Je ne peux laisser sans réagir un récent propos jacobin du Président de la République qui m’étonne d’ailleurs de sa part, étant donné que ses déclarations sont en général d’esprit girondin.
Le 20 mars à l’Institut de France il disait : “Au fond nous sommes le seul pays de la Francophonie qui ne vit qu’en français… Il n’y a que les Français qui n’ont que le français…”
D’abord le Président se trompe, et je suis un exemple vivant de son erreur, car je vis la plupart du temps dans une autre langue que le français : en euskara, ma langue maternelle, et paternelle aussi par la même occasion, ma seconde langue étant le français appris à l’école. Je connais pas mal de Basques qui font de même, et dans le Béarn voisin le gascon pyrénéen cohabite au quotidien avec “la langue de la République”.
D’autre part je sais que d’autres Occitans, des Catalans, des Corses, des Alsaciens et Mosellans, des Flamands, des Bretons, des Guyanais amérindiens et des habitant(e)s d’autres départements d’outre-mer pratiquent des langues dites officiellement “régionales”, sans pour autant tourner le dos à la langue française : elle est notre langue commune, sans être la langue unique.
Des millions de citoyens français vivent leur bilinguisme au quotidien.
Des millions de citoyens français
vivent leur bilinguisme au quotidien
Oui, le Président de la République se trompe, et à mon avis son entourage devrait mieux l’informer. Ensuite, si ce qu’il dit était exact, il n’y aurait vraiment pas de quoi pavoiser, car une situation de langue unique serait le produit d’une politique systématique d’éradication des autres “langues de France” et finalement d’un ethnocide, destruction méthodique de la diversité linguistique et culturelle qui, selon un article de la Constitution, fait partie du patrimoine commun.
Il est vrai que l’ethnocide a failli aboutir, car il était programmé sous la 1ère République, officiellement proclamé au temps de la Terreur ; et depuis lors les régimes et gouvernements successifs n’ont jamais aboli ce dogme de la langue unique : ils ont cherché à effacer en métropole et dans les colonies d’outre-mer toutes les langues autres que le français en les excluant de tout l’espace scolaire et public, en les déconsidérant aussi dans les esprits par une propagande insidieuse : charabias, patois de paysans arriérés, parlers qui ne peuvent pas s’écrire, dialectes primitifs incapables de s’adapter à la vie moderne, langues non laïques, autant de sornettes à dormir debout que les faits ont heureusement jetées à la poubelle de l’histoire…
Je ne parle pas en l’air : à l’appui de mes dires j’ai sous le coude un florilège édifiant de déclarations officielles égrenées sur une paire de siècles. Sans remonter jusqu’aux redoutables propos fondateurs de 1793 et 1794, voici par exemple ce que disait en 1846 le préfet des Basses-Pyrénées : “Nos écoles au Pays Basque ont particulièrement pour objet de substituer la langue française au basque.” Il ne s’agit pas d’ajouter, mais bien de substituer, donc de tuer une langue dominée par celle qui est officielle. Et combien de petits écoliers de France et de Navarre ont été châtiés à coups de règle sur les doigts pour avoir dit un mot dans l’idiome interdit !
Les langues “régionales” ont terriblement souffert de cette politique d’exclusion, elles ont beaucoup reculé, mais elles ont survécu. Aujourd’hui elles relèvent la tête et, sous la pression de l’Europe, l’Etat français renonce enfin à les persécuter : les langues “régionales” obtiennent une certaine place dans l’enseignement et dans la signalisation, avec le soutien d’un financement public.
On est loin d’un véritable bilinguisme officiel, mais on s’éloigne de l’insupportable ostracisme précédent que je qualifierais volontiers de “fascisme linguistique” si par ailleurs la République Française n’était pas un État démocratique, ce que malgré tout elle est heureusement. La preuve en est que j’écris des lignes sévères pour le pouvoir central sans craindre de représailles, ce que je ne pourrais pas faire impunément en Russie ou en Turquie par exemple.
Mais il reste ici aussi beaucoup de choses à réformer, en s’informant tout de même de ce qui se passe sur le terrain, par exemple pour les “langues de France” : elles ne sont pas des langues mortes comme le latin ou le grec ancien, mais des langues vivantes que nous pratiquons plus ou moins tous les jours, et que nous entendons soutenir indéfectiblement, d’autant plus qu’elles ne font de tort à personne : bien au contraire elles contribuent à la diversité culturelle, source de richesse intellectuelle et spirituelle.
Que M. Macron se trompe n’est pas une nouveauté, hélas !
Mais militant pour le gascon depuis plus de 30 ans, et l’ayant enseigné bénévolement à Paris d’octobre 1989 à février dernier, je ne crois plus du tout à la survie de nos langues régionales, comme langues de la société, même au Pays basque; même le basque et le catalan ne le sont pas de l’autre côté des Pyrénées (cf. Jean-Baptiste Coyos (2007), « Écart entre connaissance et usage d’une langue minoritaire : modèles théoriques et cas de la langue basque », in Variable territoriale et promotion des langues minoritaires, dir. A. Viaut, 2007, M.S.H. d’Aquitaine, Pessac, pp. 411-428, et spécialement sa note 1 ; pour télécharger : .
J’ai diffusé largement il y a 5 ans une étude fouillée sur le sujet et l’ai mise à l’abri de l’autre côté de l’Atlantique, d’où elle est facile à télécharger : .
Ce qui me parait réalisable y est en p. 16, au § 4-24. Et je m’y emploie dans la mesure de mes moyens de presque nonagénaire.
Bien cordialement,
J.L.
Je m’aperçois que les deux liens de téléchargement de mon message ne sont pas passés; je les remets donc ici, sans les signes de ponctuation d’usage.
– pour télécharger l’article de `J.-B. Coyos : https://artxiker.ccsd.cnrs.fr/artxibo-00139502/document.
– et pour mon étude d’il y a 5 ans : http://www.academia.edu/9455943/Jean_Lafitte.
Merci pour ce bel article !