A partir des enquêtes et des recherches de Michel Duvert
Disparu des pratiques religieuses, ezkoa (une longue et fine cire de deuil, enroulée sur elle-même ou autour d’une planchette sculptée) a été à nouveau mis en oeuvre le 6 juin en l’église Saint-André de Bayonne, pour les obsèques de Mattin Larzabal. L’ayant vu pratiqué étant enfant, Mattin Larzabal connaissait ce rite. Nous en avions parlé au début des années 70, lors d’une rencontre avec l’abbé Pierre Lafitte à propos du droit basque. Son entourage a donc tenu à le faire revivre pour ses obsèques.
En quelques décennies, ce rite funéraire basque s’est effacé. Écrase par le rouleau compresseur de cultures d’importation, et privé de sens parce que le substrat dont il est l’expression s’est largement effrité. Ezkoa est «une lumière d’église» disait-on. Les ezko étaient rangés dans les placards creusés dans les murs, et placés sous la vigilance des andere serora. Avec le «tapis des puces» stocké au fond de l’église, ezkoa perpétue le rite ancien où la femme se tient directement accroupie sur le pierre du jarleku. Les chaises font leur apparition au cours d’un XIXe siècle bien engagé. La femme présente à ses côtés les offrandes : la lumière de l’ezko, quelque argent, de la nourriture. En tant qu’objet, ezkoa est une longue et fine cire de deuil enroulée sur elle-même ou autour d’une planchette sculptée. Son usage durant les obsèques et la période du deuil ne peut se comprendre qu’en référence à la notion d’auzo, pilier du fonctionnement de la société basque. Auzo structure les relations de voisinage entre les familles, les maisons d’un quartier ou d’un village. Donc la quasi totalité des relations sociales. Être d’une etxe c’est être auzokoa, être d’une maison qui est histoire. L’etxe est d’une lignée, elle a un lehen auzo qui, à son tour en a un autre, le maillage se construit ainsi, jusqu’au «quartier» (kartiera) qui, fédéré à d’autres, constitue «la commune», avec ses terres propres. L’ensemble forme un tout cohérent qui se tient.
Ezkoa s’inscrit également dans l’ensemble des rites funéraires basques dont le chemin des morts ou hilbidea, ainsi que le jarleku, sont les plus connus. Hilbidea n’étant jamais que l’etxe se prolongeant physiquement jusqu’au sanctuaire qui donnera le sens à la vie comme à la mort des etxekoak. Quant aux cortèges funéraires, ils s’organisent avec de nombreuses variantes, toutes traduisent l’auzo, mais aussi les modes l’affectant. Le scénario le plus fréquent est celui d’un cortège funèbre à l’ordre très codifié qui entre dans l’église : le cercueil du défunt est suivi par la première voisine porteuse des ezko du quartier. Un petit panier contient la fine bougie allumée. Une fois le cercueil placé devant l’autel, les ezko brûleront à ses pieds, durant la cérémonie. Celle-ci une fois terminée, ils accompagneront le cercueil jusqu’au cimetière.
La femme, ici, sur le jarleku
Lors des obsèques, il est essentiel que l’ezko soit porté par une femme ayant le statut de première voisine de l’etxe du défunt. Première voisine, donc en référence aux rapports entre voisins définis par l’auzo. Au propre comme au figuré, la femme donne la vie, transmet la lumière de la vie et manifeste sa présence au moment du passage de la vie à l’Au-delà. On notera que les Pyrénéens dont les Basques font partie placent ici, sur la tombe, sur le jarleku, la femme, celle qui assure la descendance. Affirmant ainsi symboliquement que la mort est niée, l’etxe poursuivra l’aventure. C’est l’etxe qui se transmettra par le premier ou la première né(e). La femme accompagne donc le mort pour signifier la continuité de l’existence et de la communauté. Dans certaines régions, la première voisine conservera l’ezko, puis il sera posé allumé sur la table du repas suivant les obsèques, comme si le défunt en était; elle le récupère à la fin du repas pour le donner à la famille le lendemain —première rupture du deuil— ou à l’andere serora.
Le mort n’est plus dans le quotidien, mais il est là : «Etxetik atera dela», comme il est écrit sur les intentions de prière données. Il sera associé avec les autres morts de l’etxe, en tête de la liste affichée à la porte de l’église et parfois lue en chaire.
Voilà de façon très succincte l’essentiel du rite basque de l’ezko dont il existe des variantes infinies, mais qui suivent toutes une logique équivalente. L’ayant vu pratiqué étant enfant, Mattin Larzabal connaissait ce rite. Nous en avions parlé au début des années 70, lors d’une rencontre avec l’abbé Pierre Lafitte à propos du droit basque. Son entourage a donc tenu à le faire revivre pour ses obsèques.
Pour finir, faisons un vœux : que demain, l’ezko se ré-enracine dans nos pratiques sociales et culturelles déjà en plein renouveau. Gardons-nous de définir un modèle figé d’ezko sous prétexte d’authenticité. A nous de le mettre en œuvre en le réinventant à chaque génération, au moment du «relais, où l’âme change de chevaux». Sur la base d’un auzo dont on mesure l’importance dans la société d’aujourd’hui, avec le retour en force dans la débat public de notions telles que les «communs», le «local », la «proximité», voire un au-delà de la propriété.
Nota
Vous pouvez vous procurer différents modèles d’ezko auprès de la ciergerie des Bénédictines de Belloc. La pratique de l’ezko se nomme argizaiola en Gipuzkoa-Nafarroa-Bizkaia. Amezketa est le dernier village qui le met en œuvre de façon quasi généralisée. Le musée de San Telmo à Donostia en présente une très belle collection et un film explicatif.
Le musée pyrénéen de Lourdes offre une vitrine complète expliquant ce rituel qui est répandu le long de la chaîne des Pyrénées et existe sous des formes proches en Bretagne. Ce musée montre l’appareil permettant, en la chauffant sur un petit brasero, de réaliser cette très longue bougie ou «cire filée». Le musée Gorrotxategi à Tolosa (Gipuzkoa), consacré au chocolat, à la confiture et aux pâtisseries, comprend une section sur les transformations de la cire. Vous pourrez y voir un appareil permettant d’élaborer ezko ou argizaiola. Dans le village gipuzkoan d’Amezketa, un habitant continue la fabrication d’argizaiola, planchette décorée en bois, propre à chaque etxe et devenue symbole identitaire en Hegoalde, parfois fabriqué en série.
Pour en savoir plus :
- Michel Duvert: Etxea & auzoa
- Jon Etcheverry-Ainchart, Michel Duvert, Marcel Etchehandy, Claude Labat : Hil harriak, les stèles discoïdales et l’art funéraire basque, Elkar et Lauburu, 188 p. 2004.
- Contribution à l’étude ethnographique de la mort en Pays Basque Nord, Anuario de Eusko-folklore, 40/1996-97, José Miguel Barandiaran fundazioa, 264 p. Auteurs : Michel Duvert (responsable du projet), Mano Curutcharry, Aita Marcel Etchehandy, Jon Etcheverry-Ainchart, Monique Gacon, Peio Goïty, Line Jenny, Claude Labat, Armand Mouras, Jean Oxarango, Thierry Truffaut.
- Le Bondidier Margalide : Les cires de deuil aux Pyrénées, revue Pyrénées n° 27 et 28 (1956) et n° 37 (1959).
- Argizaiola Hegoaldean
- Centre d’interprétation de l’art funéraire basque de Larceveau où un ensemble de vidéo réalisées par Lauburu présentent les rites funéraires basques d’Iparralde, le rôle de ses acteurs principaux, le charpentier, andere serora, le porteur de la croix, le jarleku, le hilbide, etc. et le sens dont ils sont porteurs.