Peut-on militer pour la justice sociale et la lutte contre le changement climatique et faire l’impasse sur l’impact de l’utilisation des outils numériques ? La réponse est non. Bizi ! a donc lancé un groupe de travail pour explorer la question et adapter nos pratiques pour un maximum de sobriété.
Depuis quelques années, ma vie d’éternelle égarée de la route a considérablement changé. Finis les rendez-vous où j’arrivais 30 mn en retard, en sueur et les cheveux en bataille parce que j’avais pris l’autoroute dans le mauvais sens, finie la carte étalée sur le siège passager consultée en hâte au feu rouge sous les klaxons, finies les disputes homériques générées par mes piètres compétences de co-pilote… Maintenant, l’application Waze est ma meilleure compagne de voyage, surtout quand elle me parle en euskara de Biscaye: Berrehun metrora, eskubitan! Ensemble nous évitons les embouteillages, prenons des raccourcis à travers des petits quartiers jadis tranquilles et je sais à quelle heure j’arrive à destination… Que de stress évité !
Si nous faisons le point sur notre vie quotidienne, professionnelle, familiale, amicale, associative, les exemples d’outils numériques qui nous facilitent la vie sont légions : logiciels de documents partagés en ligne, applications de messagerie, services de visio-conférence, plateformes d’écoute musicale… Ils ont complètement modifié nos manières de communiquer, de travailler, de nous divertir, et cette évolution a connu une accélération avec la crise sanitaire.
Impact humain et écologique
Mais, il y a un mais et d’importance… Car tous ces outils numériques ont un impact énorme au niveau écologique mais aussi au niveau humain et cet impact ne peut pas être ignoré.
Bizi a décidé de s’atteler à une réflexion sur ce sujet. L’association a fait dès ses débuts le choix assumé d’utiliser les outils numériques au service de ses batailles, tant pour ce qui est de la communication, avec notamment l’utilisation des réseaux sociaux, que de son fonctionnement interne. Cela a permis notamment à l’association de continuer de travailler pendant les confinements. Mais on ne peut pas militer pour la justice sociale et la lutte contre le changement climatique et faire l’impasse sur le sujet. Il ne s’agit pas de rejeter le numérique en bloc —étant donnée l’utilisation que nous en faisons, ce serait une attitude schizophrène— mais de regarder en face les impacts sociaux et environnementaux de cette utilisation, les mesurer par rapport aux services offerts afin d’adapter nos pratiques pour un maximum de sobriété.
Un groupe de travail s’est créé qui a choisi d’explorer la question de l’impact du numérique sous trois angles : l’humain, la société et la planète, le point développé ici.
Forfait de gaz à effet de serre
Nos équipements et notre utilisation du numérique sont à l’origine de consommation des ressources (eau, métaux rares…), de consommation d’énergie et de production de déchets. L’ensemble est émetteur de gaz à effet de serre.
L’impact du numérique se répartit en trois axes : les équipements des utilisateurs ; les réseaux qui relient les utilisateurs entre eux et aux centres informatiques ; les centres informatiques qui hébergent des serveurs.
Ces trois axes sont en constant développement.
Les utilisateurs ont de plus en plus d’équipements (11 par personne en moyenne en France) et les objets connectés sont en plein boom. La 4G, 5G, avant la 6G et + alimentent cette inflation. Pour visualiser l’impact du numérique, en 2020 et pour un habitant du territoire français, cela correspond à :
– La consommation d’un radiateur électrique de 1000 watts allumé 8 heures chaque jour pour ce qui est de l’énergie ;
– 6 km en voiture chaque jour pour les gaz à effets de serre ;
– 9 litres d’eau chaque jour ;
– l’excavation de 197 kg de terre chaque jour.
Le numérique consomme à lui seul un quart de notre forfait de gaz à effet de serre…
Leviers au niveau individuel…
L’impact le plus élevé est lié aux équipements : nombre, taille et fréquence de renouvellement. Il est donc important de conserver le plus longtemps possible ses appareils, d’en limiter le nombre et la dimension et, lors d’un renouvellement, de privilégier le reconditionné au neuf.
Ainsi, fonctionner avec Linux(1) permet de donner une seconde vie à des ordinateurs qui fonctionnent au ralenti avec les dernières versions de Windows. Pour ce qui est des réseaux, la demande croissante est liée à certains usages, offre et demande se renforçant mutuellement. Toutes les activités de streaming, notamment vidéo en haute définition, ont un impact exponentiel (Deezer ou Netflix pour ne citer qu’eux…), contrairement aux bons vieux CD et MP3… Pour limiter la consommation électrique, les liaisons filaires sont à privilégier sur le wifi qui est lui-même préférable aux réseaux mobiles.
…et collectif
Mais si certaines tendances voudraient faire peser toute la responsabilité écologique sur nos choix individuels, les leviers les plus efficaces sont collectifs, au niveau des politiques publiques, afin notamment de casser la spirale consumériste. Les pistes sont nombreuses mais on peut citer entre-autres la lutte contre l’obsolescence programmée, le soutien aux filières du réemploi, du reconditionnement et de la réparation, l’encadrement des pratiques des publicitaires, des industriels et des plateformes. C’est un chantier incontournable, car ni le climat, ni l’état des ressources ne permettent de continuer sur la trajectoire actuelle…
(1) Système d’exploitation Open source.