Le leader du PNV Andoni Ortuzar se fait hara-kiri

Le visage contracté, Andoni Ortuzar lit sur un prompteur l’annonce de son retrait.

Le 30 mars, Aitor Esteban, ex-député et porte-parole au parlement espagnol, va accéder à la tête du PNV, élu par une direction entièrement renouvelée. Le président sortant Andoni Ortuzar qui a préféré se retirer de la course, s’est immolé sur l’autel de l’unité d’un parti en difficulté, à la recherche d’un second souffle.

Coup de tonnerre le 6 février 2025, Andoni Ortuzar, président du PNV depuis douze ans, annonce son retrait de la course pour une élection qui semblait gagnée d’avance. Officiellement, rien ne laissait présager un tel tremblement de terre. Que s’est-il passé au sein du vieux parti pour en arriver là ? Son leader a longtemps hésité à se représenter. Il a attendu le dernier moment —le 18 janvier— pour annoncer qu’il est à la disposition de son parti pour le présider. Sans doute, subodorait-il quelque chose.
L’élection est à deux tours. Au premier, chacun des quelque 200 batzoki(1) du parti indique à la majorité simple la personne et l’équipe qui lui paraissent à même de le diriger. A ce stade, il n’y a pas nécessité de faire acte de candidature. A telle enseigne que Peio Etxeleku d’Iparralde a été choisi par le village gipuzkoan d’Ataun… Mais en quelques jours, le vent tourne. Et le 6 février, le verdict tombe. Andoni Ortuzar arrive en tête, mais le PNV est fragmenté. 114 batzoki soutiennent Ortuzar, 73 sont pour Aitor Esteban et 29 se prononcent en faveur du leader gipuzkoan Markel Olano. Aitor Esteban n’est autre que le porte-parole du PNV au Parlement espagnol. Du même âge qu’Ortuzar, aux côtés de l’ex-président Iñigo Urkullu, il fait partie de la troïka qui, avec une génération de jeunes turcs biscayens surnommés les « jobubis » (2), prit en main les destinées du PNV. C’était après le départ de Xabier Arzallus et la perte du pouvoir dans la Communauté autonome basque au profit du PSOE (2009-2012).

Président sortant mal réélu

Pour Ortuzar, les résultats de ce premier tour sont encore plus décevants dans son fief biscayen, place forte du PNV qui y vit le jour il y a 120 ans : 51 batzoki pour le sortant et 49 pour son challenger. Les deux hommes sont au coude à coude. Mathématiquement parlant, Andoni Ortuzar peut l’emporter au deuxième tour. Mais pour un président sortant, être élu avec une courte majorité sonne comme un désaveu, sa légitimité en sera atteinte. Grande est la menace d’une victoire à la Pyrrhus. Sans doute redoute-t-il aussi le « mandat de trop ». Face au risque majeur d’une guerre des chefs qui affaiblirait le PNV en laissant des blessures difficiles à cicatriser, Andoni Ortuzar préfère se retirer. Il ne se présentera pas au deuxième tour. L’unité du parti est sauve, du moins en apparence, et il n’aura de cesse que de l’afficher dans les semaines qui suivent.

De g. à dr., Iñigo Urkullu, Andoni Ortuzar et Aitor Esteban. De cette troïka qui dirigea longtemps le PNV, seul le 3e demeure aux commandes.

Mais il n’y a pas que la cuisine interne. Le contexte explique aussi la décision radicale d’Ortuzar car il y a péril en la demeure. Une grave érosion électorale affecte le PNV depuis plusieurs scrutins, alors qu’il était hier en position hégémonique. Il est parfois au second rang, derrière ses concurrents socialistes ou souverainistes. La contre-offensive s’impose. Depuis deux ans, c’est à Andoni Ortuzar que revient une lourde tâche : mettre en œuvre une mutation générationnelle d’envergure au sein des cadres du parti, en favorisant l’arrivée aux affaires d’une pléiade de quadras. Avec en premier lieu, la mise en orbite d’un inconnu, Imanol Pradales. L’opération « coup de balai » déjà réalisée dans les trois provinces est en cours au sein de l’Euskadi buru batzar (EBB), instance suprême du parti. Mais pour lui-même, Andoni Ortuzar s’en exonère. Son attitude est contradictoire.

Le rôle des sherpas

En ce début février, le message envoyé par la base est limpide, le vieux chef doit lui aussi laisser sa place. Avec toutefois un paradoxe. Aitor Esteban qui le remplacera, fait partie de la même génération, aucune différence idéologique ou stratégique ne les sépare. Mais, contrairement à Ortuzar et Urkullu, Aitor n’a jamais intégré l’Euskadi buru batzar.
Les gazettes s’interrogent. Pour en arriver là, que s’est-il passé ces derniers mois dans les entrailles du PNV ? Demander à Iñigo Urkullu de ne pas se représenter, écarter toute une génération d’éléphants aux commandes depuis des années, n’est pas simple et génère forcément des grincements de dents ou ravive les haines recuites. Le clan des « urkullistes » a-t-il voulu faire payer à Ortuzar le prix de l’éviction du Président de la Communauté autonome basque ? Dans cette mutation forcément déstabilisante débouchant sur la victoire d’Aitor Esteban, quel a été le rôle de son épouse Itxaso Atutxa, qui vient d’être écartée et présida durant trois mandats aux destinées du tout puissant Bizkai buru batzar, et même pressentie un temps pour occuper le poste de Lehendakari ? Sa sœur Amaia Atutxa dirige la Commission de garantie et de contrôle qui supervise les opérations de vote interne. Le PNV est aussi parfois une affaire de familles.

Deux sherpas, Joseba Aurrekoetxea à l’organisation du PNV et Koldo Mediavilla, en charge de la coordination des institutions, font tourner la machine d’une formation qui est tout de même un gros paquebot. Hommes de l’ombre, voire éminences grises, ils n’apparaissent jamais publiquement, mais leur action est déterminante. Dans cet exercice à haut risque, en quel sens ont-ils manœuvré ?

Hanté par le poison de la division

Pour d’autres formations politiques en Europe, l’étape des primaires a des effets désastreux, elle cristallise les querelles de personnes en les ravivant. Elles sortent essorées de cette épreuve, la formule est largement abandonnée. Le PNV, comme tout parti politique, a la hantise du poison de la division, des guerres intestines toujours les plus dévastatrices et douloureuses sur le plan humain. Dans l’histoire récente et par deux fois, il en fit l’amère expérience : en 1986 avec la scission d’Eusko Alkartasuna, puis l’affrontement fratricide entre Joseba Egibar et Josu Jon Imaz, qui vit le retrait brutal de ce dernier en 2007. Andoni Ortuzar sait parfaitement tout cela. Adhérent au PNV dès l’âge de 16 ans comme on entre en religion, il en a gravi tous les échelons, occupé les postes les plus prestigieux. A 62 ans, il décide d’agir en Samouraï. D’abord, le sens du devoir. Il se sacrifie pour préserver l’unité et disparaît de la scène politique. Beaucoup d’observateurs saluent « l’élégance » d’un geste typiquement gaullien.

Aitor Esteban, longtemps porte-parole du PNV au Parlement espagnol, sera élu président du PNV les 29-30 mars prochains.

Le Gipuzkoan Markel Olano se retire également et renonce à une de ses principales demandes : que la représentation de sa province au sein de l’EBB soit accrue. Désormais, la voie est libre pour Aitor Esteban. Il sera élu à la tête de l’EBB les 29 et 30 mars prochains, lors d’une assemblée générale à Donostia. Il en sortira une direction rajeunie dont la moyenne d’âge passe de 55 à 49 ans, mais où la parité, bien qu’inscrite dans les statuts, n’est guère respectée : quatre femmes pour dix hommes.

Un parti embolisé

En binôme avec le Lehendakari Imanol Pradales dont treize années le séparent, Esteban aura pour tâche de redresser un parti qui en a bien besoin. Bien que le PNV ne donne aucun chiffre officiel, le premier tour en interne révèle une énorme abstention, autour de 80%, parfois davantage, sur un total théorique d’environ 22 000 adhérents. Le PNV semble embolisé. Les débats dans les batzoki brillent par leur absence, regrette un vétéran. Hier parti de masse, il est devenu un parti de cadres, comme la plupart des formations de droite européennes, avec leur lot de clientélisme et d’affaires de corruption. Le Parti nationaliste basque n’y a pas échappé et s’est empressé de mettre à la porte les brebis galeuses. Comme le rappelait autrefois Xabier Arzallus, il faut d’abord servir le parti et non pas s’en servir.

L’exercice quasi constant du pouvoir depuis 45 ans, les affres de la gestion, tuent souvent la flamme et l’élan des origines. Le fameux « Euzkotarren aberria Euzkadi da » de Sabino Arana Goiri, ne serait-il plus qu’un hochet que l’on agite frénétiquement lors des Alderdi eguna ? Mais le vieux parti historique a encore de la ressource, il veut mettre fin à son déclin. L’heure de la reconquête a sonné. Les mots d’ordre pour demain seront donc « davantage de chemisettes et de polos, moins de cravates », se reconnecter avec la société, rajeunir ses rangs et tout faire pour stopper net la montée en puissance d’EH Bildu. Afin d’atteindre ses objectifs, il dispose de deux années dépourvues de scrutin, les élections forales et municipales auront lieu en 2027.

(1) Batzoki: siège local du PNV.
(2) Jobubis pour « jovenes burukide bizkainos », expression utilisée par des médias pour désigner cette génération de dirigeants biscayens.

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