“A l’impossible nul n’est tenu.” Certes. Mais comment vivre pour de bon sans désirer quelque part ce qui paraît impossible ? Dans notre cas, comment être abertzale, c’est-à-dire patriote, sans rechercher la souveraineté de notre nation dépourvue d’État ? “Nécessité fait loi”. Oui. Sans la souveraineté nationale, l’existence même du peuple qui constitue la patrie est fortement menacée.
On le voit clairement ici et ailleurs : même dans le meilleur des cas, une nation sans État n’est pas pleinement reconnue. Elle dépend d’un État central qui à tout moment peut remettre en question un statut “régional” aussi favorable soit-il. Par exemple, la Catalogne, dans sa volonté d’indépendance, est abandonnée par l’Union Européenne aux mains de fer du pouvoir politique, juridique et militaro-policier de l’État espagnol et aucun État ne prend sa défense juridique : c’est une affaire interne qui échappe à l’ordre international. Il y a bien une charte universelle des Droits humains signée par tous les États, mais ils la considèrent dans la pratique comme “un chiffon de papier”, notamment en ce qui concerne le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Quant à la Communauté autonome d’Euskadi groupant les trois “provinces” du Pays Basque occidental, elle ne bénéficie pas encore pleinement du statut d’autonomie (interne) de Guernica institué à la sortie du franquisme, voici plus de quarante ans. De plus des conflits de compétences apparaissent constamment entre le gouvernement basque et le gouvernement espagnol qui tient les cartes : il cherche constamment à recentraliser, à reprendre d’une main ce qu’il a donné de l’autre.
Tout essai d’avantager la langue basque est aussitôt attaqué par le gouvernement espagnol et retoqué par sa justice. La langue indigène est subordonnée à celle de l’État, donc reléguée au second rang, et finalement confinée à la vie privée où elle s’étiole, quand elle ne meurt pas à petit feu. Les exemples abondent à travers le monde, et pas seulement avec les “petites langues” : le français au Québec est menacé par l’anglais, malgré une semi-souveraineté au sein de la Confédération canadienne. Dans les autres provinces du Canada il est carrément noyé malgré le bilinguisme officiel de l’État.
La langue de la nation sans État
est subordonnée à celle de l’État conquérant,
et confinée dans le privé.
A contrario les quatre États scandinaves, qui sont les plus avancés du monde, ont fait leur développement avec quatre “petites langues” parlées par des populations peu nombreuses. De leur côté les trois petits pays baltes aussi se débrouillent bien dans les mêmes conditions linguistiques, grâce à leur souveraineté retrouvée à la chute du “grand frère” soviétique.
Chacun de ces modestes pays sauve et développe sa langue à travers son propre État qui privilégie la langue indigène dans la constitution, le parlement, le gouvernement, les lois, les territoires et les communes, l’administration, la police, l’armée, l’enseignement, l’information, et toute la vie publique.
Dans ces petits pays souverains l’autre langue, celle qui sert aux relations extérieures, est largement subordonnée à la langue véritablement nationale. La pyramide ne repose plus sur sa pointe, comme chez nous, mais sur sa base. Voilà qui est juste et nécessaire dans une démocratie digne de ce nom : tout ne doit pas venir d’en haut, bien au contraire l’essentiel s’enracine dans la population et dans sa capacité d’initiative. Par contre l’uniformité qui nous est imposée d’en haut est une perversion intellectuelle et morale, à contester résolument, car elle écrase l’âme d’un peuple et de son pays. A force de sévir, elle a fini par paraître naturelle et nécessaire aux yeux de nombreux citoyens aliénés dans cet État vertical et ultra-centralisateur. Arrachons son masque généreux, dénonçons plus que jamais sa politique ethnocide, et ne capitulons jamais, car l’avenir n’est pas écrit. Cet article aura une suite dans deux mois si Dieu me prête encore vie et santé psychique : j’aborderai de façon critique la situation légale de notre langue privée de souveraineté dans les trois régions actuelles d’Euskadi ou Euskal Herria, bref du Pays Basque global, des deux côtés de la ligne de démarcation.
Pour aujourd’hui je vous quitte de façon positive en évoquant l’heureuse exception du flamand, branche “belge” du néerlandais : adossé aux Pays Bas et bénéficiant de la souveraineté culturelle dans un État binational, il a réussi à se libérer de l’hégémonie du français et, de ce fait, il a pu se développer. Il le doit aux efforts persévérants et méthodiques de ses intellectuels et de son peuple.
Voilà un bon exemple à examiner, à méditer et probablement à imiter, au moins en partie, en l’adaptant à la situation concrète de notre patrie. A nous d’écrire notre avenir, sans oublier notre passé, snobé lui aussi par l’État français.