Koko Abeberry, Enbata n° 1188 du 15 août 1991
Interpellé le 30 mai 1988, Iulen Madariaga est présenté, le 31 mai, au juge d’instruction Michel Legrand, à Paris. Il est inculpé de « détention d’explosifs, d’armes et munitions de première et quatrième catégories sans autorisation, et d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».
Au cours de perquisitions au siège de la société qu’il dirige à Biarritz, la police judiciaire saisit des factures d’aimants puis, le 12 juillet 1988, à son domicile de Zamaldegia à Senpere, elle découvre une cache « morte » où sont entreposés des caissons de bois abîmé contenant des objets métalliques pouvant servir à la confection de pièces d’un pistolet-mitrailleur. Iulen niera toujours avoir eu connaissance de ce dépôt, opéré à son insu au moment de la construction de sa maison.
Incarcéré à la maison d’arrêt de Fresnes, il comparaîtra, le 3 juin 1988, pour le débat différé, à l’issue duquel le juge délivrera à son encontre un mandat de dépôt : « La prison ne changera rien à mes convictions. Je continuerai à me battre pour ma seule patrie, Euskadi » . En cours de procédure, le juge prononcera une ordonnance de non-lieu concernant la détention d’armes, explosifs et munitions. Iulen sera poursuivi pour l’association de malfaiteurs à caractère terroriste.
Je suis condamné d’avance
Lors de ses demandes de mise en liberté, présentées devant la chambre d’accusation après refus du juge d’instruction, il sera amené à préciser sa position sur les faits et sur le fond : « C’est la police espagnole qui affirme que j’ai acheté, sous couvert de ma société, des aimants qui ont été utilisés par ETA pour la confection de bombes. Ceci sans aucune preuve à l’appui (…). Il y a une forte présomption contre moi du fait d’une découverte physique dans un vide sanitaire, chez moi. Mais j’ai abondamment fourni des éléments qui prouvent parfaitement que tout cela peut se passer à l’insu de l’intéressé. Une présomption n’est en fin de compte qu’une présomption, ce n’est pas une preuve (…). Examinons le fond. Je cite : “Il est reproché à l’inculpé, PDG de la société anonyme Aturri, français par naturalisation, mais qui est un des membres fondateurs de l’ETA“… Arrêtons-nous ici un instant. Ce “mais“ est lourd de significations. En effet, je peux actuellement faire – ou ne pas faire – quoi que ce soit, dès lors que j’ai été l’un des fondateurs de l’ETA, je suis condamné d’avance, je suis préjugé. C’est cela votre justice, mesdames et messieurs ! »
La prison ou le besoin d’abaisser
Dans une lettre adressée au président de la République François Mitterrand, dès les premières semaines de son incarcération, Madariaga avait aussi dénoncé les « honteuses conditions qui sont celles des prisons françaises » : « … Quel besoin d’efficacité professionnelle ont les fonctionnaires des différents corps de police et de l’administration pénitentiaire d’abaisser, de vexer et d’humilier gratuitement (pour ne pas dire bêtement) des milliers de détenu(e)s aussi citoyens que le reste de la population civile ? » Il y dénonce aussi « le maintien d’une juridiction d’exception dans un Etat de droit ». C’est en vertu de la loi Pasqua du 9/9/1986 que les infractions « terroristes » sont centralisées et traitées à Paris.
La douleur et l’espoir
Autour de lui, un réseau de solidarité s’est immédiatement créé. Un « comité de soutien à Iulen Madariaga » tient une conférence de presse, publie des communiqués, lance une souscription et une pétition pour sa libération. Le Comité pour la défense des droits de l’homme en Pays Basque (CDDHPB) dont il est membre du conseil d’administration, mène une campagne par voie de presse et dans ses propres publications. Les jeunes du village d’Arbona et AJIR organisent le 22 juillet 1988 une soirée en sa faveur, animée par divers musiciens et bertsulari.
Le drame
Un drame survient alors que Iulen termine son quatrième mois d’emprisonnement en région parisienne. Le 23 septembre 1988, la dernière-née de sa famille, Iraia, âgée d’un an et demi, se noie accidentellement dans la piscine de sa maison à Senpere. Le juge alerté, autorise le déplacement de Iulen, sous escorte, pour saluer la dépouille de sa fille et rester quelques heures chez lui, en famille. Il n’est pas autorisé à assister à la cérémonie publique qui aura lieu au fronton d’Ainhoa, le 29 septembre. En fait, il est séquestré, ce jour-là pendant six heures, dans un des couloirs du funérarium de Bayonne et interdit de parler basque aux rares membres de sa famille autorisés à le rencontrer. Dehors, son avocat, ses amis sont empêchés d’entrer, ce qui provoque quelques incidents dont l’un se termine au tribunal ! Iulen revient à la prison de Fresnes où il effectuera la totalité de la prévention, jusqu’au procès et même au-delà. Cette détention est ponctuée d’événements qui entraînent son intervention.
La campagne annuelle pour les prisonniers politiques basques
Elle était traditionnellement organisée en octobre par la CAR-Herri Taldeak et suivie dans les prisons par les détenus impliqués dans des dossiers Iparretarrak. Dès 1988, on tente de l’élargir à ceux liés aux dossiers ETA. Contactés par Iulen, certains de ceux-ci répondent positivement mais à titre personnel, Iulen établit avec d’autres une plate-forme des revendications dont les titres sont : abolition de la loi anti-terroriste, reconnaissance du statut de prisonnier politique, regroupement, abolition de l’isolement, amélioration des conditions de détention (dont le droit de se réunir et l’usage de l’euskara). Une grève de la faim est entamée, le 1er octobre 1988 par les seuls preso liés aux affaires de IK. Iulen fait diffuser un communiqué exprimant sa totale solidarité : « … Ne pas la manifester nettement dans le contexte actuel qui est celui de notre nation divisée et accablée par l’impérialisme conjugué hispano-français, me semblerait – quelle que soit la raison invoquée – une dérobade inacceptable pour tout abertzale, tout aussi bien qu’un manque de vision politique à moyen et long terme ». Dès l’année suivante, la campagne Ttipi-Ttapa unira enfin les revendications et les actions des deux groupes de prisonniers basques.
La censure en prison de la presse basque
Immédiatement après son premier procès, Iulen ne reçoit plus certains titres de la presse abertzale. Cette mesure appliquée à tous les preso basques de Fresnes concerne principalement Enbata. Ses protestations restent lettre morte. Les avocats interviennent. Une plainte est déposée. La censure, levée cinq mois plus tard à la fin 1989, reprend au début de 1990 pour quelques mois.
L’atteinte à la dignité
Un transfert à l’hôpital pénitentiaire, le 16 avril 1990, distant de quelques centaines de mètres, est l’occasion pour les fonctionnaires de l’administration de l’entraver —ainsi qu’Azkoitti Arrieta— aux mains et aux pieds. Ils s’y refusent tous deux et sont ramenés dans leur cellule. Iulen écrit au Garde des sceaux et communique la lettre à l’extérieur : «… Nous pensions que le temps des esclaves, des forçats aux galères, du bagne… était révolu depuis longtemps partout dans le monde mais, notamment et surtout, dans la soi-disant patrie des droits de l’homme… ». Il n’y aura pas de réponse.
Fidélité à la ligne rupturiste
Un de ses amis ayant émis dans Deia des critiques sur l’inadaptation d’ETA à la situation créée par le statut d’autonomie, Iulen Madariaga écrit : « … Cela revient carrément à épouser les thèses et la politique menées par les partis réformistes (dans tous les sens) et surtout traîtres à la cause nationale : PNV, EA et EE. Qu’on me comprenne bien : je ne critique point la faculté qu’a tout citoyen(ne) basque de penser, d’agir, de critiquer comme il l’entend et selon sa propre conscience personnelle, toute position, thèse, philosophie, action, etc. concernant la problématique nationale et de classe de notre nation. Ce dont j’ai été surpris, c’est de constater subitement que la position de X… —absolument légitime et que bien entendu je respecte entièrement— coïncide fondamentalement avec ceux qui ont laissé lâchement tomber la région-mère d’Euskal Herri, la Navarre, qui remettent de leurs propres mains des drapeaux ennemis aux troupes d’occupation, qui empêchent de hisser notre drapeau national dans les mâts de nos herriko-etxe lors des fêtes patronales, ceux qui adressent à l’encontre de vrais patriotes, des gudari, exactement les mêmes épithètes employés par l’ennemi occupant impérialiste : “terroristes“, assassins, bandits, et j’en passe… ».
Les procès
Iulen Madariaga comparaît les 22 et 23 juin 1989 devant le tribunal correctionnel de Paris (seizième chambre) présidée par M. Casorla. Artificiellement relié à l’affaire de la cache d’armes de l’entreprise Sokoa, il est aux côtés de Patxi Noblia, José Luis « Azkoitti » Arrieta et Juan Rego. Les témoins qu’il a fait citer sont : René Tellechea (son voisin), Paul Dutournier (maire de Sare), Walter Luyten (sénateur flamand). Il a le soutien de trente élus dont quatre maires du Pays Basque nord et de l’association des prêtres Herriarekin. On lira la relation du procès, de ses interventions et de sa déclaration dans Enbata n° 1083 du 29 juin 1989.
Le 13 juillet 1989, Iulen Madariaga est condamné à quatre ans de prison et dix ans d’interdiction de séjour. Iulen fait appel. Il comparait, le 21 novembre 1989, devant la dixième chambre de la Cour d’appel de Paris, présidée par M. Franceschi. Il fait citer comme témoins maître Denis Langlois, Gilles Perrault, Yvette Chaix, Denis Laborde, Max Siméoni, qui sont tous présents. Une bataille s’engage entre le président et lui, épaulé par ses avocats, De Felice, Abeberry et Gonzalez, pour les faire entendre. Ce qui lui est refusé. La Cour de cassation, par arrêt du 18 juillet 1990, confirmera ce refus. Pour ce qui est des débats devant la Cour d’appel, le lecteur pourra se reporter à notre journal de l’époque.
Sans céder un pouce de terrain
Le 21 novembre 1989, la Cour confirme l’emprisonnement de quatre ans et ramène à cinq ans la durée de l’interdiction de séjour. Commentant sa condamnation, Iulen Madariaga écrit à un de ses défenseurs : « … Pour ce qui est de pouvoir en “retirer une légitime satisfaction de cette bataille menée sans céder un pouce de terrain”, je suis tellement d’accord que dans le combat —mené, il faut tout dire, avec votre aide et collaboration— il a été dit et fait ce qu’il fallait faire et dire. Le reste importe peu. Nous avons eu gain de cause psychologiquement, juridiquement et politiquement (…). Je n’ai point protesté contre la sentence. Pour la bonne raison que je l’ai écoutée à moitié, ma pensée étant bien loin de là, en Espagne. Je pensais à Josu et Iñaki (NDLR : tué dans un attentat à Madrid contre le député HB Josu Muguruza). De sorte qu’aussitôt finie la lecture du jugement par Franceschi, j’ai balancé mon « cortisimo » hommage à Josu, entre interruptions virulentes du harki corse et bousculades brutales des gendarmes me traînant physiquement hors de la salle. Dont acte ».
Le 7 juin 1991, Iulen Madariaga est transféré de la prison de Fresnes à celle de Bois d’Arcy. Jon Parot l’accompagne et partage désormais sa cellule avec lui. C’est l’occasion pour celui-ci de sortir de son isolement total dans lequel il se trouvait depuis son arrestation, plus d’un an auparavant.
Constatant que deux autres Basques sont incarcérés dans le même établissement et poursuivant la lutte à son niveau, Iulen Madariaga écrit, le 5 juillet, une nouvelle lettre au ministre de la Justice : « … Lors de l’accord conclu à l’automne 1988 (…), il avait été question de nous regrouper —nous autres, prisonniers politiques basques— dans des cellules contiguës ou proches les unes des autres et notamment, de sortir ensemble dans la même cour de promenade. Or aucune de ces deux conditions n’est respectée… ».
Libéré, il ne reviendra pas dans sa famille
Tel est l’homme qui sort de prison, en ce 14 août 1991. Du fait de l’arrêt de l’interdiction de séjour du 7 décembre 1990, qui lui a été notifié le 9 janvier, il lui est fait « défense de résider ou de paraître dans 14 départements français, dont ceux du grand Sud-Ouest, de Bretagne et de Paris ». Ceci pour une durée de cinq années. Iulen ne reviendra pas chez lui, à Zamaldegia, auprès de sa femme Yvette et de ses deux jeunes enfants Loritz et Ainize.
ATURRI COMME CIBLE
Avant la perquisition et l’arrestation de Iulen Madariaga, sa société Aturri SA et son personnel ont fait l’objet de diverses agressions et attentats :
- 2 août 1979, « Pantu » Lopategi est assassiné au camping de la plage des Corsaires à Anglet, Angel Iturbe et Sasiain Etxabe sont blessés. L’attentat est revendiquée par le BVE (Batallón Vasco Español).
- 3 août 1979, attentat à l’explosif contre les bureaux d’Aturri au moment des obsèques de Pantu.
- Septembre 1979, assassinat à Biarritz de Periko Elizaran, l’attentat est revendiqué par un autre escadron de la mort, l’ANE (Acción Nacionalista Española) .
- 30 décembre 1980, José Martin Sagardia, ancien employé d’Aturri, est assassiné à Biarritz par l’explosion de sa voiture piégée.