au XIXe siècle, l’arrêt progressif de la traite négrière suscite en Amérique une énorme demande de main d’œuvre. « En Argentina, gobernar es poblar », dit le ministre Alberdi et le général Rosas, artisan de l’extermination des Indiens, ajoute qu’« il faut vider les Pyrénées » pour peupler l’Argentine. Les salaires seraient attractifs dans le Nouveau monde et une fortune rapide assurée. C’est ce que font miroiter nos agents recruteurs qui ont compris le profit qu’ils pouvaient amasser en organisant l’émigration de leurs compatriotes. Comme aujourd’hui certains ont compris qu’il fallait vendre le Pays Basque, hier d’autres ont vidé le Pays Basque en jouant les intermédiaires.
Les guerres de la Convention puis napoléoniennes ont mis à mal notre pays, il en sort exangue et les départs commencent. En Hegoalde, l’hémorragie est directement liée depuis le XIXe siècle aux guerres que nous avons perdues : les guerres carlistes en 1833-39 et en 1872-76 —les derniers lambeaux de nos institutions sont supprimés à cette époque—, la guerre civile espagnole (1936-39), la lutte armée d’ETA. A chaque épisode, les opposants politiques sont pourchassés, dispersés, éloignés le plus loin possible de leur patrie. L’exil en masse est une arme de guerre et le résultat de nos défaites militaires et politiques. «Hi haiz Euskal herria, herri nekatua, inork ezagutzen du hire bekatua? Baina inoren zorrik ez dun ordainduko, heure etorkizunak ditun apainduko », dira l’écrivain Gabriel Aresti dans Emazurtz jaio hintzen.
Auparavant, au XVIe siècle, la conquête du royaume de Navarre par l’Espagne fut suivie d’une vague d’émigration, sans qu’il soit possible d’en évaluer l’ampleur. La « découverte » de l’Amérique fera le reste. Comme par hasard, l’émigration est le lot d’un peuple vaincu dont les derniers pans de souveraineté disparaissent. L’énorme perte de population perdue pendant plusieurs siècles, à des époques où les Basques étaient plus basques que de nos jours du point de vue linguistique et culturel, prend un singulier relief avec « l’hiver démographique » que malheureusement nous connaissons aujourd’hui.
Le rôle des Etats vainqueurs
Au nord comme au sud des Pyrénées, au fil des siècles, les Etats n’ont de cesse que de rogner nos pouvoirs locaux, puis de les faire disparaître. Euskal Herria privé de pouvoir politique, devient un peuple périphérique, satellisé, taillable et corvéable à merci. Aucune institution autonomique ou étatique ne sera là pour contrecarrer le départ des Basques à l’étranger, aucune ne développera de centre urbain, politique, économique, culturel, linguistique, susceptible de défendre nos intérêts et de nous construire en tant que nation. Et surtout à partir du XIXe siècle, d’accueillir les populations quittant les campagnes dans des villes où la langue et la culture basques pourront s’épanouir. Seuls les peuples et les Etats dominants réaliseront cela dans les langues et les cultures qui sont les leurs, ils organiseront une seule offre monolingue d’alphabétisation conforme à leurs intérêts. Leur construction nationale marche à plein régime du XIXe au XXe siècle, alors que la nôtre est inexistante parce que notre peuple est à terre. Nous voici relégués à la ruralité, au passé, à l’obscurantisme religieux ; les modèles enviables sont ceux de la modernité, du progrès technique, des métropoles urbaines et ils passent obligatoirement… par le français ou l’espagnol. Pire encore, les Etats s’efforceront de «pomper» nos élites, de les intégrer, de les instrumentaliser pour développer leur propre puissance. Mieux, d’en faire les agents de notre dilution définitive dans la « Grande patrie » et de tuer ainsi dans l’œuf, de marginaliser nos velléités de réveil national. De nous priver des femmes et des hommes susceptibles de le porter.
Le peuple indigène aura pour vocation de payer deux types d’impôts. Financier, nos versements iront enrichir et développer Paris ou Madrid, et l’impôt du sang : obligation d’aller « se faire casser la gueule » en participant aux guerres menées par les deux Etats centraux. Cette situation perdure encore aujourd’hui, à une nuance près : des institutions basques créées récemment et à notre demande, contrecarrent les politiques centralistes et ouvrent le débat, la dispute, sur fond de conscience nationale émergente, de lutte de libération, de volonté émancipatrice.
Acteurs de la colonisation
Le Diaspora eguna comme la plupart des ouvrages évoquant l’émigration basque, ne disent rien ou très peu d’un autre fait historique. Les émigrants basques ont participé à l’extermination des peuples indigènes d’Amérique. Pour conquérir les terres en Algérie, en Nouvelle-Calédonie, en Cochinchine, en Palestine, etc., l’Européen applique le vieux principe colonial : «Ote-toi de là que je m’y mette». Récemment, quelques rares témoignages de Basques font état de combats armés contre les Indiens. En réalité, ce fut un génocide généralisé. Des civilisations entières et des langues disparurent. Bien sûr, les Basques ont commis ces atrocités aux côtés d’autres populations émigrées venues d’Europe pour la plupart, avec l’accord des puissances coloniales puis des jeunes Etats américains. Terrible destin : les ressortissants d’un peuple vaincu par l’histoire sur son territoire ancestral, sont chargé de chasser d’autres peuples de là où ils vivent depuis des temps immémoriaux. De les tuer physiquement, d’extirper leurs religions, d’éradiquer leurs langues et leurs cultures, de voler leurs terres, de réduire les survivants à la misère, au nom du progrès et de LA civilisation, celle des Blancs.
Le génocide se poursuit aujourd’hui, en Amazonie par exemple. Faites l’expérience : parlez aujourd’hui à un Argentin —ils sont très nombreux à porter des noms basques— et parlez-lui des Indiens, des peuples premiers de son pays. Aussitôt, il voit rouge et nie en bloc leur existence par le passé. Si jamais vous lui rappelez qu’en Argentine les Indiens sont passés de 70 millions à 600.000 habitants, si vous ajoutez que les hommes des tribus n’avaient d’autre choix que de se faire massacrer, le destin des femmes étant de se faire engrosser pour générer des petits métis, alors le ton monte très haut, l’Argentin explose.
Le vrai « mystère basque »
Pourquoi dans l’histoire de l’émigration basque, de telles violences où nous fûmes partie prenante, sont-elles tues ? Pourquoi ne pas reconnaître l’histoire dans la totalité de son déroulement et sa complexité, depuis les circonstances et les causes de notre émigration, jusqu’aux actes de nos compatriotes exilés? Pourquoi persister à évoquer « la saga de l’installation des Basques en Amérique » ? Pourquoi un tels dénis ? Il ne s’agit pas de faire acte de repentance, mais de dire les faits, leurs causes et leur contexte.
Alors que certains nous rebattent encore les oreilles avec le fameux « mystère basque », celui de nos origines, le vrai mystère est bien pourquoi nous n’avons pas complètement disparu, après de tels coups de boutoir, et quelle fut notre véritable histoire au bout du monde, ses ombres et ses lumières.
excellent article. Oui, c’est la stricte vérité même si elle fait mal . J’y étais à Garazi pour la journée de la diaspora. Complétement aseptisé les différents discours. On oublie de dire aussi combien de basques ne sont jamais revenus et comment ils ont sombré dans la misère totale loin de leur pays natal. l’omerta sur cette partie de l’histoire des immigrants basques..
La chanson ” Nevadarat joan ninzen” je pourrais vous chanter “Californiarat joan ninzen” Tellement que je retrouve ma propre expérience sur cette chanson. Un rêve américain qui se transformera en une immense déception. J’ai eu la chance de réagir rapidement et de revenir au pays basque. Beaucoup d’autres basques n’ont pas eu cette chance et ont terminé tristement leur vie loin d’Euskal herri. Je n’oublierai jamais les différentes rencontre avec ces basques perdus, sombrant dans un immense désarroi loin de leur famille resté au pays. Pas un mot sur cette partie de l’histoire de l’immigration le jour de la diaspora basque à Donibane. Cette partie de l’histoire de l’immigration dérange.
Une conclusion, à mon expérience d”immigrant. Nous ne somme jamais aussi bien exploités que par son propre peuple.
je retiens surtout le témoignage de Michel au dessus !!! et cette conclusion, “à mon expérience d »immigrant. Nous ne somme jamais aussi bien exploités que par son propre peuple”. tout est dit “je dirais par certains de ce peuple qui diabolisent une grande majorité de faible qui n’ont plus de FACE et qui se cache aujourd’hui dernière le Folklore Basque du Nord ou du Sud!!!
Que dire de plus? J’aimerais pouvoir envoyer ce texte à tous ceux avec qui j’ai abordé le sujet de la participation des Basques au génocide des Amérindiens. Que ce soit ici ou là-bas, “aux Amériques”, la tendance était, à de rares exceptions près à s’en tenir à la légende.
En tout cas merci pour ce beau moment de lucidité.
Comptez-vous évoquer un de ces jours le film d’ Iciar Bollain, Maixabel/ Les repentis, qui soulève beaucoup de questions légitimes sur les dérives du combat d’ ETA. Les réactions très négatives de plusieurs de mes connaissances à la sortie du cinéma n’ont pas manqué de m’interpeller. Il
Merci Ellande pour cet article passionnant… et courageux. Bon, en général je préfère les articles où vous ne parlez pas de “jacobinisme”. Encore que l’article sur les monnaies locales en Hegoalde m’a bien plu, malgré la saillie (justifiée sur le fond !) contre les “jacobins” du PSOE.