L’Edito du mensuel Enbata
Dimanche 10 mars, lors de l’Eusko Eguna, l’économiste Jérôme Blanc théorisera la raison d’être d’une monnaie comme projet politique. “Frapper monnaie” était l’apanage du pouvoir régalien. La révolution industrielle s’est articulée sur des monnaies nationales dont la valeur d’échange trouvait sa garantie dans une contre-valeur en or. Les banques centrales étaient tout autant planches à billets que coffres-forts de métal dormant. On se souvient près de nous du transfert, en 1936, de l’or de la banque d’Espagne en Russie soviétique en échange de matériels militaires nécessaires à la République agressée par Franco. Romanciers et cinéastes ont longtemps fantasmé sur le hold-up du siècle de Fort Knox surprotégé par une force militaire tel un château fort du Moyen Âge. A la sortie de la dernière guerre mondiale, les accords de Bretton Woods ayant désindexé le dollar de l’équivalence or, c’est tout le système monétaire international qui a changé de nature.
L’évolution accélérée des moyens de transport et d’information instantanée sur l’ensemble du globe a anéanti les économies autarciques de chaque État pour s’ouvrir sur un marché planétaire totalement imbriqué au point de heurter le Brexit dans l’inextricable connexion du Royaume-Uni avec l’Union européenne. La Grande-Bretagne fut pourtant la super puissance mondiale du XIXe siècle, celle qui fit la révolution industrielle, celle dont la livre sterling opérait sur la terre entière, comme le dollar aujourd’hui.
Les monnaies ne sont plus le signe d’une souveraineté nationale. Au tournant de l’an 2000, l’euro est devenu la monnaie unique de 18 Etats souverains, tout comme le franc CFA est la monnaie commune aux Etats indépendants de l’Afrique de l’Ouest.
Au-delà du passeport et du visa, les Basques d’Iparralde devaient jusqu’alors se munir de pesetas espagnoles pour aller consommer dans un bar du vieux quartier de Donostia, bien que toujours en Pays Basque.
C’est dans ce contexte bouleversé que les monnaies locales, telles l’eusko, prennent une nouvelle valeur. Ancrées dans un territoire, elles contribuent à la relocalisation de l’économie et donc à sa vigueur. Ne pouvant être utilisées que sur un territoire particulier, elles empêchent la spéculation et la financiarisation de l’économie réelle provoquant la crise de 2008 qui ruina maints petits propriétaires aux Etats-Unis et beaucoup de petits épargnants en Europe.
Au-delà de ces vertus, l’eusko s’inscrit aussi dans le vaste mouvement de reprise en main de notre destin basque.
Dès sa naissance, l’abertzalisme a pris conscience que notre nation niée n’était pas seulement à libérer mais tout autant à construire. Si l’État molosse a tenté de réduire notre singularité, tant par la contrainte (en substituant notre langue par sa langue, en écartelant notre terre par une frontière…) que par l’adhésion démocratique dans le concept de petite patrie dans la grande.
Face à l’agression d’une Constitution, qui refuse à la Corse (comme au Pays Basque) l’appellation de “peuple”, nous avons construit nos écoles pour instruire en euskara, nous avons dynamisé notre économie avec Herrikoa pour la création d’emplois, avec les entreprises coopératives inspirées de Mondragon, avec Lurra Zain pour protéger nos terres, avec Laborantza Ganbara pour garder la maîtrise de notre agriculture…
L’Eusko est du même bois. Il participe d’un projet de société. Il franchit un saut qualitatif en obtenant l’adhésion démocratique de la Communauté d’agglomération couvrant l’ensemble de nos trois provinces et plus particulièrement de 17 Conseils municipaux, dont celui décisif de la Ville de Bayonne, dans son affrontement avec le pouvoir central. Si l’on sait déjà qu’un eusko vaut un euro, sous les auspices de la Banque de France, tout comme les autres monnaies locales, on sait dorénavant qu’une collectivité locale peut l’intégrer dans son budget géré par le Trésor public, collecteur de l’impôt.
En six ans, il est devenu la première monnaie complémentaire européenne. La journée du 10 mars lui sera dédiée. C’est là l’occasion de célébrer collectivement cette exemplaire avancée.
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Passant outre le référendum du 7 avril 2013 qui refusa la création d’une région d’Alsace, Emmanuel Macron, le 4 novembre dernier, est venu dire aux élus alsaciens qu’il acceptait d’ériger une “Communauté européenne d’Alsace” par la fusion des deux départements, Bas et Haut-Rhin. Le lundi 4 février de cette année, les deux Conseils départementaux ont voté officiellement la demande de création de cette communauté spécifique à l’unanimité pour le Haut-Rhin et par 6 voix contre dans l’autre département. Ainsi s’engage le processus législatif de naissance de ce territoire après publication d’un décret en Conseil d’État. Ainsi l’aménagement du territoire de l’Hexagone se poursuit encore. Mais qu’en est-il de l’institution spécifique Pays Basque ?
Bravo pour votre constance et bonne route pour l avenir