Le 17 septembre dernier, le Hamas annonçait sa “décision courageuse, sérieuse et patriotique, de dissoudre” unilatéralement le comité administratif qu’il avait mis en place en mars dernier pour gouverner la bande de Gaza. Ce geste de bonne volonté à l’égard de l’Autorité Palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas se double d’un “accord pour entamer des discussions sur la réconciliation et pour organiser des élections générales”. Éclairage sur les raisons de ce revirement et les perspectives qu’il pourrait ouvrir.
Cela fait plus de 10 ans que le Hamas s’est emparé du pouvoir dans la bande de Gaza et que l’Autorité palestinienne ne contrôle donc plus que la Cisjordanie. L’annonce du Hamas de dissoudre unilatéralement le comité administratif mis en place en mars dernier signifie-t-elle que cette triste page de l’histoire palestinienne est sur le point d’être tournée ?
Pour resituer le récent communiqué du Hamas dans son contexte, il n’est pas inutile de revenir 10 ans en arrière. En 2006, les islamistes du Hamas avaient créé un séisme en remportant les élections législatives palestiniennes. Aussitôt, les subventions internationales avaient été suspendues, et les salaires des fonctionnaires avaient cessé d’être versés. Après de très fortes tensions entre le Hamas et le Fatah dont est issu Mahmoud Abbas, un accord pour un gouvernement d’union nationale avait fini par être trouvé en 2007.
Cet accord n’était pas du goût de tout le monde, et notamment pas de l’homme fort de Gaza, Mohamed Dahlan. Financé, armé et entraîné par les Etats-Unis, il fomenta un coup d’Etat qui tourna court et se solda après un violent conflit inter-palestinien par la victoire du Hamas et l’éviction du Fatah de la bande de Gaza. Malgré plusieurs tentatives de réconciliation, cette division perdure encore…
Situation de plus en plus difficile
Pour le Hamas et pour la population de Gaza, cette situation est de plus en plus difficile à supporter. Depuis 2007, Israël impose un blocus strict aux Gazaouis. En 2011, le Hamas perdit le soutien de Damas pour avoir pris le parti des rebelles dans la guerre civile syrienne. Heureusement pour lui, son affiliation aux Frères Musulmans lui valut les bonnes grâces du Président Morsi arrivé au pouvoir en Egypte en 2012 dans la foulée du Printemps arabe ; accalmie de très courte durée puisque Morsi fut renversé par l’armée en 2013 et remplacé par le général Sissi, farouche adversaire des Frères Musulmans. En 2014, c’est l’Iran qui coupa ses liens avec la formation palestinienne, à cause de sa position sur la Syrie.
Ce n’est que grâce aux pays proches des Frères Musulmans, la Turquie et surtout le Qatar, que l’administration du Hamas a pu se maintenir. C’est d’ailleurs au Qatar que la direction du Hamas, jusque-là hébergée par la Syrie, a trouvé refuge en 2011. Mais, depuis juin, le Hamas se trouve bien malgré lui englué dans la “Crise du Golfe” qui oppose l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn et l’Egypte au Qatar, et il a été contraint de prendre ses distances avec son parrain qatari…
Mais c’est Mahmoud Abbas qui a porté aux Hamas les coups les plus sévères… Le président de l’Autorité Palestinienne n’a pas supporté que le Hamas mette en place en mars dernier un “comité administratif” pour gérer la bande de Gaza. En représailles, c’est un véritable châtiment collectif qu’Abbas a infligé aux Gazaouis. Il a demandé à Israël de cesser de fournir de l’électricité à la bande de Gaza et coupé les salaires de près de 6.000 fonctionnaires (pourtant en grande partie supporters du Fatah) qu’il avait enjoint de ne pas travailler pour le Hamas. En conséquence de ces mesures, la crise sanitaire est aiguë et, par exemple, l’assainissement des égouts ne fonctionne plus.
C’est un véritable châtiment collectif
qu’Abbas a infligé aux Gazaouis.
Il a demandé à Israël de cesser
de fournir de l’électricité à la bande de Gaza
et coupé les salaires de près de 6.000 fonctionnaires,
pourtant en grande partie supporters du Fatah.
Porte de sortie
Le Hamas n’avait pas le choix, il lui fallait une porte de sortie ! Il n’est donc pas étonnant que sa nouvelle direction ait réorienté la ligne politique du mouvement en décidant de couper ses liens structurels avec les Frères Musulmans et en se définissant désormais comme un mouvement de résistance strictement palestinien. Cette évolution idéologique a permis un rapprochement avec l’Egypte qui, de son côté, ne souhaite pas un effondrement du Hamas susceptible de déstabiliser la zone frontalière du Sinaï. C’est pourquoi, depuis juin, le Caire livre du diesel aux Gazaouis pour qu’ils puissent faire tourner leur centrale électrique ; en août, la création d’une zone de libre-échange entre Gaza et l’Egypte a même été évoquée. Bien entendu, l’Egypte espère en contrepartie exercer une influence politique à Gaza, et elle compte pour cela sur… Mohamed Dahlan !
Ce n’est pas si absurde que ça en a l’air… L’ex-homme fort du Fatah et ennemi juré du Hamas a en effet été exclu de son parti en 2011 sous l’accusation d’avoir empoisonné Yasser Arafat. Devenu persona non grata à Gaza et en Cisjordanie, il s’est réfugié à Abou Dabi où il est devenu le conseiller du prince héritier. C’est donc en émissaire de l’Egypte et des Emirats Arabes Unis que Dahlan se propose de revenir à Gaza, une opportunité unique pour lui de reprendre pied sur la scène politique palestinienne. Pour faire passer la pilule, il justifie son retour par la mise en place d’un fond d’indemnisation pour les victimes du conflit inter-palestinien de 2007. Un fonds financé par les Emirats Arabes Unis qui voient là l’opportunité de supplanter le Qatar dans une de ses zones d’influence…
On le voit, la Palestine est plus que jamais un concentré de géopolitique, et le changement d’attitude du Hamas ne s’est pas fait sans contrainte. Il n’empêche : si le Hamas et Dahlan sont capables de devenir partenaires, pourquoi ne pas envisager un réchauffement des relations avec l’autorité Palestinienne ? Ceci dit, une alliance Hamas-Dahlan-Abbas ne fait pas forcément rêver grand monde.