En recouvrant la liberté, Arnaldo Otegi retrouve naturellement sa place de leader de la gauche abertzale. Il sort même renforcé dans sa stature politique par cette longue captivité et il a toute latitude pour remettre son parti en ordre de marche et en bouleverser la culture selon un nouveau schéma stratégique.
Arnaldo Otegi est résolu. Six ans et demi de prison viennent d’être balayés par quatre lettres qu’il prononce ce 1er Mars 2016, en français dans le texte, devant le sombre établissement pénitentiaire de Logroño : “Bref !” s’exclame-t-il, tout en dérision, comme pour reprendre le cours de la discussion précédente.
C’est que le secrétaire général de Sortu a du pain sur la planche et même un programme défini pour remettre en ordre de marche la gauche abertzale, dispersée par le dernier revers électoral, en proie à des doutes stratégiques et enlisée dans cette résolution unilatérale du conflit.
Otegi sort à point nommé, si l’on peut dire, et même renforcé par son passage par la case prison.
D’abord parce qu’il a toute légitimité pour rassembler dans son camp. Ensuite parce qu’il a désormais la carrure pour s’imposer au-delà. Qu’il est l’artisan depuis près de 20 ans de ce processus de paix et qu’il a même un plan pour le relancer. “Il y a six ans et demi, ils nous ont incarcérés pour avoir fait le pari de la paix et je veux vous féliciter tous pour avoir maintenu ce pari, en dépit de toutes les provocations”, a-t-il lancé à la foule venue l’accueillir à sa sortie de prison avant d’assurer : “La paix est bien la voie à suivre jusqu’au bout et c’est ce que je me propose de faire avec vous tous”.
Et de souhaiter que les portes des prisons s’ouvrent encore sur les prisonniers basques comme pour calmer les ardeurs que ces “provocations” commencent à susciter.
En sa qualité de prisonnier, matricule 8719600510, Arnaldo Otegi peut réussir à joindre les deux bouts de la gauche abertzale. Il est simultanément conscient du sort des presos et déterminé à maintenir le cap. Et, en prime, soucieux d’opérer un réel bouleversement au sein de la gauche abertzale, dont il reste le leader naturel. D’autant qu’il avait anticipé la dernière débâcle électorale, dans un diagnostic sans concession sur la stratégie politique de son propre parti.
Arnaldo Otegi prône donc un changement de culture. D’une certaine manière, après des années d’interdictions, il plaide pour un fonctionnement politique plus réaliste, au plus près des préoccupations sociales, économiques et culturelles que doit induire l’épreuve du pouvoir.
A l’inverse d’un mouvement interconnecté, il veut également favoriser l’émergence de mouvements sociaux autonomes, comme autant de contre-pouvoirs et de jalons à l’exercice politique.
Pour contourner l’impasse du processus de paix, qui mobilise en vain toute l’énergie de la gauche abertzale, il souhaite un “processus de libération”, inspiré du modèle catalan, afin d’ouvrir un second front avec Madrid. Un front large, qui ratisse diverses composantes de la société, inspiré du modèle d’organisation d’Herri-Batasuna de la fin des années 70, dans la philosophie du “meilleur maire c’est le peuple”. Il n’est pas anodin que devant sa prison, Arnaldo Otegi ait donc lâché que “le meilleur lehendakari, c’est le peuple”.
La candidature est bien lancée, après plus de six ans de maturation, dont il ressort, de son propre aveu, plus basque, plus indépendantiste et plus socialiste. Plus légitime et mieux armé. Et plus à même de mener le nouveau combat indépendantiste basque auquel manquait, peut être —c’est un remarque lancinante— cette incarnation. De cette nouvelle carrure dépendra notamment la confrontation attendue avec le mouvement Podemos.