Face à la multiplication des dépôts de bilan et des difficultés de trouver des repreneurs qui acceptent de maintenir dans de bonnes conditions l’activité des entreprises, un certain nombre de cas de procédures de reprises par les salariés sous forme de Scop se font jour de-ci et de-là.
Il faut souligner à cet égard qu’en France différentes formes juridiques de coopératives existent pour favoriser la reprise et la création d’emplois: les CAE —Coopératives d’Activité et d’Emploi—, les SCIC –Sociétés coopératives d’intérêt collectif -, les SAPO – Sociétés coopératives à participation ouvrière. En Iparralde, une première génération de coopératives a émergé dans les années 70 et 80, puis une seconde vague dans les années 90 et 2000 est venue étoffer la présence de ces entreprises qu’on retrouve dans des domaines d’activité variés comme le bâtiment, les lignes électriques, la construction métallique, les services informatiques…
Deux cas ont retenu mon attention ces derniers jours, celui de Bioluz à St-Jean-de-Luz et de Plastitube à Bayonne. Les salariés de Bioluz ont monté une Scop pour éviter l’arrêt définitif de leur activité et constituent ainsi le premier laboratoire pharmaceutique à être géré sous forme coopérative à l’échelle de l’Aquitaine. Sur Bayonne, les salariés de Plastitube, dont 94 emplois sont aujourd’hui menacés, envisagent eux aussi de s’organiser en coopérative. On ne peut qu’espérer que ces projets de reprises par les travailleurs aillent jusqu’au bout et permettent de maintenir l’activité et de sauver les emplois. Mais ils ont également une portée plus générale, car ils se situent exactement à un des niveaux de déclenchement de la crise actuelle. En effet, la bulle spéculative qui a explosé aux Etats-Unis sur l’immobilier trouvait sa source dans une politique du crédit qui a voulu maintenir à flot une consommation des ménages mise à mal par le recul de la part des salaires dans le partage de la richesse produite du fait du prima donné au capital c’est-à-dire aux actionnaires dans les entreprises.
Depuis le milieu des années 90, une théorie de l’entreprise – celle de la valeur actionnariale – donnant la priorité à la rémunération de l’actionnariat domine les pratiques managériales. Elle a notamment été forgée par un professeur d’Harvard, Michael Jensen, dont la première tâche a été de justifier l’hypothèse selon laquelle les détenteurs du capital seraient plus à même de poser des critères de gestion «efficace» des entreprises que les travailleurs eux-mêmes. En un mot, le premier jalon du modèle de management des entreprises, pratiqué aujourd’hui au bénéfice des marchés financiers libéralisés, a consisté à contrecarrer l’idée d’une gestion de la production par les travailleurs eux-mêmes, c’est-à-dire à saper le principe d’autogestion.
Aujourd’hui, dans un contexte où nos sociétés ploient sous le joug des marchés financiers qui continuent d’exiger des niveaux de rentabilité élevés incompatibles avec le maintien de nombre d’activités, dans certaines entreprises, et ici même au Pays Basque, des travailleurs ont décidé de reprendre en main leur outil de production. Penser à créer une coopérative pour sauver son emploi est une réponse ponctuelle et locale, mais cela revient à repositionner un principe d’autogestion au cœur du fonctionnement des entreprises alors que les fondements théoriques du capitalisme financier actuel l’en avaient chassé. C’est la raison pour laquelle des initiatives comme celle de Bioluz ou éventuellement de Plastitube sont porteuses d’espoir, car elles laissent entrevoir la possibilité que cette crise suscite des réponses qui portent en elles le germe d’un dépassement structurel du système économique actuel.
Penser à créer une coopérative
pour sauver son emploi est une réponse ponctuelle et locale,
mais cela revient à repositionner un principe d’autogestion
au cœur du fonctionnement des entreprises
alors que les fondements théoriques
du capitalisme financier actuel
l’en avaient chassé.